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"Les Bonnes" de Genet dans une version renversante de Katie Mitchell à Avignon

Adaptation de la metteuse en scène britannique Katie Mitchell, création néerlandaise, en néerlandais et polonais, du texte de Jean Genet, "De Meiden" ("Les Bonnes") est peut-être la création la plus cosmopolite de ce 71e Festival d’Avignon. Datant de 1947, elle est ici très actualisée en y insérant les thèmes du travestissement et des migrations ouvrières. Une version élégante et décoiffante.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Thoma Cammaert et Chris Nietvelt dans "De Meiden" mis en scène par Katie Mitchell (2017)
 (Jan Versweyveld )

Amour-haine

Jean Genet s’est toujours défendu de s’être inspiré du crime des sœurs Papin, au Mans en 1932, qui avait fait la Une des journaux de l’époque. La pièce stigmatise le contexte idéologique de luttes de classes du temps. Il est douteux que Genet n’eût pas conscience de sa source, évidente aux yeux de tous. Provocation ? Toujours est-il que la pièce s’ouvre à de nombreuses options de mise en scène, terreau sur lequel s’engouffre Katie Mitchell avec délectation, et nous avec.
L’ouverture du rideau sur la scène semble découvrir un écran de cinéma scope (écran large) dans le pur plus style glamour. Dans une chambre très raffinée jouxtant côté jardin un dressing achalandé de robes luxueuses, et un couloir dans le même ton, côté cour, une bonne s’affaire dans une course frénétique, pendant que sa sœur, également domestique, se maquille. Elles préparent "la cérémonie", la répétition in vivo de l’assassinat de "Madame", un travesti, dont l’amant vient d’être emprisonné, et envers laquelle elles vouent un culte d’amour-haine irrépressible.

Sadomasochisme

Originellement situé en France, Katie Mitchel transfert le drame à Amsterdam, de nos jours, les bonnes étant des immigrées polonaises travaillant aux Pays-Bas. Aussi s’expriment-elles alternativement en néerlandais et en polonais, le spectacle étant surtitré en français, en deux couleurs différentes selon les deux langues. Complexes, les personnages comme l’intrigue sont projetés dans une mise en scène sophistiquée, aux décors et éclairages somptueux qui recoupent les ingrédients de l’intrigue. La préparation d’un crime. Quand Madame arrive, dans son ensemble parme, sur des talons de 12 cm de haut, la tension est à son comble. Insultante et méprisante, elle joue un rôle de maîtresse, humiliant ses esclaves comme dans un rituel sadomasochiste.
Marieke Heebink et Chris Nielvelt dans "De Meiden" mis en scène par Katie Mitchel (2017)
 (Jan Versweyveld )
En introduisant le thème des flux migratoires, non pas de réfugiés, mais prolétariens en Europe, Katie Mitchel actualise le thème de luttes des classes qui constitue le sous-texte de Genet. La dernière tirade de la pièce est de ce point de vue éloquente et magnifique. le sujet du travestissement est plus flou, mais se réfère à l’homosexualité de Genet qui en constitue une figure emblématique. Mais au-delà, c’est le thème du double qu’il stigmatise, cet amour-haine autant développé par les bonnes que leur maîtresse. Double que l’on retrouve chez ces deux sœurs déracinées (entre deux pays), aux deux caractères antinomiques et complémentaires, qui établissent aussi entre elle un rapport de domination/soumission.

Le texte puissant de Genet est comme transcendé par cette mise en scène époustouflante de beauté et de cohésion. Une appropriation de l’œuvre originale, aboutie, et comme son prolongement logique et implacable.

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