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Du "Mytho" au "Flambeau" : Jonathan Cohen ou la carrière improvisée d'un drôle de comédien

Devenu incontournable ces dernières années au cinéma et à la télévision, le comédien a imposé son humour. Il reprend son personnage égocentrique et idiot dans "Le Flambeau", sa nouvelle série diffusée sur Canal+. 

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le comédien Jonathan Cohen à Cannes (Alpes-Maritimes) lors de la 5e édition de Cannes Séries, le 22 avril 2022. (ERIC DERVAUX / HANS LUCAS / AFP)

"Weeeuuuu Weeuuuuu !" Accoudé à une table du wagon-bar d'un TGV en route pour Cannes (Alpes-Maritimes), dissimulé sous une casquette et des lunettes de soleil, un homme prépare sa blague. Il sort les voyageurs de leur torpeur en criant : "Ceci est une descente de police ! Oui, j'étais déguisé en jeune..." Ce sketch et ses variantes, improvisés il y a quatre ans en marge du festival Cannes Séries, sont réapparus sur Twitter il y a quelques semaines, au point de devenir un gag récurrent et populaire en soirée comme au bureau.

Leur auteur ? Jonathan Cohen, comédien de 41 ans au parcours sinueux, devenu en quelques années un visage incontournable de l'humour à la française. Il revient, accompagné d'un casting cinq étoiles (Pierre Niney, Ana Girardot, Jérôme Commandeur, Kad Merad, Gérard Darmon, Adèle Exarchopoulos, Camille Chamoux...), lundi 23 mai sur Canal+ dans Le Flambeau, où il reprend son personnage d'égocentrique idiot, né dans La Flamme "MAAAAARRRRRCCC", comme l'éructe Leïla Bekhti. Cette fois-ci, il n'est plus question de parodier "The Bachelor", mais "Koh-Lanta".

Voici comment Jonathan Cohen, qui aurait pu continuer à vendre des fenêtres s'il ne s'était pas pris de passion pour les planches, s'est fait sa place au soleil.

Tous ceux qui ont croisé sa route le disent : Jonathan Cohen est un mec marrant, et pas qu'un peu. Raymond Acquaviva, son premier professeur de théâtre, se souvient d'un garçon "hyper motivé, sympathique et très drôle". "Il possède une énergie inépuisable de comédie, c'est le gars qui raconte le mieux les histoires drôles que je connaisse, il amène le rire partout où il va", confirme le réalisateur Alexandre Castagnetti. "C'est quelqu'un qui est tout le temps drôle, tout le temps en train d'inventer, d'expérimenter, de chercher la création", renchérit la metteuse en scène Elise Vigier.

"J'ai pété un câble et j'ai démissionné de mon taf"

Ce goût pour la blague remonte au collège. "J'avais besoin de trouver ma place et j'ai commencé à faire des blagues, raconte Jonathan Cohen à KonbiniAprès, ça a été une nature, j'avais trouvé une place dans laquelle on m'aimait bien." Mais ce fils d'une employée de banque et d'un commercial, qui a grandi à Pantin (Seine-Saint-Denis), était loin de s'imaginer mener une carrière artistique.

"Je n'attendais qu'une chose : passer le périph' et gagner ma 'life' à Paris."

Jonathan Cohen

à "L'Obs"

La traversée du périphérique passe par la vente de fenêtres. Son ami Olivier Rosemberg, qui joue son meilleur pote dans la série Family Business, lui montre une autre voie : celle de la scène. En 2002, il assiste à un cours en costume avec sa malette de VRP, il a le déclic. "J'ai pété un câble, j'ai démissionné de mon taf et je me suis jeté à corps perdu dans le métier", raconte Jonathan Cohen à l'AFP. 

"On voyait qu'il découvrait le monde du théâtre, la tragédie, les vers, il se demandait ce que c'était. Mais il était très spontané et très travailleur, retrace Raymond Acquaviva. Il me disait : 'OK Raymond, je vais le faire, je vais le faire'. Tout de suite, il m'a accroché par son sourire, sa passion, sa manière de s'adresser à moi."

