Le chorégraphe américain Trajal Harrell rend hommage aux historiques hoochie-coochie shows dans son spectacle "Caen Amour"
Une douce odeur de miel et de cannelle emplit la salle du Théâtre de Montreuil. Les spectateurs poursuivent leurs discussions, assis sur des coussins et des poufs. Pas de fauteuils de théâtre, trop guindés pour l’ambiance chaleureuse et décontractée du spectacle. Le danseur et chorégraphe américain Trajal Harrell se déhanche sur scène devant un palais oriental au bleu égyptien éclatant. La musique retentit, les discussions s’arrêtent.
Trajal Harrell commence son spectacle Caen Amour avec une douceur apaisante. Il danse comme s’il était chez lui, dans sa chambre ou dans sa cuisine. Une danse tellement naturelle, qu’elle ne semble presque pas chorégraphiée. Il se laisse porter par les saxophones du titre Frankies’s First Affair de Sade, la célèbre chanteuse de smooth jazz. On se croirait à la fin d’une soirée avec des amis qui se laisseraient porter par une dernière danse.
Féminité et orientalisme
Créé en 2016, Caen Amour puise son inspiration dans les hoochie-coochie shows nés au milieu des années 1800 et popularisés par la danseuse syrienne Littlle Egypt, qui fit sensation lors de l’Exposition universelle de Chicago en 1893. Danse lascive, mélange de danse orientale et de danse du ventre, le hoochie-coochie attire un public qui recherche une forme d’exotisme. Un regard généralement masculin, sexiste et orientaliste, historiquement porté par les "bons pères de famille, aux casanovas, aux hommes des bois, voyeurs, proxos, puceaux, requins, playboys, voyous, zazous, gentils garçons, monsieurs muscles, rockers, machos et autres siffleurs de jupons", explique Trajal Harrell dans sa note d’intention.
Le chorégraphe, nouveau portrait du Festival d’Automne 2023, se joue de cette audience habituelle des hoochie-coochie shows pour créer une "résistance" à travers sa danse. Trajal Harrell ne reconstitue pas un spectacle de hoochie-coochie, mais en récupère les codes. Les quatre danseurs, qu’ils soient masculins ou féminins, se glissent ainsi dans la peau de danseuses et incarnent une féminité des temps anciens.
Après avoir flirté avec le public grâce à ses déhanchés, Trajal Harrell se retire de la scène. Il distribue des feuilles au public qui expliquent l’histoire du hoochie-coochie ainsi que les intentions de son spectacle. "Bienvenue à Caen Amour", lance une femme en expliquant les consignes du spectacle. "Quand vous me verrez à cet endroit, vous pourrez vous lever et vous déplacer à l’arrière de la scène." Après quelques avertissements sur des scènes de nu, le spectacle peut reprendre.
Hommage à la danse orientale
Les danseurs arrivent sur scène parés de tissus, défilant sur la pointe des pieds en exagérant les déhanchés et les jeux d’épaules. Tout au long du spectacle ils ne font qu’un avec leurs costumes composés de tissus polymorphes, qui changent d’aspect au fur et à mesure de leurs passages sur scène. Lorsque le public est enfin autorisé à se lever et à assister à l’arrière-scène, il découvre un petit studio décoré de tapis en paille et d’objets singuliers allant de paquets de mouchoirs, aux protections hygiéniques, en passant par des Unes de magazines et une remarquable photo de Grace Jones par Andy Warhol.
On y découvre surtout la préparation des danseurs, façonnant leurs costumes en quelques secondes, se drapant minutieusement dans des tissus lamés ou transparents, leur donnant une allure différente à chaque défilé sur scène. Trajal Harrell rend un remarquable hommage aux robes longues et amples, ces abayas ornées, ou ces tissus courts et parfois lourds, qui font partie intégrante d’une performance de danse orientale. Les tissus donnent une expression presque théâtrale à la danse.
Les bras et les hanches prennent une place à part dans ce hoochie-coochie modernisé grâce à l’apport du voguing, danse urbaine créée par la communauté LGBTQIA+ dans les années 70 à New York. Dans Caen Amour il s’agit du "voguing runway realness", une interprétation récurrente dans le travail de Trajal Harrell, envisagée comme un défilé où le vogueur intègre des mouvements de danse tout en défilant. Reines androgynes, les danseurs aux visages parfois recouverts de tissu se jouent des codes orientalistes, transportant des jarres métalliques sur la tête ou faisant tinter des tambourins. Un spectacle relaxant aux multiples références historiques.
"Caen Amour" par Trajal Harrell au Théâtre de Montreuil (avec le Festival d'Automne 2023)
Samedi 28 octobre (18h et 20h30) et dimanche 29 octobre 2023 (17h et 19h30)
Durée : 1 heure
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