"Tant que je ne suis pas ridicule..." : vingt ans après, Frank des 2Be3, Boris et Lââm continuent de rythmer l'été
Ils ont percé sous Jacques Chirac. Mais continuent de se produire sous Emmanuel Macron. Dans la foule, des ados de l'époque dont certains sont devenus parents.
Frank Delay s'est passé une main dans les cheveux, comme à la bonne époque, puis il a traversé la scène en faisant la toupie et des moulinets avec les bras. Quelques notes plus tard, nous y sommes : "Partir un jouuuuuuuur, sans retouuuuuur !" L'ancien membre des 2Be3 sait toujours y faire. Il se dandine, langoureusement, avant de retirer son débardeur blanc pour laisser apparaître ses abdominaux (à partir de 2'45" dans cette vidéo). Devant lui, les 17 000 spectateurs sont en feu. Ça crie, ça danse, ça se frotte.
Ce 19 juillet dernier, au festival de Poupet, dans le bocage vendéen, il fallait parfois se pincer pour se convaincre que nous étions bien en 2019. Boa violet autour du cou, la chanteuse Lââm attend sagement son tour en coulisse. L'interpète de Petite sœur est programmée à 21 h 20, entre Las Ketchup et Francky Vincent. DJ Fanou, grand manitou du show "Poupet déraille", prend littéralement son pied. "Les billets pour cette soirée spéciale se sont arrachés en quelques jours, raconte-t-il à franceinfo. Ces artistes, qu'on avait soudainement décrétés ringards, retrouvent le succès vingt ans après. C'est juste GE-NIAL !"
Jacques Chirac était en effet encore à l'Elysée quand Frank Delay squattait les pages du magazine Star Club avec ses comparses Filip et Adel. Quatre quinquennats plus tard, l'artiste fait du rab. Toujours à trois, mais avec Chris Keller (ancien G-Squad) et Allan Théo cette fois. Leur trio, appelé Génération Boys Band, fait une trentaine de dates par an. Les week-ends en général, l'été surtout. "Il y a quelques temps, on a fait un anniversaire dans le Nord devant une centaine de personnes. Les gens pouvaient quasiment nous toucher, c'était marrant", décrit le chanteur aujourd'hui âgé de 45 ans.
Les fans aussi ont vieilli mais les traditions restent. Il y en a toujours qui attendent Frank à la sortie. "Certaines veulent absolument me montrer le tatouage à mon nom qu'elles s'étaient fait dessiner à l'époque, sourit-il. D'autres, qui sont maintenant papa et maman, viennent me présenter leur enfant."
Parfois, des femmes me demandent encore un autographe sur les seins. Bon, c'est un peu gênant maintenant...
Frank Delayà franceinfo
Frank Delay, devenu lui aussi père de famille, considère cette seconde exposition comme du bonus. "C'est une récréation, assure-t-il. Je n'attends pas de sortir un tube, je n'attends pas une carrière, je n'attends pas d'être dans la playlist actuelle. Je veux juste me faire plaisir. Il peut m'arriver d'avoir un trou de mémoire sur scène. A l'époque, ça aurait été catastrophique. Là, ce n'est pas grave, les gens se marrent, c'est rigolo." A 47 ans, son ami Allan Théo est "dans le même délire." "On s'amuse et on amuse les gens, point barre, jure l'interprète de Emmène-moi. On n'est plus du tout dans une obligation de réussir. Je n'ai pas l'impression d'être au travail. Si je veux prendre ma guitare au milieu du show, je le fais. C'est beaucoup moins cadré."
L'an dernier, pour la soirée "Poupet déraille", le public avait déjà eu droit à Yannick, veste en cuir sur le dos, en train de se déhancher sur scène de Poupet. L'interprète des Ces soirées-là papotait avec les organisateurs à quelques secondes d'entrer sur scène, pas le moins stressé du monde.
"Tout tient sur une clé USB"
Au rayon musique éternelle, les Soirées Disco de Boris ont aussi leur place. "Je suis pris quasiment tous les week-ends, calcule l'artiste aujourd'hui âgé de 54 ans. Ça peut être un Zénith ou une discothèque au fin fond de la campagne devant 200 personnes." Il va là où on l'appelle. Pour quitter le Lot-et-Garonne, où il habite, "il suffit d'un billet de train" : il n'a qu'à rejoindre les gares les plus proches que sont Marmande et Agen. Boris, de son vrai nom Philippe Dhondt, voyage très léger désormais, vu que "tout tient sur une clé USB". Rien à voir avec la pression de l'époque, "la maison de disque, le producteur, le manager...", "là, il n'y a plus tout ça". "Les programmateurs ont mon numéro ou mon mail, ils me contactent directement."
DJ Fanou, qui était justement en train de préparer un show avec le groupe Magic System lorsqu'il a décroché son téléphone pour nous répondre, confirme que "tout est plus simple aujourd'hui."
Il y a un côté bonne franquette, sans demande délirante ou caprice de star. Personne ne demande telle bouteille de vin pour pouvoir venir.
