Mort de Jean Malaurie : c'était "un résistant" qui "a voulu décentrer le regard", salue l'actuel directeur de la collection "Terre humaine"

L'ethnologue et éditeur Jean Malaurie est mort à l'âge de 101 ans, a annoncé lundi son fils Guillaume.
Article rédigé par franceinfo
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L'ethnologue Jean Malaurie , fondateur de la collection anthropologique "Terre Humaine" chez Plon, le 3 mai 2001. (PIERRE ANDRIEU / AFP)

"Il faut s'en souvenir, Jean Malaurie est un résistant avant toute chose de la Seconde Guerre mondiale", a expliqué lundi 5 février sur franceinfo l'antropologue Philippe Charlier, et notamment directeur chez Plon de la collection "Terre humaine", créée par Jean Malaurie mort à l'âge de 101 ans. Cette collection a été inaugurée en 1955 avec la publication de son ouvrage sur les Inuits Les derniers rois de Thulé.

franceinfo : Rancontez-nous comment est née cette collection "Terre humaine" chez Plon et le livre "Les derniers rois de Thulé"

Philippe Charlier : En 1951, il découvre à l'époque cette base au milieu de nulle part et pour lui c'est un choc. Il faut s'en souvenir Jean Malaurie est un résistant avant toute chose de la Seconde Guerre mondiale.

"Toute sa vie, il a fallu qu'il résiste à l'environnement difficile qui est celui du monde arctique et ensuite il a voulu résister et donner la parole à tous ces peuples qui n'avaient pas le droit de s'exprimer. Il a voulu décentrer le regard."

Philippe Charlier, directeur chez Plon de la collection "Terre humaine"

à franceinfo

C'est l'esprit même de "Terre humaine", il n'y a pas que l'Occident, bien au contraire. La jeune génération devrait connaître absolument Jean Malaurie et ce qui fait sa triste actualité, c'est-à-dire les écrits qu'il a produits dans les années 1950 et quand il publie Hummocks dans les années 1990, à chaque fois ce n'est pas un dernier inventaire avant la disparition d'un monde, mais plutôt qu'il est encore possible de changer les choses, peut-être pas sur le plan environnemental mais au moins sur le plan culturel.

Le grand Nord et ses habitants étaient devenus chez lui une obsession ?

Oui, et il en parlait extrêmement bien. Quand il fermait les yeux, je pense qu'il voyait les aurores boréales et le ciel polaire ou arctique qu'il décrit très bien dans des poèmes, dans des textes et même dans des aquarelles. Il pensait même en Inuit, il se disait chamane ou inspiré par cet esprit naturaliste qui avait vraiment forgé toute sa vie. Il était très investi, il a formé beaucoup d'élèves autour de cette défense de l'environnement, qu'il s'agisse du monde arctique, qu'il s'agisse des peuples autochtones mais pas que dans le monde arctique.

Ce modèle de préservation de l'équilibre entre l'homme et l'environnement, il se décline partout à la surface du globe. Jean Malaurie était habitué à sentir l'environnement autour de nous. Qui maintenant en Occident sent encore l'environnement, qui contemple encore la nature, quand on est soit autocentrés, soit centrés sur les nouvelles technologies ? Quand il est seul sur son traîneau avec ses chiens et qu'il est face à l'immensité de la nature c'est à ce moment-là que l'on se rend compte de la véritable place de l'Homme dans la nature, c'est-à-dire : rien.

Jean Malaurie a toujours alerté sur la folie des hommes et de leur indifférence à la préservation de l'environnement. Ce que l'on vit aujourd'hui lui donne évidemment raison ?

Tout s'accélère que ce soit dans l'Arctique avec la fonte du permafrost, la fonte de la banquise, l'équilibre entre l'homme et l'environnement qui est complètement perturbé et puis quelque chose qu'on avait décrit ensemble, cette épidémie de suicides chez les peuples arctiques. Ces peuples ne se retrouvent plus car toutes les traditions disparaissent. Les plus jeunes partent vers le monde occidental et quand ils reviennent de temps en temps, il y a une dissociation, un hiatus trop important entre les anciens et les vieux, d'où les suicides, l'alcool et la drogue.

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