"Manouchian et ceux de l'Affiche rouge" : un documentaire puissant sur le destin tragique de ces résistants communistes et étrangers

À la veille de la cérémonie d'entrée au Panthéon de Missak Manouchian, visage emblématique de ce réseau très actif, et de son épouse Mélinée, France 2 diffuse mardi soir un film de Hugues Nancy et Denis Peschanski, narré par le chanteur Arthur Teboul (Feu! Chatterton). Archives méconnues et faits poignants apportent un nouvel éclairage sur cette page dramatique de l'histoire.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Missak Manouchian (au centre), et autour de lui, des compagnons choisis pour figurer sur l'Affiche rouge et d'autres résistants étrangers jugés et condamnés en 1943. Image extraite du documentaire "Manouchian et ceux de l'Affiche rouge". (ARCHIVES PRÉFECTURE DE POLICE DE PARIS / MÉMORIAL DE LA SHOAH / ARCHIVES NATIONALES / MUSÉE DE LA RÉSISTANCE NATIONALE)

Missak Manouchian, qui fut un cadre, puis le chef des FTP-MOI (la Main-d'œuvre immigrée engagée au sein des Francs-tireurs et partisans), la branche communiste et étrangère de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, fait son entrée au Panthéon mercredi 21 février 2024. La cérémonie officielle a lieu 80 ans jour pour jour après son exécution, aux côtés de vingt-et-un frères d'armes, par les forces d'occupation nazies. Il sera accompagné de son épouse Mélinée, résistante et rescapée du génocide des Arméniens de 1915, comme lui.

S'il est la figure, le visage et le symbole de la Résistance étrangère en France, Missak Manouchian a combattu le nazisme auprès d'autres personnalités tout aussi marquantes et attachantes, des juifs polonais, des juifs hongrois, des Espagnols, des Italiens, un Français, une Roumaine – entre autres –, unis par leur engagement politique et leur rejet du fascisme. Dix d'entre eux figurent sur la tristement célèbre Affiche rouge réalisée par les nazis afin de servir leur propagande, une propagande qui aura l'effet inverse de celui escompté.

"Manouchian et ceux de l'Affiche rouge".
Bande-annonce du documentaire France 2 "Manouchian et ceux de l'Affiche rouge". (FRANCE TELEVISIONS)



Le documentaire Manouchian et ceux de l'Affiche rouge, écrit par le réalisateur et scénariste Hugues Nancy et l'historien Denis Peschanski, et réalisé par Hugues Nancy, nous fait mieux connaître ces destins fauchés par la barbarie. Cette page de l'histoire de la Résistance nous est contée avec beaucoup de clarté, par la voix de l'auteur-chanteur Arthur Teboul. Son groupe Feu! Chatterton s'est illustré par une reprise vibrante du poème écrit par Louis Aragon en 1955 et mis en musique par Léo Ferré en 1961 pour rendre hommage à ces martyrs de la Résistance. À l’aide d'une somme fabuleuse d'archives parfois méconnues, nous (re)découvrons des aspects particulièrement émouvants du parcours de Manouchian et de ses compagnons d'infortune.

Deux (vaines) demandes de naturalisation

On a peine à croire le nombre de marques d'attachement à la France exprimées par Missak Manouchian jusqu'aux derniers instants de sa vie. On mentionnera les deux tentatives formelles d'obtenir la nationalité française de la part de l'Arménien apatride, survivant du génocide survenu en 1915 dans les dernières heures de l'Empire ottoman. La première fois, c'est en 1933, la Préfecture de police en a gardé la trace. Manouchian, alors âgé de 27 ans, souhaite pouvoir faire son service militaire. Le préfet de police émet un avis favorable. Mais l'administration rejette la demande de cet étranger au chômage – Manouchian a perdu son poste d'ouvrier aux usines Citroën, à Paris, à la suite de la crise économique consécutive à la Grande dépression. Dans ce contexte, les temps ne sont plus favorables aux immigrés...


