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"Au Bonheur des dames", la pièce d'après Emile Zola : une expérience immersive jouissive au Bon Marché à Paris

Cette pièce de théâtre, qui revisite l’histoire du roman "Au Bonheur des dames" d'Emile Zola, plonge le public dans l’univers des grands magasins à la fin du XIXe siècle. On a testé cette expérience immersive qui prend la forme d'une performance déroutante. Suivez le guide !

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les personnages de la pièce de théâtre "Au bonheur des dames" d'Emile Zola, lors de l'avant-première qui s'est tenue au Bon Marché, le 7 juillet 2022 (LE BON MARCHE RIVE GAUCHE)

20h30, rue Velpeau à Paris, au-dessus d'une porte, une petite lumière rouge scintille le long de la façade du Bon Marché Rive Gauche. À l’occasion de ses 170 ans, le grand magasin a choisi une façon originale de mettre en avant son histoire. Une fois la nuit tombée, plongé dans l'obscurité, il devient la scène d’une pièce de théâtre immersive, mise en scène par Juliette Colin avec trente acteurs de la compagnie Crumble Production. Le spectacle, joué les vendredis et samedis soir depuis le 2 septembre, devait se tenir jusqu'à la fin de l'année 2022 : il a été prolongé jusqu'au 29 avril 2023. 

A l'origine, un roman de 1883

Cette pièce historique est l’occasion de faire un parallèle entre la success story des fondateurs du Bon Marché Rive Gauche - Aristide et Marguerite Boucicaut - et l’histoire d'une grande œuvre de la littérature française, Au Bonheur des dames d'Emile Zola. 

En 1852, Aristide Boucicaut est engagé comme employé au Bon Marché, qu'il transformera petit à petit en grand magasin, bouleversant les codes du commerce et des mœurs sociales. Trente ans plus tard, le romancier Émile Zola pousse à son tour la porte du Bon Marché pour enquêter auprès de ses dirigeants et employés. Il dispose, ainsi, de la matière pour écrire son nouveau roman Au Bonheur des dames, qui paraîtra en 1883. 

30 acteurs sur une scène de 3 000 m2

L'expérience débute par la descente dans les sous-sols du magasin. Là, on traverse un chantier où des ouvriers s'affairent. Un dégât des eaux a eu lieu, nous dit-on... En fond sonore, le bruit d'une radio qui nous apprend qu'à l’occasion de ses 170 ans, le Bon Marché a organisé une soirée et qu'il y a eu un meurtre. On réalise alors que la pièce de théâtre a déjà commencé et qu'il faut trouver le coupable !

On remonte les escaliers et on découvre les principaux protagonistes, en costumes d'époque, réunis sur la coursive du premier étage dans un magasin plongé dans l'obscurité. Ils se présentent, à tour de rôle : Théodore (fondateur du Bonheur des dames et oncle de Caroline), Denise (la vendeuse), Gaspard (le couturier), Henriette (la cliente bourgeoise et plus chère amie de Caroline), Alphonse (le trésorier), Caroline (la directrice) et Octave (le directeur et mari de Caroline).

Nous voilà plongés dans l’univers des grands magasins de la fin du XIXe siècle dans un Au Bonheur des dames revisité.

La pièce de théâtre "Au bonheur des dames" d'Emile Zola, lors de l'avant-première qui s'est tenue au Bon Marché, le 7 juillet 2022 (LE BON MARCHE RIVE GAUCHE)

Voyage dans le temps

Un voyage dans l’espace et le temps qui débute en 1862. A l'entrée du magasin,  nous avons tous reçu un badge représentant l'un des huit personnages principaux, avec un petit descriptif. J'hérite d'Alphonse, le trésorier du grand magasin, un homme prévoyant et méticuleux qui considère son travail comme l'œuvre de sa vie. Par petits groupes d'une vingtaine de personnes, guidés par un éclaireur tout de blanc vêtu, nous montons au deuxième étage assister à une première saynète. 

Avec mon groupe, nous voici devant Alphonse. Le trésorier du grand magasin est assis à son bureau. Devant lui, son grand livre de comptes, un encrier, des crayons, une lampe... Derrière, le coffre-fort où il range la recette quotidienne, une petite armoire remplie de livres comptables et un cadre de papillons épinglés. Sur le côté,  une grande lampe sur pied éclaire la scène. Soudain apparaît Octave, le directeur tant redouté, qui a transformé la petite boutique de nouveautés en grand magasin. Il vient parler à son ami.

