Le danseur Léo Walk triomphe au Châtelet avec sa nouvelle chorégraphie "Maison d'en face"
Certains artistes sculptent la pierre, d’autres malaxent le son. Léo Walk a choisi de travailler le corps pour s’exprimer. Le sien mais aussi celui des autres, ceux des huit danseurs qui évoluent avec lui dans la compagnie La Marche Bleue qu’il a fondée en 2018. "En danse, on parle juste avec les corps et on revient à quelque chose de simple, comme quand on était enfant, quand on était tous amis", nous expliquait-il récemment.
Ce touche-à-tout qui pratique la breakdance depuis l’enfance et a écumé les battles toute son adolescence, est aussi mannequin, créateur de vêtements (sa marque de streetwear s’appelle Walk in Paris) et réalisateur de clips vidéo (une Victoire de la Musique pour le clip d’Angèle Tout oublier en 2019). Repéré par la chorégraphe Marion Motin, il a fait ses premiers pas de danseur professionnel en tournée aux côtés de Christine and The Queens durant trois ans, de 2014 à 2016. Depuis, le succès de ce beau gosse hyperactif va croissant.
Des tableaux d'une grande douceur
Après Première Ride, un premier spectacle pensé comme un road trip initiatique racontant le passage de l’adolescence à l’âge adulte, Léo Walk, 28 ans, présente à Paris et en tournée sa nouvelle chorégraphie, Maison d’en face, "une exploration poétique des sentiments amoureux et amicaux", imaginée durant le confinement. Nous l’avons vue dans un Théâtre du Châtelet qui affichait complet.
Sur scène, un décor sobre fait de murs blancs percés d’ouvertures graphiques est plongé dans une semi-pénombre, celle de l’aube. Au premier plan, un garçon lit à une table, un autre caresse tendrement sa compagne sur un banc de bois. En haut d’une petite volée de marches, une jeune femme natte ses cheveux comme au ralenti. Le tableau s’anime petit à petit, les corps s’étirent, nimbés de l’or des premiers rayons du soleil. C’est doux, tendre, contemplatif. Et, en dépit de parties bien plus agitées, cette remarquable quiétude, ce côté feutré, domine résolument la petite heure que dure le spectacle.
Donner de l'espoir dans cette "période de fous"
Le confinement, Léo l’a vécu dans une maison avec des amis, où il était le seul célibataire entouré de couples. Ce spectacle est le fruit de son ressenti et de ses observations à ce moment-là. Dans cette maison, " mes amis m’ont donné beaucoup d’espoir à travers leurs différences, à travers la beauté de l’humain", nous confiait-il. " J’observais comment l’humain se débattait dans toute cette merde et je trouvais quand même fou qu’il arrive à rire tous les jours et à garder espoir. Je voulais travailler cette matière en danse." Avec pour objectif de " faire du bien" dans " cette période de fous".
Dans Maison d’en face, des duos, des trios et des groupes se font et se défont, se cherchent, se trouvent, cavalent, se rassemblent en essaim puis se dénouent. L’éventail des climats va de la joie pure et enfantine à la mélancolie, et de l’abattement, voire l’asphyxie, à la plénitude. Les gestes des danseurs sont naturels, harmonieux, sans affèterie, mais peut-être un peu trop mesurés. Ce qui n’empêche ni le souffle poétique, ni la grâce.
La lumière, remarquablement maîtrisée, sert tout du long de repère horloger aux jours et aux nuits qui se fondent et s’étirent, tandis que l’électro rêveuse ou plus nerveuse de Flavien Berger et ses paroles – "J'avais rêvé que tu m'aimais", "J’allais aux battles de rap sans avoir répété", "Je te cherche à genoux"…- font office de boussole narrative.
L'émotion surgit à l'improviste
Ce qui séduit chez Léo, c’est sa grande liberté. Inspiré aussi bien par la breakdance qu’il pratique depuis ses 8 ans, que par la danse contemporaine, l’électro et le modern jazz, il élabore son propre langage chorégraphique. Un langage qui vient du cœur et du corps. Fluide, instinctif, organique. Rien de forcé dans le mouvement, rien de spectaculaire pour épater. Seule l’émotion compte. Elle surgit régulièrement, à l’improviste, au détour d’une glissade rieuse, d’une tendre caresse collective, de jeux de mains aériens, d'un déhanché groupé, de sursauts au sol comme en apnée, d’un solo sur quelques notes de piano désaccordé.
Il y a trois ans exactement, quelques jours avant le premier confinement de mars 2020, nous avions vu un autre ballet au théâtre du Châtelet, l'éblouissant Room with a view de (La) Horde avec le musicien Rone. Il y était question d’une jeunesse aux prises avec des forces qui la dépassaient et menaçaient de l’anéantir jusqu’à ce qu’elle ne se dresse contre elles et se libère. Dans Maison d’en face, la jeunesse semble davantage confrontée à elle-même. Une jeunesse en vase clos, qui souffre moins de claustration que de devoir se trouver dans le regard de l’autre. Ce spectacle de Léo Walk apparaît ainsi comme le récit onirique d’un lent mûrissement à la fois individuel et collectif.
Un récit qui résonne chez beaucoup si l’on en croit l’ovation debout d’un public plutôt jeune, où s’étaient glissés ce jeudi 6 avril Thomas Bangalter de Daft Punk, son épouse Elodie Bouchez et un de leurs fils. Le sourire radieux mêlé au regard presque surpris de Léo, qui finissait par faire des cœurs avec ses mains, en disait long lui aussi.
"Maison d’en face" par la compagnie La Marche Bleue, mercredi 12 et jeudi 13 avril au Théâtre du Châtelet (Paris) puis en tournée, le 27 avril à Lausanne (Suisse), le 2 mai à Marseille (Le Silo), le 3 mai à Calluire (Le Radiant-Bellevue), le 15 novembre à Bruxelles (Cirque Royal)
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