Sous les ors de l’Opéra Garnier la danse sauvage et sous haute tension de l’Israélien Hofesh Shechter
Hofesh Shechter voit deux de ses créations emblématiques entrer au répertoire du temple de la danse classique
Avec deux pièces marquantes de ses débuts qui entrent au répertoire de l’Opéra de Paris et une collaboration avec Cédric Klapisch dans le film En corps, le chorégraphe israélien Hofesh Shechter est doublement à l’affiche en France ce printemps.
Pour ceux qui le découvriraient, Hofesh Shechter, Israélien de 46 ans, est connu pour ses spectacles coup de poing dont il signe à la fois la musique, la scénographie et la danse. A Jérusalem où il passe son enfance, il étudie le piano. En 1993, il intègre à Tel Aviv la fameuse Batsheva Dance Company de Ohad Naharin. En 2002, prenant ses distances avec une région aux conflits incessants, il s’installe à Londres avec l’espoir de percer en tant que musicien mais c’est finalement le succès de son premier spectacle de danse, Fragments, qui lui ouvre les portes de la renommée. Il fonde sa propre troupe en 2008.
Après une première entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 2018 (The Art of not looking back dans lequel le chorégraphe évoque son enfance marquée par l’abandon de sa mère lorsqu’il a deux ans), voilà Shechter encore doublement adoubé dans une soirée dansée par le Corps de Ballet, réunissant Uprising et In your rooms, respectivement créées à Londres en 2006 et 2007.
Uprising une première et courte pièce gorgée de testostérones, rythmée par un martèlement de machines assourdissant. Un groupe de sept hommes déboule sur scène, regards menaçants, il fonce vers le public et tous se figent soudain dans une position inattendue en équilibre sur un pied. Deux hommes se rapprochent, l’un tombe en arrière, l’autre le retient et le berce, comme on le ferait d’un enfant ou d’un cadavre. Puis ils se relèvent et s’agressent l’un l’autre !
Une danse presque guerrière dans "Uprising"
Pendant 25 minutes en tee shirt et pantalon de treillis, ils vont se déplacer en meute, adoptant parfois des comportements animaux lorsque par exemple, accroupis, ils glissent en utilisant leurs bras comme des primates. C’est une tribu avec ses éclairs de fraternité, ses déflagrations de violence, ses exclusions, inspirées à Shechter par la violente révolte des banlieues françaises en 2005 mais aussi du point de vue de la danse par le hip-hop. Cette gestuelle d’influence urbaine devient presque guerrière, nourrie sans doute aussi par l’obsession militaire de la société israélienne. Quand un homme brandit son poing, c’est un autre qui le recadre, comme pour rentrer dans le rang.
Mais progressivement la détermination du début se délite. Dans une lumière blanche, sous un déluge de sons métalliques, des corps jetés au sol se tordent de souffrances avant de se relever. A la fin les sept hommes vont s’empiler, l’un d’eux brandissant un petit fanion rouge de manière bien dérisoire. On pense à une évocation de la révolution française, ou plutôt à des enfants jouant à faire semblant. Il faut les citer tous : Alexandre Gasse, Jack Gasztowtt, Simon Le Borgne, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Loup Marcault-Derouard, Antonin Monié.
Des souris de laboratoire dans "In your rooms"
Comment fonctionnent les groupes humains, comment trouver l’équilibre dans un monde instable et violent interroge Shechter au fil de ses créations. Dans In your rooms il transforme un groupe d’une vingtaine de danseuses et de danseurs et en souris de laboratoire. Et comme s’il créait la pièce en direct, Shechter en voix off fait part de son questionnement, de ses hésitations, de ses doutes, établissant des parallèles entre le chaos du cosmos et son propre travail, bafouillant parfois avec humour : "Reprenons du début. Je peux faire mieux que ça… finalement non !".
Un orchestre de cordes et de percussions, comme posé sur un nuage, domine la scène. Dans des flashs de lumières vont apparaître des groupes assis au sol, s’agitant sans cohérence apparente. Les voici qui s’alignent, se courbent, prostrés, se protégeant le visage d’une main. Puis boostés par la musique les mouvements se libèrent. Il y a quelque chose de terrien, de sauvage, dans cette danse où les corps se tordent, les bras balayant l’espace, esquissant par leur expressivité un nouveau langage. Et quand les danseurs se déploient, bras levés vers l’orchestre, ils semblent implorer une rédemption.
Transe
Une transe qui alterne avec des moments de répit. Des couples se forment, une tendresse pointe avant que la danse ne reprenne. Chacun paraît chercher son chemin avec l’énergie du désespoir. Un homme s’avance brandissant une pancarte "Dont follow leaders" (ne suivez pas les chefs), puis il la retourne "Follow me" (suivez-moi !).
In your room montre un désespoir mâtiné d’humour en faisant référence à la poussière du cosmos où, selon Shechter, nous finirons tous. Et là aussi les danseurs de l’Opéra de Paris montrent une cohérence parfaite, où même les plus fameux (Marion Barbeau) font preuve de cet esprit de groupe.
Hofesh Shechter, avec le Cord de Ballet de l'Opéra national de Paris
"Uprising" et "In your rooms"
Palais Garnier
Place de l'Opéra, Paris IXe
01 71 25 24 23
17, 19, 20, 22, 25, 27, 28, 31 mars
1, 2, 3 avril 2022
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