Le menuisier Joachim Martin (1842-1897) a écrit un bref journal intime sur des planchettes de bois volontairement dissimulées par lui sous le parquet qu'il posait dans le château de Picomtal, au cœur des Hautes-Alpes. C’est une chronique également des mœurs d’une petite commune au début de la Troisième République (1870-1940). Ces chutes de bois sur lesquelles l’homme de l’art a inscrit ses messages ont été découvertes, et miraculeusement sauvées, lors de la restauration du bâtiment par les nouveaux propriétaires.Ces 4 000 mots ont été consignés sur 72 planchettes authentifiées et analysées par l’historien Jacques-Olivier Boudon, professeur à la Sorbonne et auteur du Plancher de Joachim, l'histoire retrouvée d'un village français (éd. Belin). Ce jour-là, aux archives départementales des Hautes-Alpes, il feuillette le carnet de comptes du châtelain Joseph Roman et retrouve les sommes que le notable a versées à Joachim Martin : "Ici, cinq francs… Ce sont de petits travaux de réparation. Cinq francs correspondent à peu près à une journée de travail.""Ô toi seigneur qui habite le château, ne méprise pas l’ouvrier"Le maître des lieux est un personnage central des écrits de ce "blogueur" clandestin : "Monsieur Roman va arriver de Briançon et me gronder de voir que je n’ai pas fini le plancher", écrit-il sur une des planchettes. L’universitaire précise : "Il y a la distance sociale qui sépare le plus grand notable du village et le menuisier qui se plaint de n’être pas assez payé. Joachim écrit par exemple sur une planche : 'Ô toi seigneur qui habite le château, ne méprise pas l’ouvrier.' Il évoque aussi le châtelain dans les relations qu’il peut avoir avec celui qui a un goût pour l’histoire, la culture, les livres..." explique Jacques-Olivier Boudon.La politique va opposer les deux hommes férus d’histoire. Le châtelain et le menuisier soutiennent des camps adverses. Le premier rédige ainsi un livret titré Conseils à mes enfants (1890) : "En politique, restez toujours attachés à la saine doctrine de la royauté légitime." Le second est un républicain convaincu : "La République a fait de belles choses en 1881 : elle a diminué d’un tiers les curés, a augmenté les pensions militaires... 4 milliards dépensés pour les écoles publiques… Jamais rien vu de semblable", témoigne-t-il sur une planchette. Ces mots rendent ainsi compte de l’ancrage au cœur des campagnes d’un régime politique : la République.> Les replays des magazines d'info de France Télévisions sont disponibles sur le site de Franceinfo et son application mobile (iOS & Android), rubrique "Magazines".