"La Trilogie de la violence" : Simon Stone et la vengeance des femmes
Simon Stone s'inspire de trois pièces élisabethaines
Pour nous raconter une histoire d’aujourd’hui, Simon Stone (dramaturge, metteur en scène et artiste associé à l’Odéon-Théâtre) puise dans trois pièces élisabéthaines qui traitent de la violence faite aux femmes. Il leur donne une dimension contemporaine, car ici contrairement aux pièces d’origines, les femmes se vengent. La surprise commence dès l’entrée où le public est scindé en deux groupes. Le nôtre se retrouve dans un décor de traiteur asiatique un peu miteux où se prépare un mariage. Adèle Exarchopoulos en robe de mariée, complétement désabusée, mange des nems en fumant cigarette sur cigarette. Sa mère bourgeoise névrosée (Valeria Bruni Tedeshi) surgit alors, lui reprochant le choix désastreux de son mari. On est au Havre, mais on pourrait être dans une autre ville de province rongée par l’ennui. On croisera aussi les parents du marié, au bord de la rupture et la jeune sœur qui semble cacher un lourd secret. Tout cela en l’absence du marié, qui a disparu on ne sait où.
Les comédiens passent d'une scène à l'autre
Après le premier volet, changement de lieu. Nous voici dans une chambre d’hôtel où va se jouer la suite du drame familial. Les personnages ont vieilli. Certains incarnent cette fois leurs propres enfants. Brusquement nous nous rendons compte que tous les comédiens qui sont devant nous, continuent de jouer devant l’autre groupe, passant d'une scène à l'autre qui s’emboitent comme les pièces d’un appartement.
Une histoire qui réussit à avoir sa propre identité
Et la grande virtuosité de Simon Stone auteur, est qu’après la première partie où il utilise la trame de "Dommage qu’elle soit une putain" du dramaturge anglais John Ford (1626), il s’inspire cette fois d’une pièce peu connue de Thomas Middleton, une jeune fille partagée entre un jeune homme qu’elle doit épouser et celui qu’elle aime. Et le miracle de cette scénographie, de cette direction d’acteurs qui jouent plusieurs personnages est que l’on comprend toute l’histoire, qui malgré ses références, a sa propre identité.
ll y aura une troisième partie, un peu moins convaincante d’après le très sanglant "Titus Andronicus" de Shakespeare, mais cette fois la violence faite aux femmes se transforme en vengeance.
L'excellence de la troupe
Simon Stone réussit son pari de faire jouer son spectacle simultanément sur trois scènes différentes, modifiant en fonction de la chronologie le regard porté sur sa Trilogie. On imagine le travail de précision horlogère pour l’auteur et les comédiens, qui passent d’un lieu à l’autre sans jamais se perdre. Et l’on regrette d’ailleurs un peu d’être privé des coulisses de ce dispositif sophistiqué. L’on est en tout cas subjugué, tout au long de ces 3h45 de spectacle (avec deux entractes), par l’excellence de la troupe, le naturel ébouriffant de son jeu. On les citera tous : Eric Caravaca (qui joue avec beaucoup de charme inquiétant le seul homme du groupe), Valeria Bruni Tedeshi, Pauline Lorillard, Nathalie Richard, et les plus jeunes Servane Ducorps, Eye Haïdara et Alison Valence, qui sont de vraies découvertes. Quant à Adèle Exarchopoulos qui fait ses premiers pas au théâtre, elle est d’une telle précision de trait, d’une telle évidence, qu’on espère la retrouver très vite sur les planches.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.