"Les Suppliques" : le théâtre au service du devoir de mémoire
Sur un plateau nu, où le public est disposé de part et d'autre, résonne la voix du maréchal Pétain. Celles et ceux qui lui écrivent ne savent pas encore que le héros de la guerre de 14 ne sera pas leur sauveur, mais leur bourreau. À l’origine de cette pièce, le producteur de cinéma Alexandre Hallier, qui travaille avec l'historien Laurent Joly sur ces lettres, a l'intuition que le théâtre peut s'emparer de ce sujet.
Julie Bertin et Jade Herbulot s'emparent de ce sujet en choisissant six lettres sur les centaines que l'historien a extraites des archives nationales : "C'est déchirant de voir que ces personnes écrivent à leur bourreau, parfois directement au maréchal Pétain, explique Julie Bertin. Elles demandent que justice soit faite et nous, aujourd'hui, nous savons que c'est peine perdue." Cette rencontre entre les archives et le théâtre est une réussite : "Tout l'enjeu, dit Jade Herbulot, c'est de convoquer ces fantômes, ces publiés de l'histoire et de leur rendre leur dignité."
"Les derniers survivants de la Shoah sont en train de disparaître. Humblement, on essaie de porter ces récits au théâtre."
Julie Bertin, co-metteuse en scèneà franceinfo
Sur scène, quatre comédiens, deux jeunes et deux plus âgés, sont tour à tour narrateurs, lecteurs de ces lettres et jouent des scènes qui comblent les trous dans le récit. Les deux metteuses en scène ont enquêté pour savoir ce qu'étaient devenues ces familles, peu ont survécu. Le cas le plus émouvant est sans nul doute celui de Léon Kacenelenbogen. Juif né en Pologne, raflé en zone libre, il échappera à la mort et ses deux lettres écrites au maréchal Pétain sont empreintes de rage de vivre et d'ironie : "Je suis un vulgaire juif, un sale youpin, écrit-il, mais j'ai 20 ans et je veux vivre."
"Actualité de la haine"
Sobrement, la pièce sort de l'oubli les familles Schleifer, Lévy, Haguenauer, Grunebaum, Kacelenebogen et Lewin. Un geste mémoriel violemment percuté par l'actualité récente, le conflit au Proche-Orient et l'explosion d'actes antisémites : "On reconnaît une rhétorique contemporaine, confie Jade Herbulot, il y avait une actualité de la haine."
Le spectacle se double d'une exposition dans l'entrée du théâtre Gérard-Philipe, avec des reproductions de ces lettres, destinées entre autres aux nombreux scolaires qui verront la pièce.
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