DJ Fanouà franceinfo
Cette année, à Poupet, les artistes se sont changés entre deux paravents installés dans une salle derrière la scène. "Ce serait quand même bête d'avoir l'ego mal placé alors que tout le monde fait ça pour le fun, fait remarquer Boris. Il n'y a pas de concurrence entre nous, on n'en est plus à se comparer les uns les autres. On ne se plaint plus de passer avant ou après tel chanteur."
Entre 1 500 et 10 000 euros le show
Même s'il permet de mettre du beurre dans les épinards d'une carrière qui peut parfois manquer de sel, le montant des cachets ne serait plus vraiment un sujet aussi. Au festival de Poupet, le tarif varie de 1 500 à 10 000 euros la prestation pour deux ou trois titres. Boris, qui touche encore 10 000 euros par an de droits d'auteur pour Miss Camping, dit émarger à "quelques milliers d'euros" le show. Pour faire venir le trio Frank Delay-Chris Keller-Allan Théo à l'occasion de votre anniversaire, il faudra débourser 4 200 euros hors taxe. En gros, rien à voir avec les sommes à cinq ou six zéros pratiquées à l'époque.
A moins de faire 100 galas par an, on ne va pas devenir riches.
Frank Delayà franceinfo
D'ailleurs, la plupart des artistes travaillent à côté. Boris continue de faire des voix off, son premier métier. Frank Delay mène parallèlement une carrière de comédien. Quand il n'est pas sur les planches, il incarne le personnage de Pierre dans Les mystères de l’amour sur TMC. Allan Théo, lui, est actuellement occupé sur un projet qui mêle musique électronique et orchestre symphonique.
C'est une porte de sortie quand il sera vraiment temps de dire stop. "J'arrêterai le jour où on ne voudra plus de moi, sourit Boris. Tout simplement. Mais tant que je ne suis pas ridicule, je continue." Allan Théo n'a pas prévu de date pour prendre sa retraite de la scène. Mais la dizaine de courriers manuscrits de fans qu'il reçoit chaque année lui font dire qu'il y a "encore du potentiel". Il n'y a pas longtemps, quelqu'un le suppliait de venir faire un concert en Lozère.
En revanche, Frank Delay préfère prévenir : "C'est clair que je ne vais pas faire le boys band toute ma vie. Si c'est deux ans, c'est deux ans. Mais ça peut s'arrêter du jour au lendemain car il faut du public en face." En attendant, il n'y a pas de secret : pour garder ce corps (souvenez-vous, les abdos saillants au début), l'ancien 2Be3 passe beaucoup de temps à faire du sport. Cinq à six séances par semaine, de la course à pied, de la musculation et des arts martiaux. Pas le choix, c'est aussi son outil de travail.
"Pense à moi la prochaine fois"
Si certains artistes tournent tout au long de l'année, d'autres s'autorisent seulement "des petits extras" de temps en temps. Le Basque Félicien, qui s'est fait connaître dans la saison 2 de "Loft Story", n'était pas monté sur scène depuis quasiment cinq ans avant de rechanter sa Cum cum mania devant le public vendéen mi-juillet. "Au début, il n'était pas chaud pour venir, raconte DJ Fanou. J'ai dû monter le voir dans son restaurant à Paris pour négocier directement avec lui."
A l'inverse, il y en a qui ne seraient pas contre reprendre du service. Même juste une fois, même pour du playback. "C'est vrai que je reçois parfois des messages en mode 'pense à moi la prochaine fois', sourit le chef d'orchestre du show "Poupet déraille". Mais bon, moi je pense au spectacle et au public. Le reste, je m'en fiche." Dit autrement : c'est gentil, mais non merci.
C'est que l'adrénaline de la scène, c'est quelque chose. Quand elles empoignent le micro, certaines stars des années 1990-2000 se revoient au sommet de leur gloire. "Ça se voit qu'ils sont heureux d'être là, confie DJ Fanou. Il y en a qui finissent en larmes, ils ont l'impression que la machine ne s'est jamais arrêtée." L'an dernier, les chanteuses des L5 se sont littéralement tombées dans les bras une fois leur passage terminé. "Entendre 12 000 personnes qui reprennent tes refrains quinze ans après, ça doit hérisser les poils", analyse DJ Fanou.
Frank Delay dit avoir des frissons à chaque fois qu'il monte sur scène. "Je ne sais pas pourquoi, commence-t-il. Il doit y avoir quelque chose de rassurant quand on écoute les chansons de notre adolescence. On a grandi avec des titres, et ils nous font du bien quand on rentre à l'âge adulte." Allan Théo est sur la même ligne : "J'ai des problèmes comme eux, je suis dans les embouteillages comme eux. Mais sur scène, ils voient quelqu'un d'autre, c'est fou." "Les gens se souviennent d'une époque où ils n'avaient pas d'emmerdes, où ils étaient insouciants. Même s'ils trouvaient ça ringard à l'époque, ils s'en fichent aujourd'hui", philosophe Boris. Pour l'été prochain, DJ Fanou a déjà commencé à placer ses pions. Il vise Dorothée. "Vous l'imaginez sur scène en train de chanter Allo monsieur l'ordinateur ? Pouaaaaahhh."
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