Nicole Croisille au Off d'Avignon : "Même à 80 ans on peut travailler avec des trentenaires foufous !"
On l'a vue récemment dans "Irma la Douce" ou "l’Opéra de quat'sous", montrant encore toute l’étendue de son talent, chanteuse, show woman mais aussi excellente comédienne. Avec Notte c’est un tout autre univers qu’elle découvre, de nouveaux territoires aussi provoquants, déconcertants et ubuesques que le musicien qu’il évoque : Erik Satie.
Dans une maison de famille où le jeune Satie, cassant, cinglant, ne trouve sa place, on échange des aphorismes et des textes écrits par lui, on fredonne des chansons de variétés qu'il a composées. "Night in White Satie" est à l’image du titre, assez énigmatique et déroutant quand on connaît mal le compositeur des années 20. Il est davantage pour les familiers de Pierre Notte dramaturge. Mais on ira cependant pour le plaisir d’entendre la pianiste, Donia Berriri, les comédiens, Nelson-Rafaelle Made, Kevin Mischel et Anita Robillard, finement dirigés et surtout Nicole Croisille en guest star, qui nous régale de quelques mélodies charmantes. Rencontre.
Faire le Off d’Avignon, c’est une sorte de défi ?
Nicole Croisille : Le défi d’Avignon, c’est assurer ma dernière ligne droite avec plein de choses que je n’ai pas faites avant, parce que enfermée un peu dans le carcan de la chanson. On est dans un pays où on va de carcan en carcan. Il faut sortir de l’un pour aller travailler sur l’autre.
Comment avez-vous rencontré Pierre Notte ?
On se connait depuis quelques années, j’allais voir ses pièces que je trouvais très drôles, très incisives très intelligentes au niveau de l’écriture, quelqu’un avec qui on a envie de travailler. Il s’est trouvé que lui était un fan depuis l’enfance, il faut bien dire qu’on a 33 ans de différence. J’étais installée quand lui est venu au monde. Il est né au moment où je chantais "I’ll never leave you", si on veut croire aux coïncidences !
Quand il a travaillé sur une soirée Satie commandée par l’ADAMI, qui nous reverse nos droits d’interprètes, il était comme moi, il connaissait les Gymnopedies, les Gnossiennes, certains morceaux qui sont joués à peu près constamment par les musiciens classiques et même les musiciens de jazz car la structure de la musique de Satie était un renouveau pour la composition musicale.
Et donc Il a commencé à creuser le sujet, il a découvert le bonhomme, qui était vraiment Erik Satie. Il s’est rendu compte qu’il y avait un lien de parenté entre lui et Satie qui est évident d’humour grinçant, de mélancolie dans la personnalité et en même temps un œil très critique sur la société. Il a reconnu en lui une sorte de grand père. De même que j’ai découvert en commençant à travailler, qu’il y a une filiation avec Desproges, Desproges a cette forme de pensée, on change un peu l’essence même des mots, et les utilise autrement…
Donc on a fait la soirée. Et tous étaient étonnés que j’ai participé. Mais c’est ça de faire partie de cette famille d’artistes, c’est ça qui m’intéresse, en tout cas à partir de maintenant. A 4 fois 20 ans je fais ce qui m’intéresse, ce dont j’ai envie, on ne peut plus me contraindre à rester dans un créneau sous prétexte que si j’en sors ce peut être un flop. Si je fais un flop ça ne changera rien à ce que j’ai fait avant. On dira : soit elle a fait un mauvais choix, soit elle a été mal utilisée. Peu importe ce qu’on dira, moi j’aurai vécu une aventure supplémentaire, c’est ça qui compte !
La soirée Satie est devenue un spectacle ?
Oui mais quand il s’est agi de venir à Avignon, Notte avait en tête que je ne supporte pas la chaleur, mais pas du tout. Donc il ne m’en a pas parlé. Quand j’ai appris que la grande soirée que nous avions montée à 17 allait se remonter à 5, et que l’horaire était 22h15, heure à laquelle je peux sortir car la température devient supportable, je suis allée voir Notte et comme la première fois je lui ai dit "Et tu ne me demandes pas de faire Avignon !?" Et voilà comment je me retrouve ici ! J’étais venue pour les "Monologues du vagin", mais à chaque fois c’était sur un laps de temps de 10 jours. Là c’est un mois.
