"Le Crépuscule des singes" au Théâtre du Vieux-Colombier : les vies de Molière et Boulgakov, travailleurs acharnés sous le poids de la censure
Dans le cadre de la saison Molière de la Comédie-Française, une création fait se rencontrer deux génies : Molière et Boulgakov. "Le Crépuscule des singes" se joue au Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 10 juillet.
Le Français Molière. Le Russe Boulgakov qui fut son biographe. Trois siècles séparent ces deux écrivains-dramaturges et pourtant leurs destins se rejoignent : deux génies, le second prenant le premier pour modèle, deux travailleurs acharnés au prix de leur santé, brisés par la censure. C’est le cœur du Crépuscule des singes, création d’Alison Cosson et Louise Vignaud qui vient s’ajouter à la riche année célébrant les 400 ans de Molière proposée par la Comédie-Française.
Mikhaïl Boulgakov (Pierre Louis-Calixte), brillant auteur du Maître et Marguerite, son œuvre la plus célèbre, dramaturge fêté dans les premières années de l’Union Soviétique, amoureux de Elena (Coraly Zahonero), reçoit la visite d’un émissaire du Bureau politique : sa dernière pièce ne pourra pas être jouée. Pire, tout son répertoire est interdit et ses livres retirés des rayonnages des bibliothèques. On lui reproche d’être contre le régime, déstabilisant pour le peuple. Nous sommes en 1929.
Louis XIV et Staline
Dans une très jolie scène, surgissent alors du passé trois collègues, Chapelle, Boileau et La Fontaine, passablement éméchés venus encourager Boulgakov. Molière, leur ami qui arrive peu après, lui apporte à son tour un soutien confraternel. Par-delà les époques les deux hommes vivent les mêmes difficultés, les mêmes humiliations de la part du pouvoir (Louis XIV pour Molière, Staline pour Boulgakov), les mêmes découragements. C’est d’ailleurs à cette époque que, victime de la censure, Boulgakov se tourne vers son illustre prédécesseur pour lui consacrer le fameux Roman de monsieur de Molière.
La performance de Thierry Hancisse
Dommage que la suite de la pièce se contente d’alterner les deux trajectoires, les deux époques, omettant de faire dialoguer les deux hommes. On passe ainsi, dans une jolie et sobre scénographie d’Irène Vignaud, de l’appartement de Boulgakov au théâtre des Arts de Moscou, de Versailles à la maison de Molière. Autour de Molière (Nicolas Chupin) et de Boulgakov (Pierre Louis-Calixte), la troupe se démultiplie : Gilles David, Christian Gonon, Géraldine Martineau, Claïna Clavaron joue plusieurs personnages. Quant à Thierry Hancisse, il est brillamment à la fois le porte-parole de la censure, Madame de Rambouillet qui se reconnaît et s’offusque des Précieuses Ridicules, le Directeur de théâtre trouillard et veule, l’Archevêque hypocrite qui obtient l’interdiction du Tartuffe, la Mort…
Hymne à la liberté de création et aux artistes
Les scènes où les deux artistes affrontent leurs censeurs sont parmi les plus poignantes tant le dominant a de la jouissance à exercer son pouvoir, qu’il soit roi, membre du parti communiste ou dame de cours. Et la galerie de portraits du théâtre moscovite en est la douloureuse illustration : pas une semaine sans que le visage d’un artiste soit décroché et ne disparaisse. Cet hymne à la liberté de création et aux artistes résonne bien sûr et malheureusement à travers les époques. Mais de ce message méritant et universel, on attendait encore plus.
"Le Crépuscule des singes" d'après les oeuvres de Molière et Boulgakov, d'Alison Cosson et Louise Vignaud
Mise en scène Louise Vignaud
Du 1er juin au 10 juillet 2022 à 20h30, dimanche à 15h
Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier
01 44 58 15 15
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