Le syndrome de l'imposteur

Jonathan Cohen joue le répertoire comique de Feydeau, mais il se frotte aussi à la tragédie, notamment avec la pièce Titus et Bérénice, de Corneille. "Je voulais qu'il ouvre sa palette d'acteur, mais il n'avait pas de limite", explique Raymond Acquaviva. "Il fallait simplement qu'il retrouve sa concentration, un médium dans sa voix. Feydeau le décentrait, mais la tragédie le recentrait. Il a réussi à être un Titus très émouvant face à Bérénice." Son professeur le pousse à tenter le redoutable concours du Conservatoire national d'art dramatique. "Jonathan ne se sentait pas légitime, il ne savait pas ce que c'était, il croyait qu'on parlait de boîtes de conserve et ne comprenait pas le rapport avec l'art dramatique", rigole son maître. 

L'élève réussit l'examen d'entrée en 2003. Le voilà au milieu de Louis Garrel, Audrey Lamy ou encore Céline Sallette. "Je me suis retrouvé qu'avec des tronches, alors que moi, dans mes bagages, je n'avais qu'une pomme", dit-il au Parisien (article payant). La question de sa légitimité est posée lorsqu'on lui demande pourquoi il veut faire ce métier. "Je voyais tout le monde habité par quelque chose de très puissant, mais moi pas du tout. Simplement, ça m'éclatait d'être sur scène, revendique-t-il chez Konbini. Suis-je un imposteur ? Est-ce que je mérite d'être dans cette école ? Est-ce que j'étais à ma place ?"

Une "nature comique" qui prend le dessus

Le théâtre lui offre un cadre avec lequel il joue naturellement. Son profil tape dans l'œil de metteurs en scène, notamment ceux de Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier. Le duo le rencontre lors de sa formation et l'engage pour incarner un espion russe à l'accent prononcé en pleine guerre d'Espagne. "Jonathan Cohen n'avait pas peur d'être ridicule et de se planter", se souvient la metteuse en scène, louant sa "liberté de jeu", son "inventivité" et son "rapport au public".

Après les planches, Jonathan Cohen fait ses premiers pas dans le petit et le grand écran. Alexandre Castagnetti lui offre plusieurs rôles, dans la série Les Invincibles, puis dans la sitcom La Chanson du dimanche, la série et enfin Amours et Turbulences, une comédie romantique avec Ludivine Sagnier et Nicolas Bedos, où il interprète le meilleur ami de ce dernier.

""C'était un rôle tragi-comique, parce que Jonathan a vraiment le talent pour interpréter ces rôles qui font à la fois rire et pleurer."

Alexandre Castagnetti, réalisateur

à franceinfo

"Quand je le rencontre, je ne rencontre pas un youtubeur ou un stand-upper. Je rencontre un comédien qui sort du Conservatoire avec une nature comique", se remémore le réalisateur. Sorti en 2013, Amours et Turbulences ne rencontre pas le succès espéré et Jonathan Cohen doit encore attendre un peu avant de crever l'écran. Mais "c'était prévisible que ça allait fonctionner pour lui", assure Alexandre Castagnetti, ajoutant : "Tu rencontres rarement des gens aussi doués et faits pour ce métier".

Serge le Mytho, le tremplin

Jonathan Cohen se fait finalement un nom sur Canal+ trois ans plus tard. Son personnage de Serge le Mytho, d'abord apparu dans le programme court Bloqués avec les rappeurs Orelsan et Gringe, puis dans sa propre pastille, lui ouvre les portes du succès. "Il devait faire une apparition. Il s'est calé entre les deux et s'est lancé dans une impro de plus de 40 minutes sans s'arrêter, nous étions tous hilares", se souvient dans Le Parisien Harry Tordjman, le producteur de ce programme court. Durant 30 épisodes, le personnage gouailleur et mythomane raconte la vérité sur Jay-Z, se rend chez les Inuits ou révèle qu'il est le descendant de Louis XVI. Au contact d'Orelsan toujours, au cours d'une visite sur la tournée du rappeur en Suisse en 2019, Jonathan Cohen invente un autre personnage aberrant, Fucking Fred, chanteur vulgaire et débraillé.