La scène se déroule à quelques centimètres de nous, nous sommes au cœur de l'histoire. Une expérience théâtrale immersive très différente d'une représentation traditionnelle.  

Le bureau d'Alphonse : un des décors de la pièce de théâtre "Au bonheur des dames" d'Emile Zola, lors de l'avant-première qui s'est tenue au Bon Marché, le 7 juillet 2022  (CORINNE JEAMMET)

Octave quitte Alphonse, indiquant qu'il va voir Gaspard. Le couturier est la nouvelle coqueluche que les Parisiennes s'arrachent. Le public lui emboîte le pas et traverse dans l'obscurité l'espace qui le sépare de la scène suivante : un salon de création avec des robes sur des stockmans, un bureau qui déborde de croquis, une machine à coudre, de grosses bobines de fil de couleurs...

Le salon de création de Gaspard : un des décors de la pièce de théâtre "Au bonheur des dames" d'Emile Zola, lors de l'avant-première qui s'est tenue au Bon Marché, le 7 juillet 2022  (CORINNE JEAMMET)


Le plateau de théâtre s’étend sur l'ensemble du second étage, au milieu des espaces de vente, que l'on oublie car le magasin est plongé dans le noir. Plusieurs scènes sont jouées au même moment, dans des lieux et des décors différents. Des panneaux indiquent les différentes scènes : salon des hommes, bureau de l'inspecteur Jouve, boudoir d'Henriette... 

Même s'il est impossible de les voir toutes, cela ne nuit en rien à la compréhension de l'histoire. Chaque scène doit éclairer le spectateur sur la nature des différents personnages et, surtout, l'aider à comprendre qui est le coupable. 

Un des décors de la pièce de théâtre "Au bonheur des dames" d'Emile Zola, lors de l'avant-première qui s'est tenue au Bon Marché, le 7 juillet 2022  (CORINNE JEAMMET)

L'heure de la révélation 

Ma déambulation se poursuit, je quitte mon groupe pour voir ce qui se passe un peu plus loin. De loin en loin brillent des lampes qui indiquent qu'une scène est en train de se jouer. Avec 3 000 m2 de jeu, le conseil de mettre des chaussures confortables était de bon aloi. 

Je prends le temps de regarder les décors, ici un étal de vendeuse avec ses rouleaux de tissus aux couleurs chatoyantes, là le comptoir d'une modiste avec ses différents chapeaux et son miroir, un peu plus loin dans un espace habituellement dédié aux cabines d'essayage, est installé un boudoir : un miroir, une brosse à cheveux, des flacons, au sol une malle. 

Un des décors de la pièce de théâtre "Au bonheur des dames" d'Emile Zola, lors de l'avant-première qui s'est tenue au Bon Marché, le 7 juillet 2022 (LE BON MARCHE RIVE GAUCHE)

Je marche dans ce décor grandeur nature, comme beaucoup d'autres. Au fil de mes pérégrinations, je découvre d'autres personnages : ils sont trente à nous aider à reconstituer le puzzle de cette nuit fatidique qui se termine par un bal masqué où a lieu le meurtre. Après deux heures de spectacle, chaque participant doit se servir du jeton reçu en début de soirée pour voter et désigner le meurtrier. C'est l'heure de la révélation. Le temps est passé à toute vitesse. 

"Une part d'improvisation"

Si le théâtre immersif est une autre façon d'expérimenter le spectacle vivant, donnant l'impression au spectateur d'être aussi acteur, il requiert certaines qualités d'improvisation chez les comédiens : "C'est une expérience pour nous aussi, on s'adapte. Comme tout se joue en même temps, parfois, il y a des temps d'attente qu'il faut meubler", explique une des comédiennes, pour qui c'était la première expérience de théâtre immersif. "Il y a aussi un travail à faire sur la voix car ce n'est pas une salle de spectacle classique. Au niveau de l'espace, c'est plus fatigant, on ne s'arrête jamais. On est obligé d'être extrêmement concentré car là, il y a du monde autour de nous.

Cette performance complètement déroutante, au cours de laquelle le spectateur est partie prenante du spectacle, est une expérience jubilatoire. Seul bémol : on aimerait garder une trace de ce moment magique, mais il est interdit d'utiliser son téléphone portable pendant toute la durée de la pièce.  

Théâtre immersif "Au Bonheur des dames" jusqu'au 29 avril 2023. Réservation sur le site Le Bon Marché Rive Gauche, 21, rue Velpeau. 75007 Paris. 75 € par personne. De 20h30 à 23h.

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