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"Dans un monde d’écrans, c’est réjouissant de voir le théâtre aussi vivant", Alexandre Brasseur fait son premier Festival Off d’Avignon

Alexandre Brasseur fait son premier Avignon avec "Les Funambules", monologue à plusieurs voix créé il y a trois ans avec Daniel Colas. Rencontre pleine de franc-parler.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Alexandre Brasseur dans le Off d'Avignon 2019 avec "Les Funambules" (Sophie Jouve)

Dans son seul-en-scène Les Funambules, Alexandre Brasseur, à travers son grand-père Pierre, retrace l’accouchement délicat du chef-d’œuvre de Carné et Prévert, Les Enfants du Paradis, dans la France occupée de 1943, un film comme un souffle de liberté.    

Alors que le soleil est à son zénith et que les festivaliers remontent la rue Guillaume Puy en file indienne côté ombre, nous retrouvons Alexandre Brasseur deux heures avant son spectacle. Poignée de mains ferme, regard direct, voix grave reconnaissable entre toutes (celle de son père Claude et de son grand-père Pierre), il nous accorde un long entretien avec un franc-parler, lui aussi de famille.  

franceinfo Culture : Comment vivez-vous ce tout premier Avignon ? 

Alexandre Brasseur : Je découvre ce festival avec beaucoup de joie, on en parlait hier avec Christophe Malavoy, c’est assez réjouissant de voir que le théâtre vivant est plus que jamais vivant dans une ville comme Avignon. Je pense moi, quand même, qu’à l’ère du numérique où on est tous happés par une culture des écrans, l’art vivant demeure immuable. La magie qui opère entre le public et les acteurs est irremplaçable. Cette communion silencieuse est merveilleuse.

Il faut mouiller sa chemise dans ce grand marché du théâtre ?

Je ne tracte pas, je le dis clairement. J’ai des gens qui tractent pour moi et qui posent des affiches. Je suis à la campagne au milieu des moutons, je vis Avignon d’une manière calme et paisible. J’ai une vie trépidante par ailleurs, je fais beaucoup de choses en parallèle, je suis en tournage pour TF1 (la série Demain nous appartient), donc je ne peux pas me permettre d’avoir une vie agitée. Et puis mon spectacle est un seul-en-scène engagé, il faut être en forme physiquement et psychiquement.

Alexandre Brasseur applaudi à Avignon (Sophie Jouve)

Trouvez-vous qu’il y a ici une écoute particulière ?

Oui en effet ici les silences sont des silences. Ils sont concentrés !

Les Funambules que vous jouez dans le Off d’Avignon est un spectacle qui vous est très personnel ?

Mon but n’était pas de faire un seul-en-scène, mon but n’était pas de jouer mon grand-père, de faire un hommage à mon grand-père. Loin de là. Le propos de ce texte, ce qui nous a motivés avec Daniel Colas, l’auteur de ce spectacle et de la mise en scène, c’est le combat pour la liberté que ces artistes ont mené : comment rester libre quand on est "occupés", c’est le seul propos qui nous intéresse. Les Enfants du paradis, mon grand-père, toute cette histoire n’est qu’un prétexte à raconter ce combat. C’est pour ça qu’on a redonné à ce spectacle le titre d’origine des Enfants du paradis : Les Funambules.

Vous regardez de manière lucide ce petit groupe d’immenses artistes au travail pendant l’Occupation, l’art vu comme un combat pour certains, le silence des autres… ?

C’est un spectacle qui pose des questions fondamentales sur l’attentisme, le collaborationnisme : qu’est-ce que vous auriez fait, vous, en temps de guerre ? Aujourd’hui tout le monde a un grand-père résistant, allez savoir si c’est vrai. Tout le monde claironne qu’il prendrait les armes si une guerre était déclarée, moi je n’en sais rien, je vous le dis très clairement. Toutes ces questions, c’est le terreau de ce spectacle.

Alexandre Brasseur sur scène (DR)

Ce grand-père dont vous dites à la fin du spectacle qu’à défaut d’être un héros il a été un immense comédien, c’est un des piliers de votre vie ?

Mon grand-père Pierre Brasseur, peut-être que certains ne s’en souviennent pas ou ne le connaissent pas d’ailleurs, fait partie des acteurs majeurs de l’après-guerre, de la scène et du cinéma français. Il a aussi créé des textes majeurs, tel le Diable et le Bon Dieu de Sartre. Je ne pouvais pas passer à côté de la connaissance de son travail et tout le manque que ça me procure. J’aurais bien aimé pouvoir échanger avec lui, pouvoir débattre, c’est probablement un des grands manques de ma vie. C’était quelqu’un d’extrêmement sensible, pétri d’un certain mal être. Au-delà de cette puissance de jeu et de cette exubérance, il avait énormément de sensibilité.

