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Entrée à l'Académie française, Barbara Cassin plaide pour le plurilinguisme et s'en prend au "global English"

"Ni globish ni nationalisme" : la philologue, neuvième femme à devenir une immortelle, a plaidé pour le plurilinguisme lors de son discours inaugural à l'Académie française. 

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
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L'académicienne Barbara Cassin avec son "épée laser".  (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

Neuvième femme seulement accueillie à l'Académie française depuis sa création en 1635, la philosophe et philologue Barbara Cassin a profité jeudi 17 octobre de son discours inaugural sous la Coupole pour fustiger le "global English" et plaider pour le plurilinguisme.

"Nous voulons contribuer à fabriquer une Europe résistante, qui refuse de s'en tenir à cette non-langue de pure communication qu'est le global English, dont les principales oeuvres sont les dossiers de demandes de subvention, ces soumissions que classeront des experts à haut niveau", a affirmé la nouvelle académicienne dans le discours d'éloge à son prédécesseur, le musicologue et musicien Philippe Beaussant.

"Nous refusons que nos langues, celles que nous parlons, le français, l'anglais lui-même (celui de Shakespeare, d'Emily Dickinson ou de Churchill), deviennent de simples dialectes, à parler chez soi", a poursuivi l'auteure de L'éloge de la traduction. Résumant sa pensée, elle a lancé: "Ni globish ni nationalisme".

Une épée digne de Star Wars

Polyglotte, l'helléniste Barbara Cassin, revêtue de son habit vert (dessiné par la maison Patou) et portant fièrement son épée lumineuse, qu'on croirait sortie de la saga Star Wars, ne mâche pas ses mots quand il s'agit de défendre toutes les langues. Sur son épée high-tech, s'affichent en lettres lumineuses sa devise empruntée au sémiologue Jacques Derrida : "Plus d'une langue".

Mardi 15 octobre, au Louvre, entourée de ses amis pour la "cérémonie de l'épée", la philosophe qui fêtera son 72e anniversaire dans quelques jours, avait déjà expliqué la signification de sa devise. "J'ai choisi comme devise : 'Plus d'une langue', d'abord parce qu'il y a plus d'une langue en France (...) on parle français ailleurs dans le monde et parce qu'une langue ça n'appartient pas", avait-elle dit.

"Il n'y a rien de plus politique que de parler"

Le lendemain, devant ses pairs, Barbara Cassin, qui fut membre de la commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud après la fin de l'apartheid, a rappelé qu'"avoir foi dans le langage, c'est comprendre qu'il n'y a rien de plus politique que de parler". Et "pour parler une langue (...) pour savoir que c'est une langue que l'on parle, il faut en parler, ou en flairer, plus d'une. Plus d'une langue en Europe, et plus d'une langue dans nos classes".

Car Barbara Cassin s'oppose "fermement" à "la hiérarchie des langues et à leur prétention auto-proclamée à un génie supérieur". "La singularité d'une langue, la force de son génie, la richesse de ses oeuvres ne conduisent pas à la fermeture sur soi de cette langue ni du peuple qui la parle. Ce serait là faire le lit du pire des nationalismes. Il faut soutenir avec Umberto Eco que : 'La langue de l'Europe' et peut-être la langue du monde, c'est la traduction", a-t-elle insisté.

"La langue française n'est pas hors du temps"

Expliquant que le français "évolue avec l'histoire, se réinvente avec la géographie", Barbara Cassin a pris la défense des langues régionales. "On ne dira jamais assez l'importance, pour la France et pour le français, des langues parlées en France, toutes". Elle a salué également "l'importance de la francophonie" regrettant au passage la décision du gouvernement d'augmenter les droits d'inscription à l'université pour les étudiants étrangers. "À cause de la hausse différentielle des droits d'inscription, j'en connais déjà quelques-uns cette année qui vont, bon gré mal gré, parler anglais en Chine", a-t-elle déploré avant de se réjouir de la récente décision du Conseil constitutionnel qui a retoqué cette décision.

Chargée désormais, à l'instar des 34 autres membres de l'Académie, de rédiger et mettre à jour le Dictionnaire, elle a estimé que "l'immortalité de la langue, et notre tâche d'académiciens telle que je l'entrevois, c'est de faire en sorte que le Dictionnaire recommence quand il s'achève, que nous acceptions d'être pris, entre la norme et l'usage, dans le flux du temps". "La langue française n'est pas hors du temps, comme une essence fixe ou figée, elle a tout le temps. À nous, cohorte non close, de la servir au mieux", a-t-elle plaidé devant une assemblée qui n'a que récemment accepté de féminiser les noms de certains métiers.

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