Début 1940, Missak Manouchian dépose une seconde demande de naturalisation. À ce moment, il a rejoint l'armée française en tant qu'engagé volontaire. Les officiers de son régiment soutiennent sa candidature. Une fois de plus, sa demande n'aboutira pas. Selon le film de Nancy et Peschanski, l'administration n'aura pas le temps d'étudier son dossier du fait de l'offensive allemande sur la Belgique et la France en mai 1940.

Victimes de la traque zélée de la police française

Excédé par les actions spectaculaires des FTP-MOI à Paris, et pressé par les autorités allemandes furieuses, le chef de la police René Bousquet ordonne à ses services de reprendre le contrôle de la capitale. Mises en place par la Préfecture de police et les Renseignements généraux, deux "Brigades spéciales", constituées chacune de dizaines d'inspecteurs, mettent à profit le savoir-faire français en matière de filature... S'ensuit un travail sur le long cours, implacable et glaçant, illustré dans le documentaire par de saisissantes archives policières. Si les membres de la résistance étrangère et communiste ont été torturés, jugés, condamnés et exécutés par les forces d'occupation allemandes, le démantèlement massif du réseau constitue un "succès" de la police française collaborationniste.

Une pression du PCF aux funestes conséquences

Le documentaire donne le douloureux sentiment que le destin des FTP-MOI est scellé d'avance par la combinaison de deux éléments qui ne laisseront aucune échappatoire aux résistants. Il y a d'un côté la toile géante que tisse la police française. Il y a de l'autre côté les exigences toujours plus grandes de la hiérarchie du Parti communiste français (PCF) à l'égard de son bras armé au sein de la Résistance. C'est à la suite de critiques du PCF sur les résultats de leurs actions que les FTP-MOI se réorganisent, plaçant Missak Manouchian à la direction militaire du réseau. Rapidement, le combattant arménien et d'autres membres de l'armée secrète, comme son supérieur direct Joseph Epstein, pressentent qu'ils sont sous surveillance. Mais pour le Parti, le conflit mondial a amorcé un tournant au cours de l'année 1943. Il n'est donc pas question de se mettre au vert, il faut au contraire intensifier les actions. Des archives et courriers sans ambiguïté sur les marges de manœuvre des résistants sont présentés dans le film.

Des résistants jeunes, révoltés, amoureux

Enfin, parmi les nombreuses raisons de ne pas manquer ce film, il y a l'histoire personnelle de Missak et Mélinée Manouchian, une histoire à la source de leurs convictions et de leur engagement. Et il y a bien sûr un hommage poignant aux compagnons d'infortune de Manouchian, des figures juvéniles, parfois des orphelins comme lui, des parcours restés à jamais en suspens. Marcel Rajman le juif polonais au visage d'ange, Thomas Elek le brillant lycéen hongrois, Rino Della Negra l'espoir du football d'origine italienne, Wolf Wajsbrot le juif polonais aux amours tragiques, Celestino Alfonso l'Espagnol qui a combattu le franquisme, sans oublier la juive roumaine Olga Bancic, seule femme du groupe, mère d'une petite fille... Tous ont risqué leur vie et un avenir plein de promesses pour défendre la France contre le nazisme et le fascisme. C'était il y a 80 ans. C'était hier.

"Manouchian et ceux de l'Affiche rouge" de Hugues Nancy et Denis Peschanski, mardi 20 février 2024 à 21h10 sur France 2
Disponible sur la plateforme france.tv à partir du 20 février à 6h, et pour cinq mois.
> À voir ou revoir : "Manouchian" de Daniel Rihl et Clément Magnin, coécrit par Florence Kieffer. Série docu-fiction en 4 épisodes du magazine "13h15 le dimanche" sur France 2, disponible sur le site Franceinfo et sur france.tv (jusqu'au 14 février 2025).
> La cérémonie au Panthéon est retransmise en direct mercredi 21 février dès 17h10 sur France 2.

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