Magnifique Isabelle Huppert, trois fois Phèdre
Sur la scène de l'Odéon, une femme juchée sur d'immenses talons chante Oum Kalthoum (Nora Krief qui jouera par la suite Oenone, la confidente de Phèdre), une autre (Rosalba Torres Guerrero), androgyne et sculpturale, se livre à une danse torride. Entre une troisième, lunettes noires et long manteau qui s'ouvre sur une guêpière, c'est Isabelle Huppert, Aphrodite avant d'être Phèdre sous toutes ses facettes, dans un monde qui ressemble furieusement au notre.
Il y aura la Phèdre de Wajdi Mouawad, inspirée de Sénèque et d'Euripide : c'est une émigrée déracinée. La Phèdre de Sarah Kane, esclave de ses sens se consume de désir. Celle de J.M. Coetzee, portée par son personnage d'Elisabeth Costello, est une intellectuelle qui disserte sur le désir féminin.
Huppert se donne toute entière
Dans un décor de loft chic et épuré, avec douche en fond de scène, lavabo et rangée de fauteuils rabattus, Huppert se donne toute entière, intense, impudique, condamnée par son amour interdit et scandaleux.Le spectacle s'ouvre donc sur le texte de Mouawad dont on attendait beaucoup, mais l'histoire si limpide de Phèdre s'égare dans des digressions un peu confuses malgré la beauté hypnotique et sulfureuse distillée par Warlikowski. Et déjà Huppert se livre, son vagin saigne, elle se pend, nous laissant perplexe !
C'est ensuite au tour de Sarah Kane qui oppose Phèdre à un Hippolyte (étonnant Andrezej Chyra), ado apathique, qui se masturbe paisiblement en regardant en boucle Psychose à la télévision. Huppert incarne magnifiquement ce personnage, qu'elle dit elle-même être une pute, avec quelque chose de la soumission des poupées gonflables.
La force de l'écriture de Sarah Kane permet de faire passer des situations, qui ainsi décrites, pourraient paraître extrêmement scabreuses.
Huppert constamment sur scène, constamment surprenante car réussissant à caractériser chacune de ces trois Phèdre et en même temps à lui donner son unité de femme coupable.
Le spectacle monte en puissance
Ce spectacle (3h avec entracte) monte encore en puissance avec le texte du grand écrivain sud-africain Coetzee, où Huppert incarne une conférencière dissertant avec une distance pleine d'ironie sur le désir féminin.Le personnage de Phèdre ne revient qu'à la fin, quand arrivent ce que personne n'osait plus espérer, quelques vers de Racine. Moment de beauté dans ce monde de brutes, ils disent aussi la douleur de l'amour à travers l'une de ses héroïnes les plus emblématiques. A tel point qu'on rêve maintenant d'entendre Huppert dans la tragédie de l'auteur français.
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