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Catherine Hiegel mordante et impériale dans la pièce "Les règles du savoir-vivre dans la société moderne"

Au théâtre du Petit Saint-Martin à Paris, Catherine Hiegel triomphe dans un monologue corrosif de Jean-Luc Lagarce.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Catherine Hiegel dans "Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne" (Jean-Louis Fernandez)

Dans la salle bondée du Petit-Saint Martin, les applaudissements crépitent. Seule en scène, la grande Catherine Hiegel vient de délivrer avec délectation le monologue de Jean-Luc Lagarce Les règles du savoir-vivre dans la société moderne. Quelques minutes plus tard, nous la croisons à la sortie, emmitouflée dans un paletot enfilé à la hâte : "il fait trop chaud dans ma loge", glisse-t-elle malicieuse, savourant visiblement d’être accostée et félicitée pour sa prestation et de prendre la température du public. "Catherine tu étais formidable !" : Agnès Jaoui surgit de la foule et l’interpelle, les bras levés au ciel.

Lagarce détourne les codes sociaux d'un autre âge



C’est un manuel de bonnes manières écrit en 1889 par la baronne Staffe qui a inspiré à Jean-Luc Lagarce, en 1994, ce texte drôlissime. Lagarce détourne très subtilement les codes sociaux d’un autre âge énoncés par la baronne, en les recentrant sur les grandes étapes de notre vie : la naissance, le baptême, le mariage et ses nombreux anniversaires, la mort.

Catherine Hiegel (JEAN-LOUIS FERNANDEZ)


Vêtue d’une tunique noire éclairée d’une collerette blanche, dans un décor minimaliste de grandes tables qu’elle déplace comme elle tournerait les pages d’un manuel, Catherine Hiegel joue une conférencière qui livre, sans états d’âmes, un mode d’emploi de la vie en société comme si elle s’adressait à un pensionnat de jeunes filles. "On règle toutes ces choses car des fiançailles, un mariage, la vie en général, sont une longue suite de choses à régler, on ne saurait l’oublier, et il serait imbécile de se laisser déborder par les futilités accessoires que sont les sentiments". Le ton est donné et ne souffre aucune discussion. Car il s’agit avant tout de "tenir son rang !".

L'ironie délicieuse de Catherine Hiegel



Un manuel de conventions sociales que Lagarce persille de commentaires très second degré, jetant des passerelles avec la société contemporaine où certaines continuent de résonner : le choix des prénoms "dans un almanach" aux racines françaises forcément, la bague de fiançailles "quelle qu’elle soit, de toutes manières, doit être bien accueillie, c’est le moins qu’on puisse espérer. La jeune fille s’émerveille et s’exclame : Ah…"

Catherine Hiegel (JEAN-LOUIS FERNANDEZ)


Il y a bien sûr aussi d’autres morceaux de bravoure, référence à un siècle et à des codes parfois si absurdes et si contraignants qu’on est contents d’en être sortis, même si d’autres plus insidieux continuent de guider notre époque (réseaux sociaux, jeunisme, goût du paraître…). L'obsession de la mort "toujours possible, envisageable", fil rouge du spectacle, nous rappelle que l’espérance de vie était bien précaire à l’époque.

Sous la fine direction de Marcial Di Fonzo Bo, le directeur de la Comédie de Caen, Hiegel, avec une conviction désarmante et une ironie délicieuse, régale le public où se mêlent les générations. Un beau et inattendu moment de théâtre. On retrouvera la comédienne, sa présence et son abattage, en décembre dans un tout autre rôle : celui glaçant de la sœur d’un haut dignitaire nazi dans Après la retraite de Thomas Bernhard.

"Les règles du savoir-vivre dans la société moderne" de Jean-Luc Lagarce
Théâtre du Petit Saint-Martin
18 Bd Saint-Martin, 75010 Paris
01 42 08 00 32
Du 15 octobre au 31 décembre 2021
Du mardi au samedi 19h ou 21h 

Affiche du spectacle "Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne" (DR)

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