"Le Portrait de Dorian Gray" : l'importance d'entendre Oscar Wilde
Sobriété élégante
Succès aidant, l’adaptation dramatique du "Portrait de Dorian Gray", créée au Lucernaire, a migré à la Comédie des Champs-Elysées, pour bénéficier d’une salle plus grande, à l’italienne, écrin qui lui sied à merveille. Thomas Le Douarec met en scène et interprète l’hédoniste Lord Henry ; Arnaud Denis (en alternance avec Valentin de Charbonnière), Dorian Gray ; Caroline Devisme (en alternance avec Lucille Marquis), Sybil Vane, Sally la prostituée, et Gladys ; Fabrice Scott, le peintre Basil Hallward et le frère vengeur de Sybil. L’histoire est bien connue : le jeune Dorian Gray, issu de la haute bourgeoisie londonienne, détient son portrait qui prendra ses rides et affichera tous ses vices, au fil des ans, alors que, lui, gardera jeunesse et beauté. Une variation de Faust qui a souvent été comparée à "La Peau de Chagrin" (1830) de Balzac.La scénographie de Thomas Le Douarec est sobre : tenture noire, un canapé, un fauteuil, un lustre, et le portrait dans un angle, toujours de dos. Des brumes toutes londoniennes envahissent parfois la scène et une belle lumière de Stéphane Balny éclaire les acteurs, souvent en les isolant sur le plateau. Ce minimalisme est abandonné à l’issue de la représentation théâtrale de Sybil, une désastreuse prestation devant les amis de Dorian. L’on se retrouve derrière le rideau de scène, alors que la comédienne se fait huer par le public et rabrouer par son "prince charmant", le surnom qu'elle donne à Dorian. Belle idée de mise en scène qui est aussi le pivot de l’histoire.
Fin de siècle
Thomas Le Douarec, sous la défroque du cynique Lord Henry, forme un duo à l’unisson avec Arnaud Denis, dans la peau de l’éphèbe et décadent Dorian Gray. Le premier a parfois des intonations rappelant Philippe Noiret et le second évoque par moment un Bela Lugosi jeune. Caroline Devisme, coiffée de longues boucles rousses, incarne une héroïne toute préraphaélite, une de ces "stunners" (bombes) comme les qualifiaient les membres de cette confrérie de peintres anglais, contemporains de Wilde. Fabrice Scott est quant à lui au diapason du fade Basil Hallward, auteur du terrible portrait et secrètement épris de Dorian. Les costumes de José Gomez (dessinés par Frédéric Pineau) leur vont à ravir (précieux pour Dorian, négligemment raffinés pour Lord Henry). Mais pourquoi ce motif répétitif écossais ? Nous sommes à Londres et Wilde était irlandais. Ils participent toutefois grandement de la mise en scène en en constituant pratiquement le décor.
Cette sobriété relative de la mise en scène, ponctuée de deux chansons et par la musique de Mehdi Bourayou, sert avant tout le texte fluide et ciselé d’Oscar Wilde. Comme dans le roman, et sa meilleure adaptation au cinéma (1945) par Albert Lewin, avec George Sanders en Lord Henry, c’est ce dernier qui s’octroie la part du lion. Avec ses aphorismes incessants sur la société britannique, la morale victorienne, le plaisir, et sa misogynie maladive. Wilde y dévoile plus que jamais ses passions esthétiques. L’écrivain s’apparente à un Huysmans anglais, et Dorian au Des Esseintes de "A Rebours" (1884). Thomas Le Douarec prend cependant quelques libertés, plus la conclusion approche (la partie de chasse devient un ball trap doublement meurtrier sous la main de Gray...) Des changements qui précipitent et simplifient un peu trop le texte originel, comme pour en finir promptement. C’est toutefois un vrai bonheur d’entendre la prose wildienne sur scène, servi par un Thomas Le Douarec, dont le plaisir est franchement communicatif.
Le Portrait de Dorian Gray
D'après le roman d'Oscar WILDE
Mise en scène de Thomas LE DOUAREC
Avec en alternance Arnaud DENIS ou Valentin de CARBONNIERES, Lucile MARQUIS ou Caroline DEVISMES, Fabrice SCOTT et Thomas LE DOUAREC
Musique originale et direction musicale : MEHDI BOURAYOU
Paroles: THOMAS LE DOUAREC
Lumières : STÉPHANE BALNY
Costumes : JOSÉ GOMEZ D’APRÈS LES DESSINS DE FRÉDÉRIC PINEAU
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