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Festival d’Avignon : le comédien Micha Lescot trouble et fascine avec sa lecture de "La Métamorphose" de Kafka

Des lectures gratuites par de très grands artistes : la proposition de France Culture fait les belles nuits d’Avignon. Mercredi soir, Micha Lescot et Kafka ont captivé l’auditoire.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Micha Lescot lit Kafka (SOPHIE JOUVE)

France Culture poursuit son programme de lectures dans le jardin du Musée Calvet à Avignon, soir après soir, avec des artistes venus partager des textes, des musiques, des silences et des émotions. Un rendez-vous gratuit d’une grande qualité, que les Avignonnais ne rateraient pour rien au monde. Mercredi soir 15 juillet, le comédien Micha Lescot nous a offert une lecture inoubliable du célèbre roman de Kafka, La Métamorphose. Rencontre.

Micha Lescot lit Kafka (SOPHIE JOUVE)

Un matin, "au sortir de rêves agités", Gregor Samsa se réveille transformé en "une énorme bestiole immonde". Jamais nommée mais décrite précisément, carapace dure et bombée, multitude de pattes lamentablement fluettes et grouillantes, la bête a un corps qui dégoûte quiconque l’aperçoit. Rapidement incarcéré par sa famille dans sa chambre dont il ne sortira plus, il est ainsi exclu du "cercle de l’espèce humaine".


Le comédien Micha Lescot, silhouette longiligne dans son costume noir très ajusté, se glisse dans la peau du monstre avec une évidence inquiétante. Sa voix posée envoûte, ses mains immenses et magnifiques donnent corps à l’animal qu’il est devenu. La métamorphose achevée, il se déhanche en rythme sur la musique originale du groupe Syd Matters.

Micha Lescot dans une lecture France Culture à Avignon (SOPHIE JOUVE)

Car pour accompagner cette créature qui est retirée du regard des hommes Syd Matters a composé une partition qui mélange musique électronique et instruments acoustiques pour nous emmener dans un ailleurs où tout est possible, étrange, inquiétant. Notre imaginaire se met en mouvement.

C’est un moment hors du temps que nous a offert le grand comédien, rencontré à l’issue du spectacle.

 

Franceinfo : Comment est né ce projet de lecture de cette nouvelle de Kafka ?

Micha Lescot : On m’a demandé si je voulais faire ce projet avec les Syd Matters, un groupe que je connaissais déjà et que j’adorais, alors évidemment j’en ai eu très très envie. Initialement ça devait se passer à la Maison de la Radio avec un dispositif plus grand mais c’était juste avant le premier confinement. Ensuite Blandine Masson, l’organisatrice des lectures nous a demandé si on voulait bien le faire en formation un peu plus réduite avec seulement deux musiciens, Jonathan Miraly et Olivier Marguerit, et du coup j’allais très souvent au studio les voir répéter et en fait je les ai entendus composer la musique. C’était formidable d’avoir le temps d’assister à cette création musicale.


Comment expliquez-vous le malaise et la fascination provoqués par ce texte ?

C’est un des premiers romans que j’ai lu. C’est quand même très mystérieux la manière dont Gregor réagit, c’est très étonnant parce qu’il ne se plaint pas et je trouve incroyable les options qu’il prend. Il accepte son sort, il ne se révolte pas, il est très pragmatique : ok, j’ai des pattes d’insectes, donc comment je vais faire maintenant. Il n’a jamais de retour sur lui-même pour trouver que c’est une injustice ; il s’adapte finalement assez vite, il est fataliste. C’est ce que je trouve incroyable dans ce texte.


Vous l’interprétez avec le corps, vos mains…

On ne peut pas s’en empêcher car ça ne parle que de ça, c’est vraiment une transformation physique. Je ne l’avais pas vraiment anticipé mais en faisant des filages, tout à coup, le corps s’est mis à bouger.


Kafka est un précurseur de ce genre de cauchemar, devenir un monstre dans le regard de l’autre...

C’est vraiment un cauchemar mais je trouve étonnant la manière dont il le traite, car il y a beaucoup d’humour aussi, et une espèce d’acceptation de cette catastrophe.


Vous revoilà à Avignon, quels y sont vos plus beaux souvenirs de théâtre ?
Je me rappelle d’un Henri VI monté par Stuart Seide, dans la Cour d’honneur (1994), et j’avais découvert cet acteur extraordinaire qu’est Jean-Quentin Chatelain que je ne connaissais pas. J’étais un tout petit peu désarçonné au début, et au bout d’une demi-heure, je ne voulais plus qu’il quitte le plateau ! C’est un de mes acteurs préférés.

Vous aussi avez joué ici ?
J’ai joué deux fois dans la Cour d’honneur, un Shakespeare, Henri V, monté par Jean-Louis Benoit (1999), et ensuite j’ai fait un spectacle de danse contemporaine avec Mathilde Monnier.

Envie d’y revenir ?
Je serais ravi !

Vos projets pour la rentrée ?
Je travaille avec Ludovic Lagarde qui monte Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès. C’est créé fin septembre au TNB à Rennes, ensuite on part en tournée et on sera aux Amandiers de Nanterre en février 2022.


Franz Kafka est un écrivain tchèque de langue allemande (1883-1924). Fils d'une famille juive, il étudie le droit à l'Université de Prague, ainsi que la germanistique et l'histoire de l'art. Il est reçu docteur en droit en 1906. En 1902, Kafka fréquente les cercles littéraires de sa ville et y rencontre Hugo Bergmann, Oskar Pollak et Max Brod qui devient l'un de ses plus proches amis. En 1909, il publie ses premiers écrits dans le magazine Hyperion et commence la rédaction de son Journal. Il travaille le jour en tant que juriste dans une compagnie d'assurances pour gagner sa vie et écrit la nuit. C'est ainsi que peut paraître Le Verdict. En 1912, il rédige La Métamorphose qui est publiée trois ans après. C’est lors d’un séjour à Berlin en 1923 qu'il rencontre Dora Diamant, qui l'accompagne jusqu'à sa mort.
Atteint de tuberculose depuis 1917, il décède en 1924 à 41 ans au sanatorium de Kierling à Prague. Il laisse une œuvre forte et très singulière qui marquera nombre d’écrivains du XXe siècle. Ses grands romans Le Procès, Le Château et L'Amérique qui sont publiés à titre posthume grâce à son ami Max Brod et contre la volonté même de Kafka de détruire ses écrits.

Michal Lescot entouré de Jonathan Morali et Olivier Marguerit, très applaudi à Avignon (SOPHIE JOUVE)


Prochaines invités des lectures de France Culture à Avignon : Simon Abkarian, Fabrice Luchini

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