"Le Fléau, Mesure pour mesure" : Léonard Matton adapte Shakespeare dans une pièce immersive flamboyante au Palais-Royal

Pièce de jeunesse de Shakespeare, qui a 19 ans quand il la publie en 1623, Mesure pour mesure est jouée dans le Domaine national du Palais-Royal, à Paris, jusqu’au 27 août. Déambuler entre les colonnes de Buren, et celles, plus classiques de l’enceinte majestueuse, en frôlant les comédiens costumés au milieu du cadre Renaissance, relève plus de l’expérience que du spectacle. Une pièce brutale, moderne, jouée par des acteurs transportés dans un écrin de plein air majestueux, côté jardin du Français.

Le dédale de Buren

À Vienne contaminé par la peste, le jeune ministre Angelo prend le pouvoir après la défection du Duc Vincentio. Modèle de rigueur et de vertu, il ferme les théâtres et les maisons : prostituées, maquereaux et rabatteurs subissent les coups de la loi. Les couples illégitimes sont condamnés à mort ou à l'exil. Mais lorsqu’Angelo rencontre la chaste Isabelle, jeune requérante auprès de lui pour sauver son frère condamné à mort, son désir le fait abuser de son pouvoir pour la tromper.

La Première du Fléau, Mesure pour Mesure a entraîné 150 spectateurs regroupés par grappes pour suivre une action éclatée aux quatre coins de la place du Palais. L’action est là, l’action est là, l’action est là, elle est partout. Ici une prostituée se gausse du nouveau pouvoir, là, un maraud se fait emprisonner pour fornication, ailleurs un prêtre intrigue pour le sortir de là, alors que la frêle sœur du condamné se fait séduire par le maître de Vienne… Une scène se clôt, qu’une autre est déjà en cours ailleurs, il faut la rejoindre dans le dédale de Buren, en prendre une bribe ici et une autre là, les comédiens et comédiennes vous frôlent dans leurs magnifiques costumes, ou sont là, à votre côté… Et l’on rassemble les bribes, entendues ici et là, pour construire un récit, comme perçu au fil des rues. La résolution s’effectuera autour d’un parterre improvisé, comme une Agora, où Mesure pour mesure prendra tout son sens.

Le texte court

La remise de magnifiques loups pour masquer le visage à l’entrée du spectacle est un beau goodies actualisé au goût de la Renaissance, époque de la pièce, alors qu’une musique baroque flûtée et tambourinée rythme l’action dans la cour. La compagnie Emersion, forte de dix-huit comédiens et comédiennes sur le plateau, compose le tableau éclaté d’une pièce qui se prête aux déplacements et déambulations. Le texte court de cour en cour, le spectateur le rattrape, percevant qu’à droite, à gauche, quelque chose se passe, il suit un groupe, en quête de la dernière nouvelle, et puis non, là, derrière, que vocifère le maquereau à sa maquerelle ?

Après Helsingør - château d'Hamlet, à Vincennes en 2019 et 2021, Léonard Matton s’attaque à un autre Shakespeare que d’aucuns ont qualifié d’"inclassable". La proposition du traducteur, adaptateur et metteur en scène recoupe l'originalité du propos de l’auteur du XVIIe siècle. Il signe une tragicomédie satyrique de son temps que l’on peut reprendre à notre compte, comme c’est toujours le cas des grands auteurs. La mise en scène de Léonard Matton lui donne l’écrin idéal du Palais-Royal actualisé par Buren, au carrefour du classique et de l’innovation qui définissent la modernité. Splendide.

Le Fléau, Mesure pour mesure
D’après William Shakespeare
Mise en scène : Léonard Matton

Avec : Roch-Antoine Albaladejo, Thalie Amossé, Jean-Baptiste Barbier-Arribe, Dominique Bastien, Maxime Chartier, ‘Zazie Delem, Camille Delpech, Marjorie Dubus, Thomas Gendronneau, Jean-Loup Horwitz, Laurent Labruyère, David Legras, Justine Marçais, Mathias Marty, Drys Penthier, Jacques Poix-Terrier, Jérôme Ragon, et Floriane Delahousse. Carla Girod & Maëlys Simbozel (en alternance)

Les 10, 11, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26 et 27 août 2023, 20h.

Domaine national du Palais-Royal
Place Colette, Paris 1er
Réservation : Le Secret