Octogônes, la convention du jeu et de l’imaginaire à Lyon, rencontre avec des créateurs et des artistes fascinés par le jeu

Depuis 2010, la convention Octogônes réunit à Lyon les amoureux du jeu sous toutes ses formes. Auteurs, artistes, illustrateurs ou créateurs de prototypes, ils se retrouvent tous autour d’une même passion : entraîner les visiteurs dans leurs mondes imaginaires.
Article rédigé par franceinfo Culture - Manu Font
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Octogônes, la convention du jeu et de l'imaginaire (M. Font)

Avec ses 12 000 visiteurs, ses centaines de bénévoles et ses exposants qui viennent des quatre coins de la France, la convention Octogônes réunit chaque premier week-end d’octobre tous les amoureux de l’imaginaire ludique. Ici on vient tester des jeux de société, de rôle ou de figurine, on s’entraîne à combattre avec des épées en mousse et on s’affronte avec des paquets de cartes. C’est aussi le lieu parfait pour rencontrer tous les artistes qui font vivre ces univers fabuleux. 

Décors de jeu de figurine (M. Font)

La convention qui ne dort jamais

Préparez-vous à entrer dans un autre univers : Octogône est un monde à part, peuplé d’êtres assoiffés de voyages oniriques, prêts à croire à toutes les chimères pour assouvir leur passion. Pendant que des régiments de figurines peintes avec soin s'apprêtent à combattre sur des champs de bataille fantasmagoriques, des piles de cartes sont mélangées rageusement par leurs propriétaires et des boîtes de jeux de société de toutes sortes dévoilent leur contenu devant des yeux impatients.

Ici les portes ne se referment jamais. Du vendredi après-midi jusqu’au dimanche soir, de jour comme de nuit, il y a toujours du monde pour partager un instant ludique sur un coin de table ou une discussion acharnée sur la psychologie des trolls affamés. Et dans les yeux des participants on retrouve cette même étincelle passionnée qui semble nous intimer : “tu viens jouer ?” 

John Lang, créateur du Donjon de Naheulbeuk (M. Font)

La grande librairie du donjon 

Pour John Lang, le créateur de la série du Donjon de Naheulbeuk, qui était déjà présent à la première édition en 2010, le jeu a une importance capitale. “Si je n’avais pas fait de jeu, je n’aurais jamais écrit” avoue-t-il. Lui qui a découvert le plaisir de la lecture grâce aux livres dont vous êtes le héros et au jeu de rôle l’Œil Noir dans les années 80 et dont la prof de français lui déconseillait radicalement d'ouvrir un ouvrage de science-fiction, est fier d’expliquer qu’aujourd’hui c’est lui qui fait figure de référence pour certains. “Mon objectif est de faire lire les jeunes, de les amener à lire des romans grâce au jeu et à la fantasy. Aujourd’hui je suis fier d’avoir fait naître des vocations chez des jeunes qui ont décidé de faire des études de lettres.” 

Décor de jeu de figurines (M. Font)

Au pôle figurine on retrouve tous les jeux de type Warhammer où l’on simule des combats avec des créatures peintes avec soin. Issues de mondes historiques, médiévaux ou de science-fiction, les tables attirent de nombreux curieux fascinés par la beauté des champs de bataille et qui viennent lancer quelques dés le temps d’une escarmouche sanglante. Les organisateurs ont choisi de présenter des jeux moins connus que l’impérial Warhammer, dont certains ont été créés de toutes pièces par des passionnés.

Manu au milieu de ses sculptures (M. Font)

Une histoire de passion

Pour Manu, ingénieur système de formation, la vie bascule en 2013 quand il sort Briskars, un jeu de figurine dont il a écrit les règles et sculpté chaque créature. Ses personnages humanoïdes à têtes d’animaux plaisent et le jeu commence à se vendre, il se lance alors dans un deuxième jeu, plus adulte, nommé Kharn Ages. Mais le Covid passe par là et met un coup de frein à cette belle dynamique. Manu a tout plaqué pour réaliser ses jeux : “pouvoir voir et toucher ce qu’on a imaginé, c’est génial. Les gens pensent souvent que mes jeux sont produits par des grosses majors et ils sont surpris de savoir qu’on n’est que trois à travailler dessus depuis 10 ans.” 

Les figurines de Briskars (M. Font)

Difficile de vivre de sa passion quand on est créateur de jeux, mais Manu ne regrette pas d’avoir lâché son ancien boulot pour réaliser ses rêves : “J’ai divisé ma paye par quatre mais j’ai multiplié mon plaisir par dix et comme on n’a qu’une vie...”. Aujourd’hui les salons ont repris et les espoirs aussi, dans quinze jours il doit participer à un rassemblement européen avec à la clé la possibilité de vendre ses jeux à l’international. 

Rêver d’une autre vie

“Un public ouvert, qui a du temps et qui est fasciné par l’imaginaire.” Voilà comment l’écrivaine Nathalie Bagadey évoque sa relation avec les visiteurs d’Octogône : “les gens reviennent d’années en années, il y a un côté tribu”. 

Nathalie Bagadey (M. Font)

Et ce n’est pas pour lui déplaire, elle qui a abandonné l’Éducation Nationale pour devenir auto-entrepreneuse, écrire ses livres et aider d’autres auteurs à éditer leurs propres créations. Car elle aussi partage cette passion pour l’imaginaire, un remède pour se sortir d’un quotidien gris et déprimant. Elle aime citer Tolkien pour qui “quand on est prisonnier de guerre, c’est un devoir de s’échapper”. Ses livres, qui se situent dans l’univers très vaste de la Fantasy, parlent d’amour bien sûr mais aussi d’héroïsme car pour elle “s’échapper c’est bien mais il faut garder la force et le courage d’affronter la vie.” 

