Lyon : un mystérieux dédale souterrain en forme d'arêtes de poisson reste une énigme
A Lyon (Rhône), un dédale souterrain de quelque deux kilomètres de long, en forme d’arêtes de poison, interroge depuis soixante ans les archéologues.
Découvert il y a 60 ans sous la colline de la Croix-Rousse à Lyon un étrange réseau souterrain en forme de squelette de poisson était mis au jour. Mal daté, il reste depuis une énigme pour les archéologues. Une étude rassemblant étudiants et chercheurs doit être lancée pour percer ce mystère qui remonterait à l’Antiquité.
Arêtes de poisson
Il y a 60 ans, sous la colline de la Croix-Rousse à Lyon, des agents de la voirie découvraient un étrange réseau souterrain en forme de squelette de poisson. L'histoire commence en février 1959 rue des Fantasques (1er arrondissement), où la chaussée s'est effondrée. En sondant le sol, les services techniques de la Ville mettent au jour un puits vertigineux ouvrant, 34 mètres plus bas, sur environ deux kilomètres de galeries.
De part et d'autre d'une première artère - la "colonne vertébrale" - se déploient 16 paires de tunnels latéraux - les "arêtes" - en cul-de-sac. Le réseau descend progressivement vers le Rhône, le bas étant inondé. De part et d'autre d'une première artère - la "colonne vertébrale" - se déploient 16 paires de tunnels latéraux - les "arêtes" - en cul-de-sac. Le réseau descend progressivement vers le Rhône, le bas étant inondé.
Unique au monde
Qui a construit pareil dédale ? Quand ? Pourquoi ? Le chantier n'a laissé aucune trace dans les archives, ni la mémoire lyonnaises.
"Il ne nous a pas été possible de découvrir l'origine de ces ouvrages: le service des Ponts et Chaussées et celui du Génie militaire les ignorent", écrivent les agents municipaux dans un rapport de 1959. Six décennies plus tard, le mystère demeure entier, ou presque. "Personne n'a jamais rien trouvé de semblable ailleurs", indique Emmanuel Bernot, du service archéologique municipal, lors d'une visite de l'endroit.
De l’Antiquité à la Renaissance
Sans guide, on se perdrait aisément dans les échelles, passerelles et escaliers qui font passer d'un niveau à un autre. Dans les années 60, d'importants travaux de consolidation ont modifié les lieux.
Les marches sont hautes, les barreaux glissent, c'est souvent bas de plafond et étroit. On progresse à la frontale dans un silence seulement troublé par un léger ruissellement. Des conduites drainent aujourd'hui le sous-sol de la colline mais le réseau n'avait pas de fonction hydraulique à l'origine : les arêtes de poisson "n'ont rien à voir avec l'eau", affirme Bruno Pérez, responsable des galeries à la Métropole de Lyon. A quoi servaient-elles ? Pour Emmanuel Bernot, "une seule certitude: la période. C'est antique".
En 2008 pourtant, lors d'un diagnostic effectué avant de percer un second tunnel sous la Croix-Rousse, son service avait pensé à des souterrains de l'éphémère citadelle Saint-Jean, que Catherine de Médicis fit bâtir à la fin du XVIe siècle en surface. Mais en 2013, la datation au carbone 14 de pièces d'échafaudage en bois, retrouvées dans la maçonnerie, fait remonter la construction au changement d'ère, quand Lugdunum est promue capitale des trois Gaules par l'empire romain. La ville abonde d'ailleurs de vestiges du Ier siècle. "C'est le seul site au monde à avoir été daté, à cinq ans d'intervalle, de la Renaissance puis de l'Antiquité", ironise Walid Nazim.
Cet ex-cataphile (amateur de catacombes) - ils sont légion à s'aventurer dans les lieux, officiellement fermés au public - a écrit un livre sur le sujet. Il y a révélé notamment que 4 à 5 mètres cubes d'ossements humains, disparus et jamais analysés, avaient été découverts en 1959 dans une arête.
Les Templiers convoqués
Lui penche pour le Moyen Âge avec une thèse osée : le réseau aurait été conçu par les Templiers pour y cacher leur trésor rapporté de Terre sainte. A une époque, la fin du 13e siècle, où le grand maître de l'Ordre - Guillaume de Beaujeu - possédait la Croix-Rousse mais aussi le Mâconnais au nord de Lyon, d'où provient la caractéristique pierre rouge des parois du souterrain.
Walid Nazim rapporte aussi qu'au XIXe siècle, les terrains en surface étaient la propriété du fondateur d'un rite franc-maçon se réclamant des Templiers. Bouchées puis débouchées, les arêtes auraient été vidées de leur contenu, selon lui, à cette période. Des fantasmes, critiquent ses détracteurs.
Dans un article publié en 2017, une archéologue de l'université de Grenoble, Djamila Fellague, a proposé une interprétation fondée sur la datation antique. A l'époque, Lyon abritait un atelier de frappe de monnaie romaine et ces galeries ont pu servir à stocker pièces et métaux précieux.
Pour Emmanuel Bernot, la clé de l'énigme réside dans les 16 puits, aujourd'hui comblés, qui desservaient le réseau à l'origine : "on s'oriente de plus en plus vers un système de monte-charge". Mais les recherches n'en sont qu'à leur début. Un relevé précis du puits découvert en 1959, conservé sur toute sa longueur, doit être réalisé pour y déceler d'éventuels points d'ancrage. Des étudiants de l'École Centrale de Lyon vont plancher sur la structure d'ensemble et des spécialistes du monde romain vont se réunir, enfin, autour de ces étranges arêtes.
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