Cette faculté à embarquer son auditoire dans ses histoires était là très tôt. "A l'école, je racontais que mon père avait créé K 2000 [série mythique des années 1980 mettant en scène une voiture intelligente] et qu'il fabriquait des mini-K 2000 pour enfants. Vers 14 ans, j'ai fait croire que j'avais pécho une meuf qui m'avait donné sa photo dans le métro avec son numéro. Sauf qu'un gars a testé le numéro. L'humiliation a été telle que je n'ai plus jamais recommencé", raconte-t-il à L'Obs (article payant). "Il a cette manière de raconter les histoires, de bifurquer, de digresser, observe Elise Vigier. Il a une facilité à emmener les gens n'importe où."

De folles histoires lui arrivent aussi pour de vrai. Comme ce réveillon de Noël 2015, où, logé chez une amie à Los Angeles, mariée à un producteur, il se retrouve nez à nez avec Mel Gibson, une de ses idoles de jeunesse. "J'étais encore en caleçon, il était venu masser le dos de mon amie avec ses espèces de crèmes médicinales", raconte-t-il au Journal du dimanche (article payant). L'anecdote peu banale ne s'arrête pas là. Sur la route du retour, Mel Gibson a un accident de la route. "On l'a emmené à l'hôpital où j'ai dû l'aider à se déshabiller", poursuit Jonathan Cohen. Pour les remercier, la star de Braveheart les invite chez lui à manger des grillades. Jonathan Cohen en profitera pour brandir la mythique épée de William Wallace. 

"Je ne me pose plus de questions de légitimité"

Le comédien a grandi avec le héros de L'Arme Fatale ou les films de kung-fu de Bruce Lee. Il admire Tom Hanks ou encore Jacques Brel. Mais le vrai déclic, il l'a eu en découvrant l'univers comique des Américains Judd Apatow et Seth Rogen, et du Britannique Ricky Gervais. Une "claque monumentale, lâche-t-il dans le JDD. Ils ont cette volonté de raconter de vraies choses sur le ton de la comédie."

"Judd Apatow, c'est clairement un de ses modèles, confirme Alexandre Castagnetti. Il a amené de la nouveauté dans la comédie en observant et pointant les défauts de ses personnages, en évoquant les tabous, en parlant de ce qui nous rend ridicule et lâche, mais avec un génie comique." Comme Judd Apatow, Jonathan Cohen possède cet esprit de troupe. "A l'époque, il fonctionnait beaucoup avec ses potes, je pense qu'il a toujours cet esprit-là", estime le réalisateur. "C'est un rassembleur, quelqu'un qui cherche à créer du lien", abonde Elise Vigier.

Jonathan Cohen se voit bien un jour "jouer en anglais", la langue de ses modèles, "juste pour le kif, le défi", mais il se défend de tout plan de carrière. Elise Vigier et Raymond Acquaviva, eux, le verraient bien faire du stand-up. En attendant peut-être de remonter sur scène, Jonathan Cohen est devenu incontournable sur les écrans. Quelques semaines avant Le Flambeau, il y a eu En même temps, de Benoît Delepine et Gustave de Kervern. Bientôt, il y aura le prochain Astérix, réalisé par Guillaume Canet et Making of, la première comédie de Cédric Kahn. "Je ne me pose plus de questions de légitimité. Je fonce, je fais et c'est euphorisant de concrétiser ses idées", savoure-t-il dans Le Parisien. Plus besoin de passer par la fenêtre, les portes du succès sont désormais grandes ouvertes.

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