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Jean-Michel Ribes à Avignon : "Le Off n'est plus considéré comme un foutoir"
Chaque année Jean-Michel Ribes arpente le Festival d'Avignon, avec la conseillère à la programmation et la directrice à la production du théâtre du Rond-Point : "Je ne viens pas faire mon marché, je viens essayer de tomber amoureux". Ribes nous dit tout : ses coups de coeurs, le rôle du festival et de la culture, ses 13 ans à la tête du théâtre du Rond-Point... Rencontre.
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Temps de lecture : 6min
Culturebox : Vos impressions sur ce Festival d'Avignon 2015 ?
Jean-Michel Ribes : C'est très équilibré entre le Off et le In. Le Off n'est plus cet endroit considéré comme une espèce de foutoir, dans lequel on peut trouver éventuellement quelques perles en allant chercher. Là il y a vraiment une programmation qui apparait, et qui est pour beaucoup d'endroits à hauteur du In.
Des coups de coeur émergent déjà ?
J'ai absolument adoré dans le In, "Antoine et Cléopâtre" (du portugais Tiago Rodrigues), qui est un endroit de théâtre qui revisite non seulement Shakespeare mais qui redonne envie d'aller voir cet auteur. Il y a une telle inondation de Shakespeare, qu'on oublie qu'il y a un poète. Et là il y a quelque chose directement au coeur de l'écriture, en la dégraissant. C'est extrêmement émouvant, j'avais les larmes aux yeux.
J'ai beaucoup aimé aussi évidemment "Réparer les vivants" (une adaptation du livre de Maylis de Kerangal interprétée par Emmanuel Noblet). Je ne suis pas toujours pour les adaptations de romans au théâtre, mais là je trouve qu'il y a quelque chose de structuré, avec un auteur qui ose des choses, sans pathos. La capacité de retrouver ce qu'un lecteur de roman peut ressentir à travers une représentation scénique n'est pas toujours réussie, mais là ça l'est.
J'ai beaucoup aimé aussi le spectacle charmant de Guillaume Barbot sur ce punk qui chante Charles Trénet ("Trenet par là", par la compagnie Les Gevrey Chambertin). J'ai bien aimé aussi "Fugue" (de Samuel Achache), que j'ai vu hier soir.
J'ai vu le Ostermeier ("Richard III"), solide, du théâtre blockbuster. C'est clair, fort, puissant, efficace, avec un côté Mad Max un peu. Mais ça m'a moins épaté qu'"Antoine et Cléopâtre" qui là m'a bouleversé : on s'attend à quelque chose et finalement c'est autre chose. Quand on est dérangé, c'est quand même ce qu'il y a de mieux.
Images Benjamin Hoffmann
On vous voit chaque année, que venez-vous chercher ?
Je suis ici en tant que directeur de théâtre mais aussi auteur, metteur en scène. Je vois des amis, des gens, il y a l'air du temps. Je reste une huitaine de jours, après il y a une saturation. Je n'aime pas cette idée un peu triviale, "je ne viens pas faire mon marché", je viens essayer de tomber amoureux, d'avoir des petits coups de coeur. Ce serait fou de ne pas avoir envie de se promener dans ce jardin du Vaucluse une fois par an, ça rassemble des gens qu'on a plaisir à voir.
Plus de 1300 spectacles cette année dans le Off, c'est trop ?
Le problème est de savoir si aujourd'hui plus de gens différents sont attirés par le spectacle vivant. Les politique ont tendance à dire que ce sont les même gens, en petit nombre, alors pourquoi aider ? Moi je crois que c'est faux. De plus en plus de gens ont de l'appétence et viennent pour la première fois. Et je pense que les politiques feraient bien de s'en inspirer. C'est une passerelle, une tuyauterie dans laquelle ils peuvent communiquer avec les gens. Ce n'est pas une danseuse, c'est un endroit qui touche les gens et des gens très différents. Au Rond-Point, 30 à 35% est un public de banlieue qui n'était jamais venu sur les Champs-Elysées. Les gens ont de plus en plus besoin de ce rapport de convivialité et de solidarité du spectacle vivant.
