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Isabelle Carré metteur en scène : "J'avais envie de prendre la parole, de me raconter aussi un peu"

Elle a cette lumière, cette vivacité qui charme immédiatement. Il ne faut surtout pas se fier à sa petite voix de jeune fille timide. Isabelle Carré croque la vie. Elle nous parle avec enthousiasme "De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" de Paul Zindel, pièce qu'elle a choisie pour sa première mise en scène et dans laquelle elle joue. INTERVIEW.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Isabelle Carré 
 (Yahan Bonnet/AFP)

Dans l'Amérique des années 70, Béatrice vit sans le sou avec ses deux filles. Fragile, hystérique, elle a l'impression d'avoir tout raté et rêve d'ouvrir un salon de thé. Ses relations avec ses filles sont douloureuses, l'une d'elles est passionnée par les sciences. 
Comment s'est faite la rencontre avec ce texte, dont Paul Newman avait tiré un film pour son épouse Joan Woodward ?

Isablle Carré : En fait j'ai participé l'année dernière à un atelier d'écriture organisé par Gallimard qui a duré trois mois, animé par Philippe Djian. Et à cette occasion j'ai rencontré une femme, Manèle Labidi, qui participait aussi à l'atelier, et c'est elle qui m'a parlé de ce texte. Quand je l'ai lu, j'ai été tout de suite enthousiasmée. Ce genre de trios, au théâtre, il y en a très peu. Il y a beaucoup d'histoires de familles nombreuses, beaucoup d'histoires de femmes et d'amants, des histoires politiques et des histoires épiques, mais des femmes seules avec leurs enfants c'est très rare. Et bien que le texte ait été écrit dans les années 70, il a de fortes résonnances aujourd'hui.

L'autre chose qui m'a beaucoup touchée c'est le thème de la résilience. Pourquoi dans une famille, les enfants qui partagent la même histoire, qui subissent les mêmes traumatismes, certains d'entre eux en sortent grandis, plus forts, plus créatifs alors que d'autres au contraire en sont abimés toute leur vie ? Ce grand mystère là me touche beaucoup.

Vous n'aviez pas en tête le film avec Joan Woodward ?

Je n'avais pas vu ce film. Je l'ai vu tout de suite après. En fait l'adaptation que Paul Newman en a faite était très fidèle à la pièce. Manèle est repartie aussi de la pièce, en a fait sa propre adaptation. J'ai aimé la façon dont elle faisait ressortir l'humour cinglant du personnage de Béatrice que je joue, son sens de la répartie. Cet humour acerbe, ça donnait un côté un peu moins linéaire à l'histoire. Béatrice a une force dans ses propos et en même temps une grande fragilité. Quand petit à petit elle commence à se dévoiler, on voit le masque qui tombe et finalement le terrible manque de reconnaissance qu'elle a vécue.

A un moment elle dit : Si tu es légèrement différent des autres, si tu refuse de rentrer dans leur moule ils tacheront de te briser. C'est vrai que ce thème de la différence m'est très cher, ayant des enfants aussi et me demandant s'ils vont être moqués, comme mon personnage a été moqué à l'école. Cette violence qu'il peut y avoir dès qu'on fait un pas de côté, dès qu'on est hors normes. Je trouve ça merveilleux d'être hors normes, de sortir un peu des cadres et des moules et pourtant ça peut devenir cruel. Et là en l'occurrence, ce que j'aime dans cette pièce c'est que l'on voit d'une façon très forte que si ce personnage n'avait pas subi ça dans son enfance, si elle n'avait pas été la raillerie de toute une école, elle aurait réussir sa vie. Ce manque de confiance vis-à-vis de l'extérieur l'a peut être empêché d'aller jusqu'au bout de ses désirs d'avenir.  

  (DR)
Cette femme a un côté très sombre, elle est assez destructrice pour ses enfants. On n'est pas habitué à vous voir dans un rôle comme celui là, moins solaire ?

