A Mossoul, des Irakiens épaulés par des experts du Louvre tentent de reconstituer des antiquités détruites par des jihadistes
C'est un travail d'orfèvre. Au musée de Mossoul encore endommagé, les Irakiens épaulés par des experts français envoyés par le Musée du Louvre, trient des centaines de pierres. Des fragments de vestiges antiques vieux de plus de 2.500 ans, détruits par les jihadistes, qu'il faut reconstituer.
Un lion ailé du site de Nimrod, joyau de l'empire assyrien, deux imposants Lamassu, fabuleux taureaux ailés, et une base de trône du roi Assurnasirpal II. Pulvérisées par le groupe État islamique, ces pièces du premier millénaire avant J.-C. sont en cours de restauration, grâce à des financements internationaux et une expertise fournie par le Louvre de Paris.
Au rez-de-chaussée du musée de Mossoul, les barres de fer tordues des fondations s'échappent d'un trou encore béant dans le dallage. Dans les différentes salles, des pierres de toute taille sont disséminées sur des palettes. Les experts ont commencé à séparer les antiquités les unes des autres.
Sur certaines pierres imposantes, on reconnaît des pattes. Plus loin, ce sont les restes des ailes. D'autres pierres affichent des inscriptions en alphabet cunéiforme. Pas plus gros que le poing, les fragments les plus petits s'alignent sur des tables.
Comme un puzzle
"Nous avons cinq oeuvres importantes dans le musée, il faut séparer tous les fragments", explique Daniel Ibled, l'un des restaurateurs français missionnés par le Louvre. "C'est comme un puzzle, vous essayez de retrouver les morceaux qui racontent la même histoire. Petit à petit vous arrivez à recréer des ensembles", ajoute-t-il.
Après trois premières missions en juin, septembre et décembre 2021, sept experts français se relayeront pour des visites périodiques à Mossoul, venant assister et guider les restaurations menées avec près d'une dizaine d'employés du musée.
Le musée ravagé en 2015
La base de trône en pierre, couverte d'écritures cunéiformes, semble quasi reconstituée. Certains fragments tiennent ensemble avec des élastiques ou des petits cerceaux métalliques.
"Là c'est l'épicentre de l'explosion", lance un des experts Irakiens, désignant un trou béant dans un coin de l'oeuvre. Mis en déroute en 2017, l'État islamique était entré à Mossoul en 2014, imposant son règne de la terreur sur un tiers de l'Irak. Les jihadistes avaient ravagé à coup de masses et au marteau-piqueur des statues antiques et des trésors pré-islamiques du musée, mettant en scène cet acharnement dans une vidéo diffusée en février 2015.
Les pièces les plus volumineuses, difficilement transportables, ont été détruites pour le compte de la propagande. Les vestiges les plus petits ont été revendus au marché noir dans le monde entier.
"La base de trône a été pulvérisée en plus de 850 morceaux. Nous en avons rassemblé les deux-tiers", explique à l'AFP Choueib Firas Ibrahim, fonctionnaire du musée. Diplômé en études sumériennes, son savoir s'avère précieux pour les reconstitutions. "Nous lisons les inscriptions, et sur cette base nous arrivons à remettre les pièces à leur place", confirme son collègue, Taha Yassin. Les choses se compliquent toutefois: "Les fragments internes n'ont pas de surfaces plates ou d'inscriptions, c'est le plus difficile", ajoute-t-il.
Ressusciter les oeuvres
Après des interventions d'urgence lancées en 2018 et les retards entraînés par la pandémie, le directeur du musée, Zaid Ghazi Saadallah, espère terminer la restauration de son institution dans un délai de cinq ans.
Naguère, son musée renfermait plus d'une centaine de pièces. "La plupart ont été détruites ou subtilisées", déplore-t-il. Sur certains murs, des feuilles A4 identifient les vestiges disparus: "Il manque le mihrab de la mosquée Al-Rahmani en pierre d'albâtre", en allusion à ces niches murales indiquant la direction de La Mecque.
L'Irak souffre depuis des décennies du pillage de ses antiquités, notamment après l'invasion américaine de 2003 et l'arrivée des jihadistes. Mais le rapatriement de ces oeuvres est une priorité du gouvernement actuel.
Le projet à Mossoul est financé par l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflits, ALIPH. Outre le Louvre, il implique la Smithsonian Institution, qui fournit des formations aux équipes du musée, et le World monuments fund, chargé de la restauration du bâtiment.
Au total, le Louvre mobilise une vingtaine de personnes parmi lesquelles "des experts pour le bois et pour le métal", explique Ariane Thomas, directrice du Département des Antiquités orientales. "Une fois restaurées, les oeuvres seront dévoilées au public lors d'une exposition en ligne", ajoute-t-elle. Et de conclure: "Quand on a dit qu'avec du temps, de l'argent, du savoir-faire on pouvait ressusciter les oeuvres les plus endommagées, ça se démontre. Des oeuvres qui étaient complètement détruites commencent a reprendre forme".
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