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Le "Tartuffe" voluptueusement chrétien de Michel Fau et Michel Bouquet

C'est l'événement de cette rentrée théâtrale, Michel Fau met en scène "Tartuffe" au Théâtre de la Porte Saint-Martin en se réservant le rôle de l'imposteur, face à Michel Bouquet dans celui d'Orgon. Rien que pour ce face à face entre ces deux monstres sacrés, la pièce vaut d'être vue.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Michel Bouquet et Michel Fau dans "Tartuffe"
 (Marcel Hartmann)

Le rideau se lève sur un décor d’église à la fois beau et inquiétant, confiné, comme vu à travers un miroir déformant. La famille y est rassemblée, chacun vêtu de précieux costumes et figé comme un saint dans sa niche. Au-dessus des ogives, une ribambelle d’angelots dodus assistent goguenards au cauchemar qui se trame en bas.

"Tartuffe", décors d'Emmanuel Charles
 (Marcel Hartman)
Car tous attendent Orgon le maître de Maison, incontrôlable depuis qu’il s’est entiché de Tartuffe, le faux dévot qui met la maison sens dessus dessous. Après un long monologue de Madame Pernelle, la mère d’Orgon (Juliette Carré, épouse à la ville de Michel Bouquet), que l’on croit tout droit sorti d’un des plus incroyables traités de dévotion de l’époque, entre en scène celui que tout le monde attend. Orgon-Bouquet. Tout de noir vêtu, sombre, colérique, l’homme est claquemuré sur son projet insensé : marier sa fille à Tartuffe.

"Rien de plus méchant n’est sorti de l’enfer" 

A bientôt 92 ans, frêle silhouette et démarche hésitante, Michel Bouquet a toujours cette présence intense qui capte le regard, cette voix grave qui porte haut la parole de Molière. Dans une des plus belles scènes, il affronte sans faillir Dorine, la servante bravache incarnée par l’excellente Christine Murillo qui illumine le spectacle. Lui, le dévot buté et inflexible, elle, le bon sens et la générosité en action, qui ne mâche pas ses mots pour qualifier Tartuffe : "Rien de plus méchant n’est sorti de l’enfer".
 
Dans sa mise en scène, Fau s’amuse des contrastes, mélange avec dextérité effroi et drôlerie. Ainsi Marianne (Justine Bachelet) et son amoureux Valère (Aurélien Gabrielli), défendus par Dorine, sont des sales gosses un peu perchés. Déstabilisés par le projet d’Orgon, ils se crêpent littéralement le chignon.
 
Et quand Fau entre à son tour en scène, c’est en se flagellant au pied d’un autel, avant de revêtir les habits de Tartuffe, une cape rouge de cardinal ou de diable. Odieux et concupiscent à souhait lorsqu’il cherche à séduire Elvire (Nicole Calfan qui joue très bien les absentes éthérées). 
La concupiscence de Tartuffe pour Elvire
 (Marcel Hartmann)

Les costumes outre leur beauté, ont cela d’intelligents qu’ils définissent immédiatement le caractère des personnages. Du look gothique, à la Marilyn Manson, de Damis le fils honni (Alexandre Ruby), à la robe dorée très Sainte Vierge d’Elvire (Nicole Calfan), en passant par Dorine en babouchka russe le cœur sur la main.

Le maître et l'élève

C’est un moment étrange de voir enfin sur scène, dans une des plus belles pièces du répertoire, Fau et Bouquet, dont l’un a été l’élève de l’autre. 
Michel Bouquet est Orgon, Michel Fau, Tartuffe
 (Marcel Hartmann)
Bouquet qui fait d’Orgon un moine ascétique qui n’a même pas besoin de Tartuffe pour s’épanouir, va très loin dans cette incarnation. Le Tartuffe de Michel Fau joue beaucoup sur la fausse dévotion, ce qui est le propos de Molière. Fau y met une gourmandise réjouissante dans son hypocrisie, très différent du personnage glaçant qu’incarnait Micha Lescot dans la version de Luc Bondy.
 
Dieu est décidément partout dans ce Tartuffe très baroque de Michel Fau, qui reste au plus proche d’un texte que tous nous font merveilleusement entendre. Un spectacle avec de belles fulgurances, monté comme un rêve de plus en plus noir…

 

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