J'ai joué quelque fois des personnages de méchantes entre guillemets (rires). Il y avait "Anna M." de Michel Spinosa, quelqu'un qu'on n'a pas envie de croiser dans la rue. C'est vrai que ce personnage est un peu différent de tout ce que j'ai fait et tant mieux, mais j'aime bien les caractères qui ont une complexité, une ambivalence. Parce que la réalité est complexe, c'est quand même mieux de coller à cette réalité plutôt que d'être dans l'esprit Disney.

Toutes ces questions sur l'éducation, vous vous les posez aussi pour votre famille ?

Oui, sur le modèle qu'on reproduit. Parce qu'on voit bien que la plus âgée, Ruth, va reproduire le parcours de sa mère. Elle est dans les mêmes rails, même si c'est elle qui se rebelle le plus, qui a le plus envie d'échapper à tout ça. La plus jeune, pourquoi est-elle résiliente ? C'est parce qu'elle a une passion. C'est quelque chose qui me parle beaucoup aussi. Quand j'étais adolescente j'ai eu des périodes très difficiles et c'est vraiment en allant au cinéma, en découvrant des films qui m'électrisaient, qui permettaient de m'échapper, qui me montraient un autre monde, c'est grâce à cette passion du cinéma que j'ai l'impression de m'être trouvée ou retrouvée, d'avoir pu sortir de cette grosse crise d'adolescence et de me sentir bien dans ma peau à nouveau.

Le personnage de la plus jeune est décalé par rapport à son milieu, aux années 70. Elle se fait l'apôtre de l'atome ?!

J'aime bien quand j'entends à la fin de la pièce, une espèce de sourire dans la salle quand elle parle de la beauté de l'énergie atomique et en même temps c'est vrai que les rayons permettent de soigner les cancers, il y a les deux faces de la médailles, c'est toute l'histoire de l'humanité (rires) !

Revenons à cet atelier d'écriture que vous avez suivi et à votre première mise en scène ?

Cet atelier, c'était par curiosité, juste pour moi, c'est une démarche personnelle. Mais le théâtre m'a rattrapé encore une fois. J'en étais heureuse parce que j'ai toujours réussi à équilibrer le théâtre et le cinéma, mais là depuis quelques temps le cinéma était plus présent. En fait ça fait quatre ans que je n'avais pas été sur les planches, depuis "Pensées secrètes" au théâtre Montparnasse et ça me manquait beaucoup. Et puis cette découverte de faire une première mise en scène, ça vraiment c'est une grande expérience pour moi et j'ai adoré cette façon de raconter une histoire.

Cette pièce là j'avais envie de la vivre de l'intérieur, comme d'habitude, mais aussi à l'extérieur. Décider quelles lumières il y aurait, l'univers, comment serait la maison, quelles musiques… J'avais envie de raconter tous les aspects de l'histoire, de m'en emparer. C'est pour ça que j'ai eu envie de m'exercer à la mise en scène pour cette pièce là. Du coup j'ai attrapé le virus, j'ai très envie de continuer, mais la prochaine fois sans être dedans, être metteur en scène à 100%, ne pas être partagée comme j'ai pu l'être, même si ça c'est bien passé finalement.

Le théâtre de l'Atelier nous offrait cette place un peu particulière de jouer à Noël et au jour de l'An à 19h (éclat de rire). Je me suis dit que c'était une petite planque et que ce serait très bien pour moi, pour essayer des choses. J'ai beaucoup de reconnaissance à l'Atelier de m'avoir permis ça, parce que c'était vraiment comme un laboratoire. Je les ai vraiment prévenus au dernier moment, au mois de juillet, après la fin de cet atelier d'écriture. En générale il n'y a pas de place au théâtre, il faut attendre longtemps, moi j'avais envie de me lancer tout de suite la dedans, j'avais une urgence on peut dire ! Et ils ont accepté ce pari, c'était vraiment un beau cadeau.