C’est peut-être pour ça d’ailleurs que j’ai enfilé ses bottes pour essayer de m’en rapprocher. J’aime la poésie qui se dégage de ce grand film Les enfants du paradis, comme j’ai aimé les films de Louis Jouvet, de Guitry, de tout ce cinéma noir et blanc. J’ai l’impression de bien faire partie de mon époque, mais je suis très dans le respect des anciens, ça peut paraître un peu désuet, mais les anciens m’ont beaucoup apporté.  

Le Festival d’Avignon est-il devenu un lieu incontournable pour faire vivre un spectacle ?

Les Funambules a été créé il y a trois ans, il a tourné dans les festivals, a été à l’affiche du Petit Saint Martin à Paris. Ce spectacle a été exploité, mais pas suffisamment à mon goût, et, d’une manière assez pragmatique pour ne rien vous cacher, quand on me dit qu’il y a 25 acheteurs potentiels qui passent voir mon spectacle qui a 100 dates à Paris et que sur 24 dates à Avignon je peux en voir passer 250, y’a pas photo, on rempile !

Il n'y a que là que ça se passe, il ne faut pas se leurrer. Il y a une réalité financière. Aujourd’hui les mairies qui ont des théâtres municipaux ne financent plus les 4-5 jours à Paris du directeur et de son épouse, ou du groupe culture de la mairie, en revanche il lui paye trois jours en Avignon. Trois jours pour voir 25 pièces, j’ose espérer que je ferai partie des 25 ! Je suis là pour vendre, pour le marché essentiellement, et pour tenter de faire rayonner ce texte magnifique que j’aime énormément.  

Alexandre Brasseur met la main à la pâte. Il faut installer et démonter le décor en 15 minutes.  (Sophie Jouve)

Cette première expérience vous donne envie de revenir ?

J’aimerais bien revenir et j’aimerais aussi, parce que ça fait trois ans que je travaille seul sur ce spectacle, participer à un projet collectif. Moi qui ai été formé à la troupe, l’échange me manque.

Avez-vous d’autres projets au théâtre ?

Non, vous savez la réalité du métier est simple, vous choisissez parmi les propositions. Les gens sont persuadés, parce qu’on fait de la télévision avec succès, que l’on tourne le dos à la scène, eh bien c’est faux.

La réalité de notre métier a beaucoup changé. Le graal pour un acteur aujourd’hui c’est de pouvoir devenir, comme on dit chez nous, un personnage récurrent. Vous avez beaucoup de travail, vous tissez des liens profonds avec une production, des auteurs, des partenaires, un diffuseur. Vous faites partie des rouages d’une grosse machine, moi je trouve ça très agréable, C’est le cas pour Demain nous appartient (sur TF1). Comme tous les succès, ça demande beaucoup d’humilité et beaucoup de travail.

Ici vous renouez avec la scène, les bases du métier ?

Pour ça je dois dire, le festival d’Avignon est une belle école de l’humilité, car sur les plateaux ils vous chouchoutent. C’est un retour aux fondamentaux dont on a besoin. C’est totalement nécessaire. Si vous ne sortez pas de votre zone de confort vous perdez votre génie créatif. Tout ça n’est qu’une quête inaccessible, mais ça reste une quête du parfait, se remettre en question, explorer de nouveaux territoires, c’est indispensable. 

A Avignon je monte mon décor, je le démonte, c’est le bazar avant et après et on se concentre comme on peut. Je suis en ce moment en tournage à Sète pour Demain nous appartient qui fait 4 millions de spectateurs et 30% de part de marché et je suis quand même au festival d’Avignon pendant un mois. Et je tourne en parallèle Le bureau des légendes pour Canal +, vous voyez on peut faire plusieurs choses. Il suffit d’être organisé.  

"Les Funambules" 

On a vu Les Funambules d'Alexandre Brasseur qu'on n'avait pas eu l'occasion de voir à Paris. Un spectacle prenant, une très intéressante plongée non seulement dans l'univers du film Les Enfants du paradis mais dans les sentiments et les comportements très variés d'une époque aussi terrible que la Seconde Guerre mondiale et la France occupée : les lâchetés des uns, les compromissions des autres, les petits courages au quotidien de certains et les non-dits assez gonflés (la présence de deux juifs dans l'équipe : Alexandre Trauner, le grand décorateur, et le musicien des Feuilles mortes, Joseph Kosma). En outre, Brasseur, tout fasciné qu'il ait été par son grand-père, ne le ménage pas particulièrement, n'en fait pas un héros.

"Les Funambules" de Daniel Colas d'après Alexandre Brasseur

Théâtre les 3 Soleils, Avignon 
4, rue Buffon
04 90 88 27 33
Du 5 au 28 juillet 2019 
A 15h35 (durée 1h10) 

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