Amira Casar : "Le Roi Lear est un père profondément malade et incestueux"
Nous étions hier soir à la répétition générale de ce "Roi Lear", aussi tragique que bouffon. Olivier Py dans une mise en scène assez sobre, a voulu retrouver dans son plateau l’esprit de Jean Vilar (on y reviendra).
Quant à nous, nous avons remarqué Amira Casar dans le rôle de Goneril. La comédienne polyglotte (son père est Kurde, sa mère est russe), qui a vécu entre la Grande Bretagne, l'Irlande et la France, nous livre une vision passionnante de son personnage mais aussi du Roi Lear lui même.
Culturebox : Comment Olivier Py vous a-t-il présenté ce projet ?
Amira Casar : Par la traduction. J'ai trouvé que la traduction avait quelque chose de lapidaire, d’intense, de direct. Il n’y a pas de fioritures, comme il pouvait y en avoir dans d’autres traduction.
Olivier a épuré beaucoup, pour aller vers une sorte d’intensité où il juxtapose humour et noirceur, et je trouve que c’est la pièce la plus emblématique de Shakespeare, parce que c’est une pièce de fin de vie, donc tout est là. Et je trouve aussi que c'est spirituel, cosmique, il y a le néant, l’absolu, les abysses. Par moment Goneril est comme Richard III, elle a de la noirceur et en même temps un terrible besoin d’être aimée. C’est un cri d’amour envers ce père, c’est un malentendu, c’est un rapport malade, c’est "je t’aime, moi non plus".
Comment Olivier Py dirige-t-il les comédiens ?
Il vous donne énormément d’autonomie pour trouver votre rapport au corps. Moi, dès le début, j’avais trouvé l’idée du gant (Goneril tient à la main un gant noir pendant tout le spectacle) : ce gant symbolise la main gauche avec laquelle l'enfant écrit et que son père ne peut admettre (être gaucher à l'époque de Shakespeare était une malédiction). Olivier a beaucoup aimé cette idée de moitié, de bâtarde, de demi-royaume.
C’est une fille qui n’a pas eu de mère, qui n’a pas l’amour du père, c’est en ça qu’il y a un lien avec Richard III, la mère de Richard ne l’a clairement pas aimé. Goneril est au service du père, mais le père est profondément malade, il a des visions. Ce qui m’intéressait c’est la façon dont il lui parle, les injures… aucun père ne doit parler à sa fille comme ça. On sait que Lear battait les filles, c’est dans le texte, tout est dans le texte. C’est un homme violent, c’est un homme guerrier et il a fabriqué une fille comme lui. Ses erreurs sont nombreuses, comme de mettre ses filles en concurrence de manière terrible. La scène avec le père m’intéressait beaucoup, c’est une scène à la Bergman.
Je pense que Lear a mis à mort son épouse. Cordélia vient d’une autre mère, il n’y a pas de femme dans ce royaume. Les filles n’ont pas reçu de douceur maternelle. Il est très différent selon les filles. Avec Régane il est souple, c’est un père incestueux et avec Goneril il est très dur. Il a fabriqué une fille comme lui, monstre à deux têtes.
Shakespeare, c’est une première pour vous ?
Shakespeare, c’est la première fois. J’ai un peu grandi en Angleterre et ça me complexait vraiment de jouer Shakespeare là bas, à cause du pentamètre (vers composé de cinq pieds) et tout ça. Là on en est délivré, mais Olivier Py a gardé la poésie je trouve.
Olivier Py travaille avec une vraie famille d’acteurs, comment avez-vous trouvé votre place ?
Très simplement, on a vécu à la Fabrica (salle de spectacle et de répétition) comme une fratrie. J’étais au milieu de gens très civilisés, de partenaires formidables et on a répété ensemble dans la simplicité, presque comme un rapport monastique, ça m’a beaucoup plu.
Il y a beaucoup de bienveillance chez Olivier, c’était vraiment très chouette, d’autant que je tournais un film à Vienne et un autre pour Arte, c’était merveilleux de revenir au théâtre. Il y a quelque chose d’athlétique dans cette aventure.
Et dans cette Cour d’honneur qui peut pétrifier ?
Je fais du concours complet (Amira est cavalière), je me dis que c’est une sorte d’obstacle, il faut faire avec. C’est un endroit tellement chargé, il y a tant de beauté. La France est extraordinaire pour ça, elle reste l’épicentre de l’Europe, d’un point de vue culturel et ça le restera. Ce festival est très important et je suis très honorée et touchée de jouer ici. Je trouve que les murs nous renvoient quelque chose de très chargé du passé. Moi qui voulais être historienne, la papesse Jeanne et tout ça, waouh !
C’est aussi votre premier Avignon
Avignon je l’ai beaucoup regardé à la télévision, souvent l’été je tournais, ainsi j’ai vu un très beau Woyzeck par Ostermeier, j’ai vu « I Am » l'année dernière ( un spectacle théâtral et chorégraphique de Lemi Ponifasio). Je tourne, je travaille sur France culture où je vais lire un texte de Laurent Mauvignier, finalement j’ai une vision du métier qui est très complète. Je commence à tourner pas mal aussi en allemand, c’était le rêve de ma vie d’intégrer cette langue dans mon travail et puis j’ai tourné en anglais pour Versailles, j’avais un rôle de femme aux 7 visages. C’est vraiment la France qui m’a donné la chance de déployer mes ailes et de jouer des rôles de femmes fortes. Plus l’âge avance pour moi, plus les rôles sont puissants. Je suis contente de ça.
Images Compagnie des Indes, Maxime Raut
"Le Roi Lear" de Shakespeare dans la Cour d'honneur du Palais des Papes, Avignon
4,5,6,7,8,10,11,12,13 juillet 2015 à 22H
Réservations : 04 90 14 14 14
Le Roi Lear sera diffusé, en direct d'Avignon, sur France 2 et Culturebox le 8 juillet 2015
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