Comment s'est fait le choix des comédiennes ?

Alice Isaaz, je l'avais vu jouer dans "La crème de la crème" (de Kim Chapiron) et j'avais adoré son regard, cette façon d'observer le monde, cette ambivalence. Dans la pièce elle aime tellement sa mère et en même temps elle a tellement besoin de s'en extraire. On n'a pas fait d'essai, c'était la première fois qu'elle jouait au théâtre. C'était un vrai pari et on a l'impression que ça fait des années qu'elle travaille sur un plateau de théâtre, c'est assez bluffant.

Lily Taïeb je l'avait vue dans le film de Desplechin (Trois souvenirs de ma jeunesse) où elle avait un tout petit rôle, mais elle m'avait beaucoup touchée. Là aussi je n'ai pas fait d'essai, le travail a été un peu plus long parce qu'elle n'a que 15 ans, donc elle ne pouvait pas travailler tous les jours. C'est pour ça qu'elle est en alternance avec Armande Boulanger. Armande, je ne l'avais vue que dans "La pièce manquante" (de Nicolas Birkenstock), elle non plus n'avait jamais joué au théâtre. On a travaillé tous les jours même le dimanche à partir du mois de septembre. On a fait un gros gros travail toutes ensemble.
Lily Taïeb, Alice Isaaz, Isabelle Carré
 (DR)
On a gardé le contexte des années 70, parce que ça me rappelle mon enfance. J'aimais beaucoup l'espoir la naïveté, les couleurs qu'on avait dans les années 70. Il faut se rappeler que dans les journaux télévisés les types arrivaient avec un col roulé orange ! J'aimais bien que la pièce reflète aussi tout ça, tous ces espoirs que les femmes avaient dans les années 50 et qui se sont cassées contre la vitre dans les années 70, à cause de la crise. On a un parallèle aujourd'hui par rapport à ça.

Ce sont des années qui font écho en vous, ce style de vie, cette bohême ?

Complètement. C'est pour ça que j'ai eu un ENORME plaisir à travailler sur ces couleurs, ces costumes, ces musiques. Bob Dylan, le disco… ce sont les musiques que mes parents écoutaient, ce que j'écoutais quand j'étais enfant et du coup il y a quelque chose d'affectif dans cet univers là. Et j'avais envie de prendre la parole, de me raconter aussi un peu.

Mon père était designer, il travaillait chez Pierre Cardin dans les années 70. Il s'occupait de tous les dessins des tissus et du coup il y a dans le décor tous les tissus dessinés par mon père. J'ai un peu l'impression de revenir chez moi.

Vos parents vous ont élevé avec beaucoup d'ouverture ?

Mon père a fait Mai 68. Il était aux Beaux Arts. Il me racontait qu'ils avaient construit une énorme tour au milieu des Beaux Arts, avec des tables et des chaises.

On avait un côté très hippy à la maison, sans vraiment de cadre, très libertaire. Mon personnage de Béatrice a ce côté là. Elle essaye à la fois de visser ses enfants, elle est très autoritaire, tyrannique, et en même temps il n'y a aucun cadre. Elle est alcoolique, elle fume, elle les fait danser dans la nuit, ça c'est une scène que j'ai rajoutée. Elle ne croit pas à l'école, c'est un peu le bordel. Le bazar que nous avons mis sur la scène reflète le bazar dans leur tête. Il n'y a pas de cadre, pas de structures.

L'absence de cadre que vous avez vécu enfant, était-ce agréable ou déstabilisant ?

Ce n'était pas rassurant et j'ai une théorie la dessus : beaucoup d'acteurs sont acteurs, justement parce qu'il y a ce cadre de la caméra. On peut tout se permettre dans ce cadre, mais on est cadré !


"De l'influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" au Théâtre de l'Atelier
Jusqu'au 6 février
1 Place Charles Dullin, 75018 Paris
Réservation : 01 46 06 49 24




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