"Je suis un humoriste informé", Christophe Alévêque fait sa revue de presse au festival Off d'Avignon
Christophe Alévêque est dans le Off du Festival d’Avignon, avec sa "Revue de presse, saison 2", où il passe l’information à la moulinette. Interview.
La revue de presse est un exercice qu’affectionnent les humoristes. C’est même le titre d’une émission de télévision qui perpétue la tradition des chansonniers d’antan qui brocardaient le pouvoir en place. Aujourd’hui, le stand-up ou le one-man-show a remplacé la chanson. Christophe Alévêque est le digne représentant de cette lignée en renouvelant son spectacle chaque soir, au gré de l'actualité. Il nous parle de son spectacle et du Festival d’Avignon où il se produit au Capitole jusqu’au 27 juillet.
France Info Culture : Vous ouvrez votre Revue de presse sur le traitement de la canicule dans les médias. Alors, on en parle de cette canicule ?
Christophe Alévêque : Les gens qui viennent me voir savent pourquoi ils sont là. Si j’ouvre là-dessus, c’est qu’ils savent que je vais parler de politique. Et que justement, les médias esquivent le sujet. La canicule est comme une opportunité pour parler d’autre chose. Moi, je phagocyte l’info chaque jour pour ma revue de presse. Et qu’est-ce-que j’observe depuis deux semaines : on ne parle que de météo. J’ai vu aujourd’hui dans un même journal, d’un côté "pensez à vous hydrater" et de l’autre "arrêtez d’arroser". Et au milieu de tout ça, on a vu quelque petites polémiques… Mais je profite du festival pour ressortir aussi les gros dossiers de l’année. En fait, je me laisse porter en fonction de l’actualité, de la salle, du public... Souvent, j’ai prévu des choses et je pars ailleurs.
Est-ce que cette revue de presse est l’héritière de celle de Guy Bedos ?
Oui, on est toujours l’héritier de quelqu’un, de quelque chose, on écrit toujours sur de l’écrit. Et puis Bedos, c’est pour moi une référence. Je fais ma revue autrement, mais c’est lui qui m’en a donné l’idée. Moi, ce que j’essaye de faire c’est de comprendre le mécanisme humain, de décrypter l’évolution du monde… Je me pose des questions à haute voix plutôt que donner des réponses. Et souvent la réponse est dans la question. J’ai l’impression d’échanger avec les gens, c’est pourquoi j’appelle ce spectacle une thérapie collective.
On sent de l’improvisation dans le spectacle. Il est donné pour une durée d’1h20, et hier c’était 1h45.
Oui, ça dépend. L’autre jour, j’ai fait 2h00. Ça dépend de la salle, ça dépend des gens. Sur scène, je ne sais pas où j’en suis au niveau du temps. J’ai un décompte, mais je demande aux spectateurs "est-ce que vous en voulez encore ? ". Je les suis en fait, je ne veux rien imposer, c’est pour ça que le spectacle ne se veut pas manichéen ou didactique, j’essaye de voir l’actualité autrement et de comprendre. Je veux mettre le doigt sur l’info, sur le traitement de l’info.
Comment procédez-vous, c’est quoi la méthode Alévêque ?
Je pars toujours de la presse écrite. Je lis un maximum d’articles en diagonale. J’ai comme un radar et puis ensuite je regarde, j’écoute ce qui se dit dans les médias de masse. Les réseaux sociaux, j’y vais très peu, parce que c’est un déversoir de pseudo-démocratie qui m’énerve vraiment. C’est plutôt les radios du matin, les premiers flashs de 5h00, 6h00 qui donnent le "la". De ce point de vue, les médias sont atteints du suivisme. Le spectacle est un peu une critique à leur égard. Cependant Dieu sait si j’ai le plus grand respect à leur égard, et heureusement qu’il y en a, la preuve est faite tous les jours qu’ils défendent la démocratie et la liberté, mais ils ont aussi des défauts comme tout le monde. J’ai d’ailleurs beaucoup d’amis journalistes qui me disent comment ça se passe. De ce point de vue, je suis un humoriste informé ! Ils se disent les premiers abattus de la manière dont est traitée l’actualité. Il y a un lissage de la pensée, ils n’ont plus le temps, ils ne sont pas assez nombreux, il y a moins de moyens, il faut traiter tel ou tel sujet parce qu’on en parle… C’est pour ça que des infos ridicules sont reprises toute la journée, parce que trois radios ont commencé là-dessus, et les télés se disent, les radios en parlent, on va en parler aussi. Et le lendemain, c’est repris… ça dure 24 heures. On ne saura jamais la fin de l’info, mais elle est arrivée, elle est repartie. Au milieu d’un magma général. Donc, j’essaye de faire le tri.
Le système est un peu le même que dans le spectacle : le producteur se met à la place du spectateur, et le rédacteur en chef à la place du téléspectateur, de l’auditeur ou du lecteur. Leur raisonnement, c’est "ils ne vont pas aimer, ils ne vont pas comprendre, ils ne vont pas s’intéresser..." Ma revue de presse, c’est tout l’inverse. Je peux passer 25 minutes sur une info.
