"Corps extrêmes" au Théâtre de Chaillot : entre exploit et chorégraphie, le spectacle en apesanteur de Rachid Ouramdane
Du sport extrême à la danse, le directeur du Théâtre de Chaillot, Rachid Ouramdane, explore dans son dernier spectacle les notions d'envol, de vide et de chute à travers les exploits de huit acrobates, une grimpeuse et un funambule.
Comment le mouvement nous transforme-t-il ? Le chorégraphe Rachid Ouramdane pose la question à plusieurs sportifs de l’extrême dans son dernier spectacle joué au Théâtre de Chaillot jusqu’au 24 juin. Un funambule, une grimpeuse et huit circassiens partagent sur scène une réflexion personnelle autour de leur discipline. "On les juge un peu rapidement comme des trompe-la-mort, des foufous, mais souvent en bavardant avec eux, on découvre des gens avec une profonde philosophie de vie", raconte le chorégraphe originaire de Haute-Savoie.
Lui a grandi dans les montagnes, avant de prendre la tête du Centre chorégraphique national de Grenoble de 2016 à 2021. Toujours à proximité de ses sommets. Régulièrement, il observe des sportifs – champions de parapente ou base-jumpeurs – évoluer sur ces pics et défier la pesanteur. Leur rapport au vide, à l’envol, à l’aérien, fascine le danseur. "Je me suis demandé comment toutes ces notions participaient à la construction d’une personne." À commencer par la peur de la chute.
Surmonter la peur de la chute
"Quand on a tout le temps peur de chuter, finalement on s’empêche d’avancer. Alors qu’apprendre à chuter nous en prémunit", constate-t-il. Nathan Paulin, funambule depuis quelques années, le confirme. C’est lui qui ouvre la pièce : en fond de scène, un immense mur d’escalade blanc sert d’écran de projection. A la vue des premières images, voilà le spectateur transporté au milieu des falaises, à des dizaines de mètres d’altitude. Sur une sangle orange plus fine qu’un ticket de métro, le sportif déambule, les bras déployés comme les ailes d'un oiseau.
Une bande sonore se lance, probablement enregistrée dans la nature. On entend le vent, puis la voix de Nathan Paulin : "j’ai eu une mauvaise expérience avec le vide". À 15 ans, alors qu’il se balade en montagne avec ses parents, il se retrouve contre un rocher terrifié par le vide, en pleurs. Alors il décide de vaincre le mal par le mal et se met à la highline. Depuis, il est recordman de la discipline, un statut qu’il a décroché en 2017 avec sa traversée au-dessus du cirque de Navacelles : 1662 mètres de long, à 300 mètres de hauteur.
Connectés par le regard
Alors, lorsqu’il fait ses premiers pas sur une ligne tendue d’un bout à l’autre de la scène de Chaillot, quelques minutes après le début du spectacle, c’est (presque) un jeu d’enfants. "Aujourd’hui, je n’ai plus du tout le tract", lance-t-il serein. Rapidement, il est rejoint par une joyeuse bande d’acrobates dont certains appartiennent à la Compagnie XY. Après plusieurs allers-retours, Nathan Paulin s’immobilise, assis sur sa ligne, et devient lui-même spectateur.
Sur terre, rythmée par une musique électro, la prestation est tout aussi époustouflante. Les circassiens s’escaladent les uns les autres avec souplesse et fluidité, avant de se jeter dans les airs. Le lien avec Nathan Paulin se fait par le regard. "C’est une demande de Rachid. Il a travaillé sur les coups d’œil et attentions pour qu’une connexion s’établisse entre nous", commente le funambule. Parfois, les acrobates se rapprochent de cette ombre qui plane au-dessus d’eux. Soutenue par ses partenaires, Airelle Caen - co-fondatrice de la Compagnie XY - frôle la main de l’équilibriste. "C’est mon moment préféré, l’un de mes rapports les plus intenses avec Nathan", glisse-t-elle.
Du sport à la chorégraphie
"Il y a beaucoup de curiosité entre eux", souligne Rachid Ouramdane. Durant les répétitions, les acrobates se sont essayés à l’escalade et la slackline. Pour Airelle Caen qui se produit souvent dans des théâtres, le funambule et la grimpeuse apportent "du grand air" à Chaillot. Sur le mur d’escalade, des paysages à couper le souffle se succèdent : des falaises immenses filmées au drone, habituels terrains de jeu des sportifs. Eux sont solitaires, alors qu’il existe un rapport d’interdépendance entre les acrobates.
"Notre pratique ne peut pas se faire sans l’autre. On travaille l’écoute du corps de ses partenaires. Comment ils bougent, quels sont leurs réflexes ?", détaille Airelle Caen. Une entente rendue possible grâce à une extrême concentration. "C’est quelque chose qui nous lie à Ann (la grimpeuse) ou Nathan, une rigueur commune." Tout comme l’envie de toujours être à la frontière du possible. Lors de la création, ils ont tenté des sauts inédits où ils s’accrochaient à la ligne mais ont finalement décidé de ne pas les garder.
"Au moment des répétitions, chacun proposait des mouvements et Rachid les a sélectionné puis liés. Il a ajouté la musique aussi." Le directeur de Chaillot réussit avec brio à passer du sport au ballet : "Des corps qui se déplacent dans l’espace en dessinant des choses, c’est déjà de la chorégraphie. Parfois, j’ai l’impression que le chorégraphique invite à regarder les choses qui nous entourent différemment."
"Corps extrêmes" de Rachid Ouramdane
Jusqu'au 24 juin au Théâtre de Chaillot
1 place du Trocadéro, 75 016
01 53 65 31 00
En tournée dans toute la France
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