"Paroles gelées", le Rabelais joyeux et fantasque de Jean Bellorini
L’histoire : « Paroles gelées » retrace le périple de Pantagruel, Panurge et de leurs compagnons à la recherche de l’oracle de la Dive bouteille (« dive » est un dérivé de « divine ») censée délivrée la Vérité. Cette quête croisera bien des tempêtes et les mènera jusqu’à une île où ils découvriront les paroles gelées, ces glaçons qui fondent au contact des humains et deviennent des mots.
Apprivoiser la langue
« Connaissez-vous les meilleures façons de se torcher le cul ? ». C’est avec cette question prononcée de concert en bord de scène par deux comédiens de la compagnie Air de Lune que commence « Paroles gelées ». Et là, on se dit « Ouah ! Ça attaque fort ! ». D’autant que la suite du texte nous offre une série de descriptions et d’allusions scatologiques, paillardes à souhait, mais tout cela dit dans une langue impeccable, dont les nuances surannées demandent tout de même un temps d’adaptation à nos oreilles et à notre esprit. Passé ce duo, la scène s’ouvre sur un banquet où là aussi, le goût de Rabelais pour l’imagerie paillarde et la bonne chère se traduit par un délire de mots, une langue à la fois riche et triviale qui mêle allègrement comme l’explique Jean Bellorini, « le haut et le bas, la merde et l'étoile, le cul et l’âme, les farces burlesques et la quête spirituelle ».
Des lustres scintillants suspendus au-dessus d’un tapis d’eau qui recouvre une partie de l’espace. Au milieu, une table rectangulaire où s’amasse plusieurs comédiens, accordéons en bandoulière et bottes de pluie au pied. Au fond, trois musiciens qui se dressent devant d’immenses panneaux aux couleurs d’ocre et de rouille. Une partie de la machinerie est visible (actionnée parfois par les comédiens ou le régisseur plateau). Voilà le décor qui s’offre au spectateur.
D’emblée, le regard est séduit, envoûté. Dans cet univers qui semble immense, treize comédiens-musiciens vont marcher, courir, sauter, grimper, ramper, tout en déclamant avec un talent époustouflant les mots de Rabelais. Ils pataugent dans l’eau sur fond de musique rock ou de chant lyrique. Ca éclabousse nos yeux et nos oreilles. Il y a des moments d’une infinie poésie visuelle avec des scènes qui sont comme des tableaux vivants ; d’autres de pure folie, joyeuse, drôle, où les comédiens rivalisent d’énergie ; d’autres enfin où les corps se posent, se figent laissant la place à un monologue foisonnant. Une foisonnance parfois déroutante. Au bout de 2 deux heures de spectacle, l’esprit peine parfois à rester parfaitement accrocher à ces envolées verbales. Mais l’alternance de rythmes permet de garder l’équilibre.
Il faut saluer l’inventivité de Jean Bellorini, un metteur en scène de 31 ans, qui ose adapter de façon si festive un texte difficile. Et puis rendre hommage à ces 13 comédiens, la plupart très jeunes, qui se donnent réellement corps et âme dans cette création. Ils sont pour beaucoup dans les « bravo ! » que le public leur offre, debout, à la fin de ce spectacle hors-norme. "Paroles Gelées" d'après François Rabelais dans une adaptation de Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière - Mise en scène Jean Bellorini - Durée : 2h10
le 12 juin à l'Opéra Théâtre à Saint-Etienne
"Paroles Gelées" sera également repris en 2014 au Théâtre du Rond-Point à Paris
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