La culture doit être un relais faramineux de ce que la politique peut porter de mieux. Le devoir de la Culture aujourd'hui, c'est d'assumer et de dire aux gens la beauté et la complexité du monde et non pas la simplification du FN... En ce sens là, plus il y a de spectacles, de créativité, plus ça permet à des tas de gens de venir écouter une parole qui peut rendre service à la liberté, à la liberté de création et à la démocratie.
10 ans au Rond-Point, c'est un règne ?
13 ans au Rond-Point ! J'y suis depuis 2002.
Est-ce que ce théâtre correspond parfaitement à ce dont vous rêviez ?
Disons que la mission qui nous a été allouée de défendre la diversité, l'écriture d'aujourd'hui, je ne dit pas qu'on a réussi, mais on n'a pas raté. L'audience, le public, on n'est pas loin aussi de ce qu'on nous a demandé, on est le 3 ou 4 théâtres de France le plus fréquenté. Le voyage continue dans des terres inconnues, on est un peu un bateau pirate. Malgré quelques talibaneries culturelles à mes débuts, on comprend aujourd'hui qu'il ya quelque chose qui se passe dans ce théâtre. C'est vrai que j'ai accueilli quelques mauvaise herbes de la culture, mais je trouvais qu'elles étaient plus parfumées que les glaïeuls de l'institution. Ça bouscule, ça gêne les gens qui savent et qui ne savent pas, mais l'appétence et la curiosité du public à été mis en alerte… Ce que j'aime, ce n'est pas proposer aux gens ce qu'ils aiment mais ce qu'ils ne savent pas encore qu'ils aiment. Cette surprise qu'on leur propose toujours, bonne ou mauvaise, répond à une envie du public…
Aujourd'hui on ne se bouscule pas pour prendre ma place (Ribes va bientôt entammer son 3e mandats de 5 ans), et je comprends. Avec 18 % de la ville et 18% de l'Etat, c'est-à-dire 36% du budget qui nous est donné en subventions, on doit trouver 64% du budget. Trouver 8 millions chaque année, moi tout seul comme un grand, ce n'est pas facile. Et comme ça n'augmente pas... Je comprends, il y a un côté pourquoi lui donner des chaussures puisqu'il peut le faire pieds nus... Je commence à avoir un peu des ampoules, je ne vous le cache pas…
Jean-Michel Ribes et son chapeau croisés à la représentation de "Fugue" de Samuel Achache !
Jean-Michel Ribes : C'est très équilibré entre le Off et le In. Le Off n'est plus cet endroit considéré comme une espèce de foutoir, dans lequel on peut trouver éventuellement quelques perles en allant chercher. Là il y a vraiment une programmation qui apparait, et qui est pour beaucoup d'endroits à hauteur du In.
Des coups de coeur émergent déjà ?
J'ai absolument adoré dans le In, "Antoine et Cléopâtre" (du portugais Tiago Rodrigues), qui est un endroit de théâtre qui revisite non seulement Shakespeare mais qui redonne envie d'aller voir cet auteur. Il y a une telle inondation de Shakespeare, qu'on oublie qu'il y a un poète. Et là il y a quelque chose directement au coeur de l'écriture, en la dégraissant. C'est extrêmement émouvant, j'avais les larmes aux yeux.
J'ai beaucoup aimé aussi évidemment "Réparer les vivants" (une adaptation du livre de Maylis de Kerangal interprétée par Emmanuel Noblet). Je ne suis pas toujours pour les adaptations de romans au théâtre, mais là je trouve qu'il y a quelque chose de structuré, avec un auteur qui ose des choses, sans pathos. La capacité de retrouver ce qu'un lecteur de roman peut ressentir à travers une représentation scénique n'est pas toujours réussie, mais là ça l'est.
J'ai beaucoup aimé aussi le spectacle charmant de Guillaume Barbot sur ce punk qui chante Charles Trénet ("Trenet par là", par la compagnie Les Gevrey Chambertin). J'ai bien aimé aussi "Fugue" (de Samuel Achache), que j'ai vu hier soir.
