Japon : des moines bouddhistes du XVIIe siècle à l'émission télé, le rakugo, l'art traditionnel du rire et de la narration
Le rakugo remonte à l'époque d'Edo (1603-1868). À l'origine, il était pratiqué par les moines bouddhistes pour transmettre des enseignements religieux de manière divertissante, tout en parlant ouvertement de la société grâce à une touche humoristique. Ils racontaient leurs histoires dans la rue ou dans des petits cercles intimes. Shikano Buzaemon, né dans la région d’Osaka (1649-1699), est considéré comme l’un des premiers maîtres du rakugo. Au fur et à mesure des années, cet art va être pratiqué par différents artistes et des spécialistes vont émerger. On appelle ces conteurs les rakugoka.
À partir de 1791, le rakugoka (le conteur) se produit dans un yose, un théâtre spécialisé. Avec le temps, plusieurs centaines de récits se sont ajoutés au répertoire de base.
De nos jours, il y a encore des yose qui proposent des spectacles de rakugo presque tous les jours. À la télévision depuis 50 ans, chaque dimanche l'émission Shôten fait rire les familles japonaises avec les histoires des rakugoka qui y participent.
Un conteur solitaire
L'une des caractéristiques les plus distinctives du rakugo est la simplicité de sa présentation. Le conteur, vêtu d’un kimono, est assis à genou sur un coussin plat, assez inconfortable, appelé zabuton. La scène sur laquelle il se produit est appelée kōza. Elle ne comporte aucun décor. Sans se lever, en utilisant uniquement un éventail en papier et un petit tissu (tenugui) comme accessoires, le rakugoka raconte une histoire où il incarne plusieurs personnages dans différentes scènes. La différence entre les personnages est représentée uniquement par un changement de ton et d’attitude.
Le conteur doit stimuler l’imagination du public afin que celui-ci visualise les personnages et la scène, alors qu’il n’y a aucun décor. La chute de l’histoire est appelée ochi en japonais (signifiant littéralement chute). En général, elle est inattendue et peut prendre la forme d'un calembour.
Un humour subtil
Ce qui fait notamment la particularité du rakugo c’est qu’il mélange humour et jeux de mots ingénieux. Le conteur raconte des histoires dramatiques entrecoupées de moments comiques. Le rakugoka s’inspire de faits historiques, de vieilles histoires du folklore. Les personnages, très variés, sont typiques d’Edo (l’ancien nom de Tokyo) ou d’Osaka. Avant de commencer son histoire (neta), il présente le contexte afin d’attirer l’attention des spectateurs. Le rakugoka fait en sorte de susciter le rire du public sans pour autant faire de blagues directes. C’est l’histoire qui est mise en avant et c’est son attitude qui va déclencher le rire. À partir du XXe siècle, beaucoup de nouvelles histoires sont des satires de la société.
La transmission du patrimoine
La tradition du rakugo se transmet de génération en génération, souvent d'un maître à son disciple. Les aspirants rakugoka suivent une formation rigoureuse et il peut se passer plusieurs années avant qu'ils puissent se produire en public. Cette transmission orale garantit la préservation des histoires et des techniques, tout en permettant à chaque conteur d'ajouter sa propre touche personnelle.
Il existe trois grades de rakugoka : le plus bas est zenza, puis futatsume et enfin shin’uchi. Une fois le grade shin’uchi atteint, le rakugoka peut former ses propres disciples.
Le rakugo dans le manga
Aborder le rakugo en manga n’est pas évident puisqu’il faut coucher sur le papier un art purement oral, dont le succès repose sur la personnalité du conteur. Il est donc difficile de s’appuyer sur les histoires contées. Tout va donc se jouer avec le dessin qui va devoir réussir à transmettre les émotions ressenties et suscitées.
Plusieurs mangas ont abordé le rakugo sous divers angles. Showa Genroku Rakugo Shinju de Haruko Kumota, pubié au Lézard noir, raconte l'histoire d'un jeune disciple et de son lien complexe avec son maître. Il explore les thèmes de l'héritage, de la tradition et de l'art de la narration.
Autre manga qui a contribué à populariser le rakugo, Le disciple de Doraku, de Akira Oze, chez Isan Manga. Il aborde le rakugo de manière très approfondie à travers l’histoire de Shota, 26 ans, un instituteur d'école maternelle. Après avoir lu un livre sur le sujet à ses élèves, il a une révélation et se précipite dans un yose (théâtre spécialisé) pour écouter Doraku conter. Il l'implore alors de faire de lui son disciple. C'est le début d'un apprentissage long et fastidieux qui le mènera - peut-être - au rang suprême de shin-uchi, le rang le plus élevé.
Dernier titre sorti sur le sujet, Akane-Banashi, de Yūki Suenaga (scénario) et Takamasa Moue (dessin) chez Ki-oon.Véritable succès critique et commercial au Japon, ce manga raconte l’arrivée d’une jeune fille branchée et pleine de vie dans le monde traditionnel et très masculin du rakugo. Ce décalage donne souvent lieu à des situations amusantes et décalées. À travers le parcours d’Akane, on découvre en détail les règles et les traditions qui régissent cet art.
Le rakugo s'exporte
Les rakugoka ne se produisent plus uniquement au Japon et certains donnent des spectacles à l'étranger. C'est le cas de Katsura Kaishi, qui joue en anglais et de Sanyûtei Ryûraku, qui joue en six langues dont le français.
Des non-Japonais se sont mis au rakugo. Parmi eux, Diane Kichijitsu, une conteuse d’origine britannique qui vit au Japon et raconte ses histoires en anglais et en japonais. En France, il y a notamment Cyril Coppini et Stéphane Ferrandez.
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