Tout le monde en prend pour son grade dans le spectacle, mais Macron, c’est un peu votre tête de Turc…
Oui, mais quand Sarkozy était là ou Chirac, c’était pareil. Moi j’ai commencé avec Mitterrand, alors… Je m’attaque au pouvoir, pas à des personnes. Le pouvoir, il est politique, culturel, économique, financier. C’est ce qui est intéressant à décrypter. On m’a souvent reproché d’être trop engagé, mais je suis dans l’état de tous les Français, c’est-à-dire paumé. Politiquement. C’est ce que je dis dans le spectacle "être dans l’état de Vincent Lambert et dans l’état de sa mère". La République en Marche est en train de devenir un parti du vieux monde et donc une machine à perdre et on va se retrouver nulle part. On vit une époque où domine le principe de précaution, on interdit tout, le monde devient de plus en plus procédurier et une fois de plus, on passe à côté des vraies affaires…
Vous avez un exemple récent ?
François de Rugy par exemple. Notre-Dame brûle le lendemain de la révélation de son affaire : il est sauvé. C’est l’arbre qui cache la forêt. La démocratie tient à ça maintenant.
Et Avignon dans tout ça, vous êtiez déjà venu au Festival ?
Oui, l’an dernier on avait fait La Revue de presse saison 1 au Chien qui fume (théâtre réputée d’Avignon, ndlr), et comme ça a cartonné, on a décidé de recommencer. Dans une salle différente, plus populaire, près de la rue de la République (Le Capitole, également salle de cinéma), pour changer et aller voir comment ça se passerait dans un lieu différent.
Vous allez voir des pièces quand vous êtes ici ?
Non, je n’ai pas le temps. Je vais voir des potes à l’occasion, mais rien de plus.
Est-ce que vous rencontrez un public spécifique à Avignon ?
Non pas forcément. Mais on sent que c’est un public qui a vu deux ou trois spectacles dans la journée, et que les gens ont besoin d’un moment de détente. De décompression. C’est aussi pour cela que j’aime jouer le soir (le spectacle est à 21h00, ndlr).
Voudriez-vous développer plus d’interaction avec le public dans votre spectacle ?
C’est très dangereux, je fais de la fausse interaction. J’aime bien repérer une personne ou deux dans le public et en jouer, jouer avec eux, mais c’est un piège, et puis c’est un poncif aussi, et ça peut devenir ingérable. C’est un spectacle, même si ce n’est pas écrit car très réactif à l’actu du jour, mais je ne peux pas me permettre d’être interactif. Quand j’improvise j’ouvre des tiroirs où je me retrouve sur un fil, je peux tomber d’un côté ou de l’autre. Et puis, j’aime bien me laisser aller. Ce spectacle, je ne veux pas qu’il soit écrit, avec un point, celui-là, je veux le laisser vivre. Avec des fulgurances, j’espère, et des flops, c’est ça la liberté, la liberté, ce n’est pas être que génial.
Vous ne trouvez pas que l’humour est de plus en plus présent à Avignon ?
Non, ça a toujours été. J’avais fait le festival il y a très, très longtemps, puis j’ai arrêté pendant 15 ans, et on disait déjà, il y a trop de spectacles d’humour. C’était en 2003, et à l’époque il y avait 500 spectacles dans le Off, aujourd’hui, il y en a 1 600 de programmés. Je trouve que ce festival est à l’image de la société actuelle. J’en discutais avec un des responsables du In hier : il est lisse cette année, il n’y a pas eu une polémique. Dans l’ensemble le bilan est déjà fait, ce n’est pas un bon cru. Il y a des trucs bien, attention, il y a de très belles choses, et vive le théâtre et pourvu que ça dure, mais c’est lisse. L’ensemble manque un peu de couilles, de créativité. Il y a encore deux ans, je me rappelle de Jeanne Favre, ça hurlait à la fin du spectacle, ça débattait, c’est le théâtre aussi ça. Le théâtre subventionné peut se le permettre, dans le théâtre privé, c’est plus compliqué.
La Revue de presse va continuer ?
Oui, oui, c’est quelque chose que je veux continuer. Et en tournée, ça fonctionne vraiment bien. Le public est en demande. Je ne fais plus de radio, ni de télévision, c’est un choix, parce que l’on me prévient, "Ah bah ça, non, tu ne peux pas le dire". Bon, alors je le garde pour la scène.
La Revue de presse saison 2
Christophe Alévêque
Jusqu'au 27 juillet
Le Capitole (ex-Pandora)
5 Rue Pourquery de Boisserin, Avignon
21 heures
Réservation : +33 (0)4 90 02 23 46
Tarifs :
Abonné16 €
Plein tarif 23 €
Moins de 16 ans 16 €
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