J'ai vu le Ostermeier ("Richard III"), solide, du théâtre blockbuster. C'est clair, fort, puissant, efficace, avec un côté Mad Max un peu. Mais ça m'a moins épaté qu'"Antoine et Cléopâtre" qui là m'a bouleversé : on s'attend à quelque chose et finalement c'est autre chose. Quand on est dérangé, c'est quand même ce qu'il y a de mieux.
Images Benjamin Hoffmann
On vous voit chaque année, que venez-vous chercher ?
Je suis ici en tant que directeur de théâtre mais aussi auteur, metteur en scène. Je vois des amis, des gens, il y a l'air du temps. Je reste une huitaine de jours, après il y a une saturation. Je n'aime pas cette idée un peu triviale, "je ne viens pas faire mon marché", je viens essayer de tomber amoureux, d'avoir des petits coups de coeur. Ce serait fou de ne pas avoir envie de se promener dans ce jardin du Vaucluse une fois par an, ça rassemble des gens qu'on a plaisir à voir.
Plus de 1300 spectacles cette année dans le Off, c'est trop ?
Le problème est de savoir si aujourd'hui plus de gens différents sont attirés par le spectacle vivant. Les politique ont tendance à dire que ce sont les même gens, en petit nombre, alors pourquoi aider ? Moi je crois que c'est faux. De plus en plus de gens ont de l'appétence et viennent pour la première fois. Et je pense que les politiques feraient bien de s'en inspirer. C'est une passerelle, une tuyauterie dans laquelle ils peuvent communiquer avec les gens. Ce n'est pas une danseuse, c'est un endroit qui touche les gens et des gens très différents. Au Rond-Point, 30 à 35% est un public de banlieue qui n'était jamais venu sur les Champs-Elysées. Les gens ont de plus en plus besoin de ce rapport de convivialité et de solidarité du spectacle vivant.
La culture doit être un relais faramineux de ce que la politique peut porter de mieux. Le devoir de la Culture aujourd'hui, c'est d'assumer et de dire aux gens la beauté et la complexité du monde et non pas la simplification du FN... En ce sens là, plus il y a de spectacles, de créativité, plus ça permet à des tas de gens de venir écouter une parole qui peut rendre service à la liberté, à la liberté de création et à la démocratie.
10 ans au Rond-Point, c'est un règne ?
13 ans au Rond-Point ! J'y suis depuis 2002.
Est-ce que ce théâtre correspond parfaitement à ce dont vous rêviez ?
Disons que la mission qui nous a été allouée de défendre la diversité, l'écriture d'aujourd'hui, je ne dit pas qu'on a réussi, mais on n'a pas raté. L'audience, le public, on n'est pas loin aussi de ce qu'on nous a demandé, on est le 3 ou 4 théâtres de France le plus fréquenté. Le voyage continue dans des terres inconnues, on est un peu un bateau pirate. Malgré quelques talibaneries culturelles à mes débuts, on comprend aujourd'hui qu'il ya quelque chose qui se passe dans ce théâtre. C'est vrai que j'ai accueilli quelques mauvaise herbes de la culture, mais je trouvais qu'elles étaient plus parfumées que les glaïeuls de l'institution. Ça bouscule, ça gêne les gens qui savent et qui ne savent pas, mais l'appétence et la curiosité du public à été mis en alerte… Ce que j'aime, ce n'est pas proposer aux gens ce qu'ils aiment mais ce qu'ils ne savent pas encore qu'ils aiment. Cette surprise qu'on leur propose toujours, bonne ou mauvaise, répond à une envie du public…
Aujourd'hui on ne se bouscule pas pour prendre ma place (Ribes va bientôt entammer son 3e mandats de 5 ans), et je comprends. Avec 18 % de la ville et 18% de l'Etat, c'est-à-dire 36% du budget qui nous est donné en subventions, on doit trouver 64% du budget. Trouver 8 millions chaque année, moi tout seul comme un grand, ce n'est pas facile. Et comme ça n'augmente pas... Je comprends, il y a un côté pourquoi lui donner des chaussures puisqu'il peut le faire pieds nus... Je commence à avoir un peu des ampoules, je ne vous le cache pas…
Jean-Michel Ribes et son chapeau croisés à la représentation de "Fugue" de Samuel Achache !
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