Rêver d’une autre vie mais pas seulement, c'est justement le thème de sa trilogie Une autre vie à Citara. Elle vient de mettre un point final à son histoire mais pas à son envie d’écrire, elle qui rêve d’emmener les lecteurs dans son univers afin de les piéger.

Et si on faisait un jeu ? 

Pour Cyrille Sellier, c’est ainsi que tout a commencé avec son fils de huit ans par un après-midi pluvieux. L’envie de créer un jeu pour passer le temps et laisser libre cours à son imagination. Aujourd’hui, il en est à son cinquième prototype et participe pour la première fois au concours d’Octogônes. “Il y a entre 150 et 200 candidatures pour seulement 18 places donc être sélectionné c’est déjà une victoire”.

Son jeu, Terralpha, parle d’écologie et d’épuisement des ressources sans être anxiogène ni alarmiste. Le plateau et les tuiles sont faits à la main et on est loin d’une production industrielle. C’est pourtant l’objectif final de Cyrille : parvenir à convaincre un éditeur de fabriquer son jeu et de le vendre.

Audrey et Quentin testent le jeu Terralpha créé par Cyrille Sellier (à droite) (M. Font)

Pour l’heure c’est Audrey et Quentin qui le testent. Ils sont venus au salon pour découvrir des nouveautés car “il n’y a pas que le Scrabble mais tout un monde à découvrir !”.

La partie terminée ils expliquent à l’auteur ce qu’ils ont aimé ou pas. Ils vont ensuite tester d’autres jeux et voter pour élire le meilleur prototype de jeu du salon.

Cyrille quant à lui enchaîne les parties et les explications, prends des notes quand les commentaires lui semblent pertinents et apprécie le côté jeune et dynamique des festivals. “Mon objectif c’est de rassembler autour du jeu. Même si les gens n’apprécient pas, ils restent toujours cordiaux et très constructifs.” 

Le jeu de rôle pour tous

Au sein de la convention Octogônes, ces dernières années, le jeu de rôle a pris de plus en plus de place. Les visiteurs font la queue pour rejoindre une table et vivre une aventure unique qu’ils partageront avec le maître de jeu et les autres participants.

Damien Coltice qui crée des jeux de rôle depuis 18 ans comprend parfaitement cet engouement. “Quand on tombe dans la marmite du jeu de rôle, on a forcément envie d’y retourner.” Lui-même vient d’une famille qui aime l’art, la musique, le théâtre et il trouve que le jeu de rôle est “un creuset créatif qui donne envie de s’intéresser à tous les autres loisirs créatifs, beaucoup d’auteurs, comme Jean-Philippe Jaworski par exemple, sont arrivés à la littérature par ce biais”.

Damien Coltice (M. Font)

Damien a créé une chaîne Youtube pour expliquer aux auteurs potentiels comment créer un jeu de rôle. Pour lui, c’est un milieu encore très amateur contrairement au jeu vidéo, par exemple, qui possède des écoles et où il est facile de se former. Pourtant il trouve que “la France est un des pays les plus créatifs, notamment grâce au magazine français Cassus Belli qui, dans les années 80, a promu la création dans ses pages. Contrairement aux Etats-Unis où 'Dungeons and Dragons' a écrasé toute concurrence".

Josselin Grange (M. Font)

Josselin Grange, lui, profite de cette créativité française. Élu meilleur ouvrier de France dans la catégorie graphisme, il a créé sa société dans le but de fournir aux auteurs les moyens de publier leurs jeux à moindre coût et fait partie des rares personnes qui peuvent se targuer de vivre de cette passion.

Aujourd’hui, le milieu du jeu de rôle représente plus de 90 % de sa clientèle et il sort au moins quatre livres tous les mois. Adepte du Cyberpunk, sa passion lui a permis de rencontrer des auteurs connus comme Joann Sfar, lui aussi rôliste confirmé. Pour lui, "le jeu de rôle est un média formidable qui permet de créer du contenu en permanence.”

Marcher au pas de côté

Sébastien Capelle (M. Font)

L’armée de visiteurs qui envahit les allées d’Octogône n’est pas en guerre, contrairement à ce que pourrait faire penser le nombre de jeux violents auxquels elle s’adonne. À la différence de certains salons, “ici, les visiteurs viennent participer et pas seulement consommer”. Les mots sont de Sébastien Capelle, un écrivain adepte du “pas de côté” qui aime la “dystopie joyeuse”.

Dans son livre Les Purs, les Jeux Olympiques de 2052 voient s’affronter des athlètes paralympiques boostés aux prothèses biomécaniques qui explosent tous les records des “valides”. Pour lui, “l’imaginaire nous laisse une liberté totale dans ce qu’on traite tout en parlant de nous aujourd’hui”. Ses écrits évoquent le féminisme, l’autoritarisme ou l’esclavage : “un roman c’est avant tout des personnages qui vont vivre une aventure, mais si tu peux faire réfléchir le lecteur, tu as réussi.” 

Des joueurs à la convention Octogônes (M. Font)

Les visiteurs sont de plus en plus nombreux chaque année à franchir les portes d’Octogône. Peut-être viennent-ils eux aussi faire ce pas de côté, s’échapper le temps d’une partie à un quotidien parfois morose, chercher à vivre une aventure plus plaisante à travers les jeux et les mondes imaginaires qui leur sont proposés. Certains repartent avec un livre ou une boîte cellophanée sous le bras, emportant avec eux un peu de cet univers parallèle. En tout cas beaucoup reviendront l’année prochaine rejoindre cette tribu de passionnés aux yeux brillants afin de répondre présent à cette enfantine question : tu viens jouer ?

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.