A la Comédie-Française "L’Avare" devient un banquier zinzin chez les Helvètes !
La metteuse en scène Lilo Baur domicilie son "Avare", chez elle, en Suisse.
Lilo Bauer nous avait beaucoup amusés avec sa Puce à l’oreille très sixties et malicieuse montée avec la troupe du Français. C’est en reprenant une bonne partie de la distribution d’alors qu’elle revient avec un Avare transformé en banquier suisse !
350 000 euros
Cela commence comme un polar de série B : équipé d’une lumière frontale, un voleur déterre une cassette en pleine nuit, de celles qui dorment dans le sous-sol des banques. Au petit matin, sur la pelouse impeccable d’une propriété avec accès direct sur un lac suisse, Valère, le fils d’Anselme, et Elise, la fille d’Harpagon, batifolent dans les eaux claires pour échapper quelques instants à la tyrannie d’Harpagon. Inenvisageable en effet pour celui-ci de laisser ses enfants, Elise et Cléante, tomber amoureux sans son consentement intéressé.
La suite on la connaît, le bougre d’homme va sortir de ses gonds lorsqu’il découvre que son trésor a été volé. 10 000 écus soit 350 000 euros, précise Lilo Baur !
Dans la maison aux claustras constamment fermés (beau décor de Bruno de Lavenère), on entraperçoit à peine le paysage idyllique de montagne. Harpagon (Laurent Stocker) se méfie de tout et de tous, un Harpagon genevois (la patrie de Lilo Baur), probablement un financier obsédé de comptabilité et aussi avare de l’argent de sa clientèle que de son compte en banque.
Un jeu qui emprunte au mime et à la BD
Un Avare qui part en vrille, atteint d’une névrose obsessionnelle aux proportions aberrantes. Quand par hasard il met le nez dehors, il est pris d’une toux allergique. Son avarice va jusqu’à subtiliser un mouchoir propre, sans doute pour ne pas gâcher de lessive ! La scène où il veut proposer sa fille en mariage à un vieux barbon, répétant à l’envie "sans dote, sans dote", est aussi drôle que glaçante.
Stocker n’est pas un Avare sombre et repoussant, ses lubies le rendent plus étrange qu’antipathique, le comédien a ce côté juvénile et un jeu qui emprunte au mime et à la BD dans la gestuelle. Il veut épouser Marianne, dont son fils, Cléante, est amoureux. Une femme qui, certes, n’est pas dotée mais qui lui apporte la jeunesse.
Les comédiens se glissent dans ce jeu très physique qu’affectionne Lilo Baur, certains avec une vraie délectation, comme Jean Chevalier formidable dans le rôle de Cléante. Il donne à son personnage toute la maladresse d’un ado transi et maladroit. Françoise Gillard, la manipulatrice Frosine, et Anna Cervinka en Marianne, se régalent elles aussi. Dans le rôle d’Elise, la bien nommée Elise Lhomeau doit encore progresser dans sa diction. Serge Bagdassarian et Nicolas Lormeau incarnent, à eux deux, sept personnages avec l’humour et la facilité qu’on leur connaît. Jérôme Pouly, Clément Bresson et Alain Lenglet complètent harmonieusement la distribution.
Lac, terrain de golf, villa cossue, on passe un très bon moment avec Harpagon chez les Helvètes. Dommage cependant que la Suisse finit par n’être qu’un joli décor. On aurait aimé que la gestion helvétique - un sou est un sou - transparaisse davantage dans cet Avare qui fait beaucoup rire le public.
"L'Avare" de Molière, mise en scène Lilo Baur
Avec Alain Lenglet, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Serge Bagdassarian, Nicolas Loremeau, Anna Cervinka, Jean Chevalier, Elise Lhomeau, Clément Bresson, Adrien Simion
Du 1er avril au 24 juillet 2022
Comédie-Française
Place Colette, Paris 1er
01 44 58 15 15
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