"Contes et légendes", reprise judicieuse par Joël Pommerat de sa pièce sur les rapports de l’homme avec l’IA
Construit en une dizaine de tableaux, avec autant de jeunes comédiennes qui interprètent des adolescents dans des familles vivant avec des androïdes domestiques, Contes et légendes questionne la cohabitation entre humains et robots. Créée en 2020 au théâtre des Amandiers à Nanterre, Contes et légendes est reprise au théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu’au 31 mars.
Thème classique de la science-fiction, les robots sont souvent traités sous l’angle d’une révolte des machines, ou comme mécaniques "pensantes" en quête d’humanité. Partant d’un projet autour de l’enfance et de l’adolescence, Joël Pommerat aborde cet âge où s’échafaude l’identité, à la lumière d’une société future où les robots domestiques sont intégrés à la vie quotidienne. Acteurs et observateurs du monde qui les entoure et les a créés, ils questionnent la nature humaine comme en miroir, et comme entité nouvelle du cosmos.
Reconnaissance et connaissance
"Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?", s’interrogeait l’auteur de science-fiction Philip K. Dick dans le titre original du roman qui a inspiré Blade Runner au cinéma. Belle formule pour questionner la frontière entre le créateur et sa créature, et l’identification de l’un à l’autre, avec les répercussions sociales, politiques, voire métaphysiques inhérentes. Joël Pommerat signe un texte qui pose la problématique de la reconnaissance de l’autre par sa connaissance. Plutôt qu’une histoire, il invente une dizaine de situations où humains et androïdes s’interconnectent.
Si la quête d’identité est au cœur du sujet des robots dans la science-fiction, elle l’est aussi à l’adolescence. Ce n’est pas par hasard que Joël Pommerat les confronte, comme si les uns et les autres se reconnaissaient mutuellement, même si c’est parfois après des échanges cruels. La différence entre IA et jeunes garçons se voit dans l'interprétation, la gestuelle et le timbre des jeunes interprètes. Des questions et moqueries fusent, souvent drôles. Elles changeront de camp au fil des tableaux. La scène changeante fait se succéder une voûte boisée, une cascade, le passage d'une barque dans des lumières oniriques, mais aussi des espaces plus abstraits.
La question identitaire se retrouve dans les rôles des adolescents, tous masculins, joués par des comédiennes. Avec, au cœur du constat, l’affirmation de la masculinité comme valeur cardinale dans les rapports sociaux. Le thème du genre s’introduit dans Contes et légendes dans l’identification des androïdes, "artificiels", aux homosexuels, lesbiennes et transgenres, en raison de leur différence avec une norme dite "naturelle". La transsexualité aujourd’hui souligne d’autant plus le trait, nécessitant une intervention "extérieure" sur l’"intérieur" de l’être humain. Contes et légendes fourmille d’inventions dramatiques et visuelles. L’interprétation des jeunes actrices travesties en garçons est stupéfiante. La mise en scène alterne épuration et baroque, mouvements de groupe et dialogues, autour de cette présence "autre", simulacre, reflet miroir et catalyseur des interrogations humaines.
Contes et Légendes
De Joël Pommerat
Scénographie et lumière : Éric Soyer
Avec : Prescillia Amany Kouamé, Jean-Édouard Bodziak, Elsa Bouchain, Léna Dia, Angélique Flaugère, Lucie Grunstein, Lucie Guien, Marion Levesque, Angéline Pelandakis, Lenni Prézelin
Du mercredi au vendredi 20h. Samedi 20h30. Dimanche 16h
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 bd Saint-Martin, 75010 Paris
Tél : 01 42 08 00 32
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