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"Il n’y a pas eu de réflexion sur la territorialisation" : le directeur du théâtre de Cherbourg tente de poursuivre sa mission dans un climat perturbé

Rencontre à Cherbourg-en-Cotentin avec Farid Bentaïeb, le directeur du Trident, scène nationale. Dans son théâtre occupé, il a à cœur de poursuivre sa mission.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Farid Bentaïeb, directeur du Trident, scène nationale de Cherbourg (SOPHIE JOUVE)

Le mouvement d’occupation des théâtres (une centaine de salles de France) se poursuit, avec bien sûr des particularismes en fonction des territoires. A Cherbourg en Cotentin, Le Trident, scène nationale, est lui aussi occupé par une centaine d’intermittents issus du monde du spectacle, ce qui n’empêche pas le personnel du théâtre de poursuivre une partie de ses missions. Rencontre avec Farid Bentaïeb, le directeur du théâtre, qui dirige trois salles réparties dans l’agglomération. Une agglomération de 80 000 habitants, qui accueille à l’année 30 000 spectateurs.

Franceinfo Culture : Comment vivez-vous ce troisième confinement, marqué notamment par cette occupation ?

Farid Bentaïeb : En termes pratiques, le théâtre du Trident est occupé par le Collectif d’artistes du Nord-Cotentin (CANC), des professionnels et des amateurs, et le monde socio-culturel est aussi beaucoup représenté parmi eux. C’est une occupation qui se passe bien, très respectueuse pour les uns et les autres, et qui permet au personnel de la scène nationale de continuer à travailler. Mais il y a une vrai présence des occupants quand même, avec des assemblées générales, des actions, des rendez-vous avec la population sur la place du théâtre tous les samedis à 11h.  

Le Trident à Cherbourg (SOPHIE JOUVE)

Quand vous parlez d’occupation, il s’agit d’une occupation par des personnes extérieures, venus d’horizons différents ?  

Ce n’est, bien sûr, pas la Scène nationale qui s’auto-occupe, le personnel du Trident qui occupe les lieux. C’est une occupation qui émane vraiment d’artistes ou de techniciens intermittents du territoire, principalement du Cotentin, et des acteurs socio-culturels, professeurs de danse, professeurs de théâtre, compagnies de théâtre amateur également qui ne peuvent plus pratiquer leur art. On a environ 70 à 80 personnes qui occupent à tour de rôle le théâtre mais on n’est pas dans la "convergence" comme ça peut se passer dans certains lieux où en effet il y a une agrégation entre intermittents, saisonniers, précaires, avec des questionnements sur la nouvelle loi sur l’assurance chômage etc. Nous n’en sommes pas là, les personnes qui occupent aujourd’hui le théâtre sont restées sur des préoccupations très liées à leur activité professionnelle artistique et à la pratique amateur.

Est-ce que l’ambiance s’est davantage tendue ces derniers jours ?

Le Pacific à Grenoble, autre théâtre occupé, avait initié une proposition de 5 minutes de danse par jour. On aurait voulu la reprendre. L’idée ce n’était pas forcément d’inviter le public à nous rejoindre, mais sur la place principale de Cherbourg, proposer aux personnes qui étaient là à 12h3O avec leur sandwich, de la musique qui appartient à notre mémoire collective, ou de la variété, et de danser ensemble. On a commencé ça jeudi dernier et le lendemain la Préfecture nous a appelés, disant que c’était totalement illégal dans le cadre de l’interdiction de réunions de plus de 6 personnes…

Occupation du Trident, Scène nationale de Cherbourg en Cotentin (SOPHIE JOUVE)

Quel est votre état d’esprit général ?  

Je suis un peu comme tous les collègues, à la fois désabusé, pas mal fatigué, pas mal dans l’incompréhension également. Bien évidemment il ne s’agit pas d’être dans le déni d’une situation sanitaire complexe, les gens qui meurent, qui sont hospitalisés, mais il y a pour nous pas mal de décisions qu’on a du mal à comprendre. On a du mal à comprendre qu’il n’y ait pas eu de réflexion sur la territorialisation : par exemple la Manche est un territoire excentré où le taux de contamination est relativement faible, en dessous des moyennes nationales. Instaurer les mêmes règles sur des bassins de population de 12 millions d’habitants comme en Ile-de-France et sur un territoire comme celui Cherbourg, je trouve ça un peu ridicule. Car dans le même temps, certaines préfectures acceptent des représentations en milieu scolaire alors que d’autres les refusent, c’est le cas de la préfecture de la Manche où on a l’interdiction formelle d’accueillir des enfants sur le temps scolaire. Incompréhension encore parce que les règles font qu’on ne peut pas faire de représentations scolaires dans notre théâtre mais si on trouve un lieu polyvalent, genre salle des fêtes qu’on équipe en théâtre, alors on peut accueillir des scolaires. On est dans des situations qui sont d’un ridicule achevé, et qui nous prennent beaucoup d’énergie.

Comment dans ce contexte poursuivre vos missions ?  

Nous avons deux types de missions : des missions artistiques de programmation de la scène contemporaine française et internationale et aussi une mission d’éducation artistique et culturelle, tout ce qui relève de l’accompagnement de spectacles en termes de pratique, de sensibilisation… Des artistes sont présents en milieu scolaire pour faire travailler les élèves, leur présenter différentes disciplines. Ça on a encore le droit de le faire. On continue aussi nos résidences en direction des professionnels car ça me semble vraiment important d’être en solidarité avec les compagnies de danse, de théâtre et de musique pour leur permettre de travailler, de penser la rentrée. Je crains qu’il y ait beaucoup de spectacles qui restent sur le carreau, on se retrouve déjà dans un immense embouteillage pour la saison 21/22. On essaye d’aider ces compagnies en finançant ces résidences, en mettant à leur disposition nos plateaux. 

Quels sont les derniers artistes que vous avez accueillis à Cherbourg ?

Timothée Lerolle, un jeune metteur en scène normand que nous accompagnons avec les autres structures de Normandie : les quatre scènes nationales et les trois centres dramatiques nationaux (la mission de ces deux entités est assez proche mais le cahier des charges des CDN est davantage axé sur la création, celui des Scènes nationales sur la diffusion. Dans les deux cas les directeurs sont nommés par le ministère de la culture). Timothée Lerolle vient de terminer chez nous une dizaine de jours de répétitions de sa nouvelle pièce Tristesse animal noir. Lundi prochain on reçoit un collectif havrais de danse qui s’appelle le collectif PJPP, leur précédent spectacle, Les déclinaisons de la Navarre, a connu un joli succès. On a aussi un trio de jazz qui nous a demandé de venir répéter au mois de mai, on va tout faire pour les accueillir.

Et vous pensez déjà à un programme pour la saison prochaine ?

Nous ouvrirons la saison, les 28 et 29 septembre, avec deux concerts, deux voix de femmes : Françoiz Breut et Yseult. Notre premier spectacle de théâtre sera La Jurassienne de réparation par le Théâtre Group. Nous avons prévu treize créations ou coproductions dont Une télévision française de Thomas Quillardet et Omma du chorégraphe Josef Nadj.  

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