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"Dans la police, on ne se balance pas !" : l'acteur et rappeur Kery James emporte le public dans "À huis clos", sa pièce coup de poing sur les violences policières

Cinq ans après le succès de sa pièce "À vif", Kery James présente "À huis clos" au théâtre du Rond-Point, un texte qui fait résonner les injustices des violences policières. Un théâtre politique écrit par le rappeur qui joue dans la pièce et participe à la mise en scène.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Kery James et Jérôme Kircher dans la pièce "À huis clos" au théâtre du Rond-Point. (SIMON GOSSELIN)

"Mais combien de Nahel y a-t-il eu avant celui-ci ?! Combien ?!". Au théâtre du Rond-Point, le public est figé sur sa chaise, pétrifié par la voix tonitruante du rappeur Kery James. "Et ne nous faisons pas d’illusions, c’est seulement parce que son exécution a été filmée que le destin du petit Nahel a ému la France entière !". On entend des petits pleurs, on aperçoit des mains s’essuyer les yeux. Les groupes scolaires sont particulièrement attentifs, concentrés. Ce public finira debout dans une standing-ovation quasi générale. C'est À huis clos, la nouvelle pièce de Kery James. Un moment de théâtre qui fait tomber de sa chaise et comme il en existe rarement.

Violences et "quartiers prolétaires"

Le thème des violences policières est fort, souvent considéré comme sensible. Kery James incarne Soulaymaan, un étudiant en droit qui décide de prendre en otage le juge qui a libéré de prison le policier meurtrier de son frère Demba. Le personnage de Soulaymaan est déjà apparu dans la précédente pièce de Kery James, À vif, ainsi que dans son film populaire Banlieusards.

Dans cette pièce, Kery James s’attaque sans filtre aux notions de maintien de l’ordre, et aux relations entre quartiers populaires – qu’il rebaptise "prolétaires" – et les policiers. Kery James enchaîne les phrases coup de poing et ose dire tout haut ce que personne n’ose dire. On admire sa liberté, son courage, on est surtout dérouté de se prendre en pleine face des réalités violentes incontestables. "Parce que, dans leur monde, Monsieur le juge, il arrive qu’un flic urine sur un mineur de quatorze ans et le tabasse violemment alors qu’il est menotté à un banc ! Saint-Ouen, 2021 !", assène Kery James, pistolet pointé sur le juge joué par Jérôme Kircher.

Texte cru

Comment ces situations peuvent-elles exister en France, un pays se voulant démocratique ? Ces situations sont-elles vraiment des cas isolés ? Kery James confronte pendant 1h30 les arguments de ceux qui tentent d’excuser ou minimiser ces violences. Celui qui incarne le juge parle par exemple d’un "contexte tendu", celui du confinement. "Le gosse n’avait pas respecté le couvre-feu, alors pour le punir, le flic lui pisse dessus, l’attache à un banc, l’insulte, l’humilie et le tabasse. Effectivement le contexte était tendu !"

Kery James et Jérôme Kircher dans la pièce "À huis clos" au théâtre du Rond-Point. (SIMON GOSSELIN)

Kery James a l’art de déclamer un texte cru, sans filtre, sans détours. Son passé de rappeur lui permet d’asséner chaque phrase avec force et conviction au milieu du bureau en bois du juge. La pièce se déroule dans ce bureau circulaire, entouré de rails, avec des caméras qui tournent et filment tout le spectacle. Ces images retranscrites sur un grand écran au-dessus de la scène sont si bien filmées, qu’on croirait voir un film au cinéma. Elles permettent de s’intéresser à des détails auxquels on ne ferait pas attention : des gros plans sur des expressions faciales, des détails du bureau ou des angles de vue selon les personnages filmés. Seul bémol, on peut facilement passer le nez levé sur l’écran à la place de la scène, ce qui dénature le principe du théâtre. Mais ce dispositif a aussi des effets positifs, notamment pour les spectateurs éloignés de la scène.

Cri d'alarme

Kery James dénonce les conditions de vie de ces "citoyens de seconde zone", comme il les appelle. Des citoyens qui font partie d’une "ville dans la ville", un monde séparé qui rassemble les plus précaires de la société française. Kery James met la démocratie face à ses contradictions, notamment en évoquant les inégalités de traitement entre les citoyens. "Avez-vous déjà subi ne serait-ce qu’un contrôle de police, Monsieur le juge ? […] Le flic vous voit et comme ça, arbitrairement, il décide que vous pourriez potentiellement avoir enfreint la loi. […] Trente ans que j’essaye de démontrer que je peux être un Français comme les autres", lance Kery James au juge.

Loin de tomber dans le réquisitoire anti-police, Kery James montre davantage les failles d’une démocratie qui comporte des dérives. "Où sont les policiers qui ont le courage de faire face au corporatisme et dénoncer les exactions de leurs collègues ?! […] Dans la police, on ne se balance pas ! On se protège les uns les autres !", rétorque Kery James. Des actes, des paroles, des comportements qui interrogent, révoltent. Une pièce à fleur de peau profondément actuelle et proche des minorités. La réflexion de Kery James s'impose comme un cri d’alarme et de détresse, d’utilité publique.

"À huis clos" mis en scène par Marc Lainé avec Kery James et Jérôme Kircher au théâtre du Rond-Point jusqu'au 3 décembre et en tournée dans toute la France.

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