Des caricatures antisémites exposées au Mémorial de Caen: la mémoire de l'abject
Avec près de 120 caricatures d'avant-guerre présentant les juifs comme des êtres maléfiques, cette exposition au Mémorial de Caen montre comment la propagande antisémite, dont on trouve encore des produits en vente sur internet, a modelé les esprits et fait le lit du nazisme. "Ici, avec 120 dessins, on est pris à la gorge. Chez moi, j'en ai plus de 7.000, dont 5.000 cartes postales, alors vous imaginez...", confie à l'AFP le propriétaire de ces caricatures, Arthur Langerman.
La plus grande collection de dessins antisémites au monde
La quasi totalité de sa famille, juive, a été exterminée durant l'Holocauste. Selon le Mémorial de Caen, ce Belge athé de 74 ans possède sans doute la plus grande collection de dessins antisémites au monde mais elle n'avait jamais été exposée jusqu'à présent.Caricatures représentant les juifs comme des personnages adipeux aux mains crochues, parfois "crasseux", aux regards souvent insidieux; des monstres "capitalistes" ou "communistes", voire des animaux ; tableaux de juifs récupérant le sang d'un enfant ; livres pour enfants invitant à trier les gens comme les champignons : le petit extrait de la collection exposé à Caen montre, presque jusqu'à l'écoeurement, comment s'est structuré l'antisémitisme qui a conduit l'Europe à la Shoah.
Ce "matraquage constant de mensonges" s'étend en effet à toute l'Europe, souligne M. Langerman, dont les documents exposés sont français, allemands, russes, ukrainiens, hongrois.
"Déshumanisation des individus"
"L'antisémitisme est alors quelque chose de banal. La profusion des dessins antisémites est ahurissante. On s'envoie des cartes postales antisémites !", souligne Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial de Caen, un musée d'Histoire consacré au XXe siècle qui est l'un des plus visités de province avec 400.000 visiteurs par an.ajoute M. Grimaldi, convaincu que cette propagande d'hier marque encore les esprits d'aujourd'hui. Il faut dire que cette entreprise de banalisation de la haine a été distillée lentement mais sûrement, parfois dès le plus jeune âge, avec des livres pour enfants dont on découvre les couvertures par dizaines dans l'exposition."La déshumanisation des individus a été fondamentale. On invente un personnage au point que les gens vont accepter qu'on massacre" des personnes,
Reportage : France 3 Normandie - C. Berra / C. Bezard / S. Ledey
Une collection - hélas- sans fin
La Shoah a fait plus de 5 millions de morts, soit les deux-tiers des juifs d'Europe. "Je collectionne ces dessins depuis 50 ans. Je pensais qu'à un moment, j'arriverai au bout mais non, je suis étonné, chaque jour j'en trouve de nouveaux", avoue M. Langerman."Même quand j'ai déjà une affiche, je l'achète en double. Je préfère qu'elle soit chez moi à l'abri plutôt que dans le circuit. On ne sait pas dans quelles mains elles peuvent tomber.
Arthur LangermanLui-même raconte qu'il lui fut demandé un jour au service militaire de prouver que ses pieds n'avaient pas les mêmes sabots que ceux des cochons.
Depuis le procès d'Adolf Eichmann qui en 1961 lui a fait découvrir la Shoah - sa mère, rescapée, n'en parlait pas - cet homme, séparé de sa famille à l'âge d'un an et demi par les nazis, a parcouru les brocantes d'Europe, négocié avec les marchands pour qu'ils sortent les pièces gardées en réserve. "Aujourd'hui avec internet c'est plus facile car les vendeurs sont anonymes", ajoute M. Langerman, précisant qu'avant d'être à la retraite, il passait deux heures par jour à chercher des dessins antisémites. Le prix des affiches montent parfois à 5.000 euros l'unité, précise-t-il.
"De la pure ignorance"
Ce diamantaire à la retraite, qui explique avoir connu la "misère" après la guerre, n'avait jamais pensé exposer sa collection avant d'arriver "à un certain âge" et d'entendre crier "mort aux juifs" lors d'une manifestation récente à Anvers. "Je ne veux pas me contenter de dire "Plus jamais ça". Je veux que cette collection serve à l'éducation des jeunes. En général, les manifestations antisémites, c'est de la pure ignorance", explique cet homme posé et avenant.
Arthur Langerman tenait à exposer dans un lieu généraliste comme le Mémorial de Caen plutôt que dans une institution juive. Il cherche aujourd'hui un lieu d'exposition permanente où établir une fondation non lucrative.
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