Je sais que je ne suis pas de la génération du théâtre contemporain, les codes ont changé. Notte est hors codes mais il a ses codes à lui qui sont à l’inverse de tout ce qu’on m’a appris pendant 60 ans, donc évidemment ça me demande un certain travail d’adaptation… Je suis souvent déstabilisée par ses propositions, et je n’ai pu le savoir qu’en commençant à travailler avec lui.
Et comment ça se passe ?
Je suis obligée d’adopter un rythme dont je n’ai pas l’habitude, c'est-à-dire de rester enfermée jusqu’à 20h. Je sors si j’ai une course à faire, mais j’ai l’impression que je cuis ! Je fais très vite !
On a du monde, les gens sont enthousiastes, des gens de tous âges. Ceux d’un certain âge sont surpris par le ton "gugusse". Même moi je fais des choses qu’on a pas l’habitude de me voir faire et je suis ravie. Ça peut ouvrir l’esprit des gens en leur rappelant que même à 80 ans on peut travailler avec des trentenaires foufous ! Ce n’est pas loin de la provocation. A des moments Notte se permet des petites touches à connotations sexuelles… Satie aussi avait joué avec ça. On était dans les années 20/30, Satie vivait dans un cercle de gens très libérés, Picasso, Picabia, Cocteau. Le groupe des Six, considéré comme les musiciens révolutionnaires de l’époque, au départ c’est Satie qui a monté ce groupe, puis il l'a quitté.
Cet homme-là est mort dans l’anonymat, la pauvreté totale, c’est uniquement dû à son caractère et à sa façon d’appréhender le monde extérieur. Il a été terriblement misogyne, mais il allait au cabaret "Le Chat Noir", séduit par les petites danseuses...
On sent que vous vous amusez beaucoup ?
Je m'amuse beaucoup, mais à certains moments j’avais des retenues qui venaient de la façon dont j’ai appris à travailler. Même si j’ai envie de sauter par-dessus les barrières et les ponts, je dois ménager les gens qui ont eu la bonne idée d’apprécier mon travail. Il faut qu’ils soient convaincus par ce que je fais, je ne peux pas faire les pieds au mur. Il a fallu que Notte accepte d’abandonner que je ne fasse pas certaines petites "amuseries" qu’il voulait que je fasse. Ce spectacle, même si ça a l’air d’une débandade, en réalité c’est millimétré. Il exige de nous tous une énergie féroce.
Vous allez aller voir d’autres pièces ?
Je vais commencer à affronter la chaleur au moins une fois par jour pour voir des spectacles. J’ai vu "Les Pâtissières" de Christine Murillo, elles sont craquantes. Je vais aller voir "Sur la route de Madison", mis en scène par Anne Bouvier. J’ai connu son père, Jean-Pierre Bouvier, jeune premier magnifique. Il vieillit merveilleusement.
D’autres projets après Avignon ?
Je vais petit à petit sortir de la chanson par la force des choses. Il y a quatre générations derrière moi. Je suis déjà sur l’étagère du musée, ce qui est valorisant ! Je suis considérée comme quelqu’un qui a bien travaillé, mais plus dans le coup. Alors qu’avec le jazz, je sais que je suis toujours en avance sur ce qui se fait… Mais j’ai d’autres envies, d’autres tensions puisque je voulais être actrice. Et je continue à travailler ma voix en tant que chanteuse classique, pour que la qualité ne baisse pas.
J’ai la chance d’avoir dans les mains une pièce avec le rôle-titre "Jeanne", je suis déjà en train de travailler dessus. C’est le directeur du théâtre de la porte Saint-Martin où nous avons créé "Irma" qui me l’a proposée. Pour être reconnue autant en tant qu’actrice que chanteuse, il faut une pièce où je ne chante pas.
Il me fallait un coup de chance, le voilà. Donc pas de vacances !
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