Il y a 2 500 ans, le cannabis était utilisé lors de rituels dans le Pamir
A la frontière de la Chine et du Tadjikistan, des chercheurs ont trouvé les traces du plus ancien usage connu du cannabis pour ses propriétés psychoactives.
Dans un cimetière perché dans le massif du Pamir en Asie centrale, l'air se remplit des notes d'une harpe ancienne, d'un fort parfum de genièvre et cannabis. Nous sommes à une cérémonie en l'honneur des dieux et des morts, il y a 2 500 ans.
Ce rituel a été reconstitué par des archéologues à partir de fouilles sur ce site dans la province chinoise du Xinjiang : il témoigne de l'utilisation la plus ancienne connue du cannabis pour ses propriétés psychoactives.
La découverte, publiée le 12 juin dans la revue Science Advances, ajoute le cannabis à la liste des cultures – des pommes aux noix – qui se sont développées jusqu'à leurs formes modernes le long des Routes de la soie, dit Robert Spengler, l'archéobotaniste qui a dirigé cette étude.
Des bols en bois où on brûlait le cannabis
"Les voies d'échanges des premières Routes de la soie fonctionnaient plus comme les rayons d'une roue que comme une longue route toute droite, avec l'Asie centrale au coeur de l'ancien monde", explique le scientifique, basé au Max Planck Institute for the Science of Human History, en Allemagne.
Une forme plus ancienne de cannabis était cultivée dans l'est de la Chine pour son huile et ses fibres il y a 6.000 ans. Mais ce chanvre n'avait pas les mêmes propriétés psychoactives.
Dans le cimetière de Jirzankal, près de la frontière actuelle entre la Chine et le Tadjikistan, les archéologues ont découvert dans huit tombes un total de dix grands bols en bois contenant des pierres. Ces pierres portaient des traces de feu. Le cimetière est situé à plus de 3.000 mètres d'altitude, sa surface est couverte de cailloux et pierres noires et blanches, qui forment de grandes bandes alternées. Des tumulus parsèment le paysage.
Les substances psychoactives retrouvées dans les bols
Les scientifiques ont analysé les bols en bois ainsi que les pierres brûlées grâce à une technique de chromatographie en phase gazeuse (spectrométrie de masse), habituellement utilisée par la police scientifique mais de plus en plus par les archéologues. Le principe est que l'on sépare les composants chimiques pour les identifier au niveau moléculaire.
"A notre grande joie, nous avons trouvé les biomarqueurs du cannabis, et en particulier des composants chimiques liés aux propriétés psychoactives", dit Yimin Yang, coauteur de l'étude et professeur à l'université de l'Académie chinoise des sciences.
Les molécules détectées étaient principalement du cannabinol (CBN). Le principal ingrédient psychoactif du cannabis, le tetrahydrocannabinol (THC), devient du CBN au contact de l'air.
Un cannabis de plus en plus concentré en THC
La découverte de harpes angulaires, des instruments utilisés lors des funérailles, et la composition des bols en bois de genièvre, qui émet une forte odeur de térébenthine, finissent de compléter le tableau rituel : des gens rassemblés autour d'un épais nuage hallucinogène pour une célébration.
Mais qui étaient les morts ? Les tombes renfermaient une personne apparemment morte de cause naturelle et des corps portant les stigmates de coups, signes laissant suspecter d'éventuels sacrifices humains. Des analyses ADN, en cours, permettront peut-être de savoir si les morts étaient de la même famille.
Deux théories pourraient expliquer l'apparition progressive, au fil des siècles, d'un cannabis de plus en plus concentré en THC. Soit le cannabis a été méthodiquement sélectionné par des cultivateurs qui cherchaient à augmenter le taux de THC. La culture en altitude pourrait y avoir contribué, puisque l'altitude stresse la plante et augmente naturellement le niveau de THC. Ou bien le cannabis aurait évolué par hybridation, au fil des transports et des échanges humains, qui auraient favorisé les croisements entre différentes variétés.
Des résultats cohérents avec les récits d'Hérodote
Le sujet de l'usage des drogues dans l'Asie centrale antique fascine les chercheurs depuis longtemps et les résultats de cette étude sont cohérents avec les écrits de l'historien grec Hérodote. Au Ve siècle avant notre ère, il décrivait les habitants des steppes caucasiennes assis sous une petite tente et brulant des plantes dans un bol avec des pierres chaudes.
Les chercheurs s'interrogent aussi sur la nature du "soma", une substance mythique mentionnée dans d'anciens textes hindous, et du "haoma" des zoroastriens. "Le débat sur le soma n'est toujours pas tranché mais j'espère que nous avons relancé l'intérêt pour l'étude de l'usage antique des plantes dans cette partie du monde", dit Robert Spengler.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.