Avignon Off : "Pédagogies de l'échec", la vie de bureau au milieu des ruines
On fait la queue devant les portes du théâtre pour venir voir ce spectacle, dont le bouche à oreille fonctionne à plein. Peut-être parce qu'il mord la désespérante vie quotidienne des milliers de personnes qui travaillent dans un bureau, avec ses chefs, sa compta, ses ficus, son service des ressources humaines, les connivences et les détestations, les obsessions et les rumeurs, la violence des rapports hiérarchiques et l'absurdité de certaines tâches.
"On dirait que…"
Quand le spectacle démarre, les deux personnages entrent en scène alors que la lumière est encore allumée dans la salle. Un homme et une femme. Ils sont debout sous le nez des spectateurs du premier rang. Ils s'adressent l'un à l'autre et imaginent à la manière des enfants ce qui pourrait arriver : il se "passerait" ça. Le monde "se serait" écroulé et il ne "resterait" plus que nous. Puis c'est le noir et la musique de Bartók, accompagne le spectateur dans la fiction qui va suivre.Images Benjamin Hoffman
Quand le plateau s'allume, sur scène, l'homme est recroquevillé. Il se réveille et se déplie. Au fond la femme passe une tête et une jambe par-dessus la scène. Autour d'eux le monde s'est écroulé. Il ne reste de leurs bureaux qu'un dernier morceau de plancher suspendu dans le vide.
Commence alors ce huis-clos surréaliste, où les deux personnages n'ont qu'une obsession : continuer le travail. Les rapports de hiérarchie persistent : elle tient son rang de "cadre", il reste "l'assistant". Les petites vexations, les obsessions, les jalousies, les rancœurs… Bref, tout ce qui nourrit la vie de bureau continue au milieu des ruines, tandis que tout en bas des équipes sont en train de monter des échafaudages, ceux-là mêmes qui ont plongé l'entreprise au bord de la faillite…
Entre rire et gêne
L'idée de croquer cette vie de bureau dans un contexte de fin du monde souligne la violence des rapports de force, la mesquinerie, et toutes les absurdités de la vie en entreprise. Le décalage fonctionne parfaitement et déclenche alternativement le rire et la gêne. Au-delà d'une satire du monde du travail, c'est toute la vie moderne que le spectacle met sur la table.On pense à l'effondrement économique de la Grèce, à ce monde qui continue à faire semblant de rien, pendant que des pans entiers du système s'écroulent. Sur la table aussi, la condition humaine (les nécessités du corps et les angoisses existentielles). Et aussi (ouf) les lueurs, fugitives, d'une possibilité de "vivre ensemble".
Mise en scène littéralement renversante
La mise en scène sert parfaitement le propos du spectacle, en accompagnant physiquement la chute (on ne dévoilera pas le procédé mis en œuvre, pour ne pas gâcher la surprise). Un procédé qui oblige les deux acteurs à accomplir des prouesses en scène et dont les corps disent la précarité des équilibres. "Pédagogie de l'échec" est un spectacle à la fois drôle et dérangeant. On rit beaucoup, de ce théâtre de l'absurde version XXIe siècle. Alain Timár tient à mettre en scène des textes inédits d'auteurs vivants. C'est le cas de "Pédagogie de l'échec".Images : Benjamin Hoffman
A la sortie, l'auteur de la pièce et le metteur en scène échangent leurs impressions. "C'est un texte très concret, très terre à terre que j'avais écrit, avec des bureaux des tables, des chaises", explique à la sortie l'auteur, Pierre Notte. "Alain Timár (le metteur en scène) a inventé autre chose et c'est ça qui est bien parce que mon texte ne se suffit pas à lui-même", explique enthousiaste Pierre Notte. "Ce sont deux écritures qui se complètent", ajoute Alain Timár, "J'y ai ajouté mon univers", conclut-il.
"Pédagogies de l'échec", Mise en scène, scénographie, Alain Timár, avec Olivia Côte, Salim Kechiouche. Texte de Pierre Notte.
Théâtre des Halles, jusqu'au 26 juillet 2015 à 17H00 (relâche le 14)
Billetterie : 04 32 76 24 51
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