L'interview de Zabou Breitman : Feydeau, le Français et la liste de ses envies
Culturebox : Comment se retrouve-t-on au Français à monter du Feydeau ?
Zabou Breitman : C’est Muriel Mayette qui m’a appelée. Elle m’a dit : « J’aimerais que tu fasses une mise en scène ». Laurent Lafitte venait d’entrer à la Comédie Française, elle sait que je voulais travailler avec Laurent, elle sait que ça se passe bien entre nous… elle est forte pour faire des mariages, pour attirer de nouveaux comédiens.
Elle est partie sur l’idée que je refasse un Depardon (Zabou Breitman avait déjà construit un spectacle inspiré d’un documentaire du photographe-réalisateur, « Les Gens », dans lequel jouait Laurent Lafitte). On était très triste l’une et l’autre quand Claudine Nougaret, la compagne de Depardon, nous a dit que la justice c’était compliquée à traiter au théâtre. J’étais très déçue, ça c’était tellement bien passé avec « Les Gens ». Muriel m’a dit : ce n’est pas grave on continue à chercher… Et puis tout à coup je me suis souvenue que Laurent Lafitte est entré au Conservatoire grâce à une scène du "Système Ribadier" qui a mis tout le monde d’accord. Je cherche alors quand ça été joué au Français, et je découvre que ça ne l’a jamais été. Muriel a trouvé l’idée géniale.
Feydeau ?
Feydeau j’ai été élevée avec, je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite; Courteline, Alphonse Allais, les Marx Brothers, Charlot, ce non sens, l’absurde, la déconnade culturelle, ça titille la tête, j’adore ! Je rêvais de faire un truc où on a mal au ventre tellement on rit, j’aime bien ce moment là, je suis très fou rire, comme quand on est petit, quoi. Alors quand j’ai entendu les gens rires avec des larmes…
Vous avez réuni une jolie distribution
Stocker, j’avais tourné avec lui dans « L'exercice de l’Etat », il dégage quelque chose de poétique, il est délicat et dingue, pour moi c’est Harpo Marx. Et avec Laurent Lafitte, il fonctionne très bien, ils se stimulent. Julie Sicard, c’est pareil, elle a une liberté, on peut l’emmener très loin, elle y va. Elle a une mémoire phénoménale, elle se souvient de son texte et de celui des autres.
Avec ces trois là, quand on donnait rendez-vous à 14h on savait qu’on ne pourrait pas démarrer avant 14h45, c’était du délire.
Justement comment on tient ces 3 bestioles ?
Si vous les tenez trop, vous n’avez plus rien, ce n’est pas facile. Tant qu’on construit ça va, après j’ai du un peu les brider pour fermer la boite ! Je les ai fait bosser énormément, ils n’en pouvaient plus. J’ai demandé deux mois de répétitions.
Comment avez-vous travaillé ?
On a travaillé d’abord sur le décor, qui a été le dernier de Jean-Marc Stehlé. Il a préféré le faire au Colombier, sans alternance, car le décor peut y être plus sophistiqué.
Puis on lit, on s’amuse, on cherche. Très tôt, je voyais Adèle Blanc Sec, les Marx, exploiter le dehors et le dedans en même temps. Je faisais très attention à la montée, il ne fallait pas que ça monte à l’acte 2 qui est quand même très drôle et que ça retombe à l’acte 3.
Il y a dans cette pièce une attaque des hommes et de la bourgeoisie qui est extraordinaire. C’est très riche. Peut être l’une des pièces les plus riches de Feydeau. Dans ce texte les hommes sont pleutres, trouillards, ils ne sont pas à leur avantage. Et puis il y a la pièce dans la pièce, Laurent Lafitte, le mari répète une pièce pour le Cercle… La grosse tête de Feydeau qui fait office de portrait du premier mari, ça c’est une idée de Jean Marc Stehlé.
Il y a un paravent qui cache tout un monde et qui donne lieu à des scènes hilarantes ?
J’aime bien les paravents, quand j’étais petite mon père qui était comédien (Jean-Claude Deret, le scénariste de Thierry la Fronde ) jouait beaucoup avec. Un paravent on se cache derrière, on peut tout faire. Quand Laurent Stocker a vu le paravent qui dissimulait un escalier, il a joué avec pendant une heure et demie. On s’est dit qu’on allait garder l’idée. Ce sont des acteurs qui inventent, après il faut caler, il faut que ce soit parfait.
L’idée de la séquence où ils répètent leur réplique en boucle, le « replay » j’y ai pensé en répétition. Le texte de Feydeau est très dur à mémoriser, les séquences peuvent se ressembler, ils étaient parfois complètement perdu, alors je leur disais de reprendre au début…
Qu’est ce que cette expérience au Français vous a apporté ?
Il a fallut faire avec la structure très forte des pièces de Feydeau, les horaires et les impératifs des comédiens. Ils n’arrêtent pas avec l’alternance.
Et puis Feydeau c’est fastidieux à répéter, les comédiens avaient un nombre monstrueux d’accessoires et un espace très réduit. Mais ça fonctionne bien cette folie furieuse dans un si petit espace.
J’adore le comique, je l’avais déjà abordé avec « Un hiver sous la table » de Topor. J’adorerais monter un Ayckbourn bien traduit, bien fait.
Tout l'été votre nom a été mêlé au feuilleton de Nice : Christian Estrosi souhaitait que vous formiez un binône avec Daniel Benoin pour diriger le théâtre de la ville ? (C'est finalement Irina Brook qui a été nommée)
Pour moi ça ne pouvait être qu’en binôme. Sachant tout ce que j’ai à faire, je n’aurai pas été suffisamment disponible. Avec Daniel Benoin, j’aurais tenté l’aventure. Mais quelque chose de plus petit me conviendrait mieux, je veux être libre, j’ai peur d’une contrainte trop grande. J’ai plein d’idées pour une salle de 200 places, du théâtre pour des 20-30 ans, avec un travail également sur le web…
Ce n’est donc que partie remise ?
Oui j’adorerais, même dans un chapiteau frontal, je vais les appeler à la Culture ! Je ne les connais pas du tout. Je ne connais pas du tout ce milieu là !
D’autres projets ?
Je commence à répéter fin décembre la nouvelle pièce de Yasmina Reza ( "Comment vous racontez la partie"). On jouera dès février et à partir de novembre prochain, on sera au Rond Point. C’est une très belle pièce sur une auteure qui a beaucoup de mal à parler de ses livres et qui pour la première fois accepte l’invitation d’un petit patelin. Elle arrive et elle n’a déjà plus envie d’être là. Il y a André Marcon qui fait le maire, Maruchka Detmers, la journaliste…
Quand on pense à vous on se dit que vous n’avez vraiment peur de rien, tout vous semble possible !
C’est vrai tout est possible. Je me dis pourquoi pas ! Il y a du trac, mais ça n’inhibe pas l’envie. Dès que je travaille, le reste ne compte plus vraiment.
Je vais faire un opéra par exemple, là je suis dans mes petits souliers : « L’Enlèvement au sérail » de Mozart à Garnier. Ce sont eux qui sont venus me chercher. Ils ont vu tout ce que j’ai fait, j’étais sidérée. C’est génial, mais ça fait très peur. Je travaille avec Philippe Jordan, ce très grand chef, jeune et merveilleux.
La critique du "Système Ribadier" de Feydeau
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