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Singe à Skyrock, clips hollywoodiens et stratégie de la rareté : PNL ou le génie du marketing

A l'occasion de la sortie très attendue de "Bené", vendredi, le troisième et dernier clip de leur court-métrage, franceinfo s'est penché sur la recette du succès du duo de rap des Tarterêts.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Capture d'écran du clip "Oh Lala" de PNL. (PNL / YOUTUBE)

Un hashtag, deux émojis et des milliers de retweets. Il n'en faut pas plus à PNL pour mettre en ébullition leurs millions de fans. La sortie du clip de Bené, prévue vendredi 10 février à 20 heures, est attendue comme une éclipse solaire totale par leurs idoles. Après les clips de Naha et Onizuka, cet épisode doit conclure une trilogie de courts-métrages, qui emprunte plus au registre du film noir qu'à celui du clip de rap.

Sur la page YouTube du duo, l'ensemble des clips totalisent plus de 500 millions de vues. Leur troisième et dernier album, Dans la légende, est certifié trois fois disque d'or et leur single Naha a battu, en une semaine, le record d'écoutes détenu jusque-là par le tube planétaire Work, de Rihanna sur Spotify en France. Comment ce groupe inconnu il y a encore deux ans a-t-il réussi ce coup ? Franceinfo s'est penché sur la recette de leur succès.

Prenez des clips ultra-contemplatifs

Si vous êtes passés à côté de ce phénomène, les deux premiers opus de cette mini-série de clips feront office de séance de rattrapage. Derrière PNL ("Peace'n'Lovés", pour les néophytes) se cachent Ademo et N.O.S (Tarik et Nabil pour l'état civil), deux frères originaires de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes (Essonne). Avant de se lancer dans la musique, les frangins vendaient de la drogue, mais l'aîné fait un séjour en prison et le cadet reprend en main l'entreprise familiale. Oubliez les rêves de gloire à la Tony Montana dans Scarface : ils ne vendent de l'herbe que pour remplir leur frigo, comme ils l'affirment dans la plupart de leurs textes. Et c'est tout cet univers de dealers désabusés qu'ils mettent en images dans les clips de Naha et Onizuka.

Les frangins ne se contentent pas de tourner des clips dans leur cité, comme l'ont déjà fait des générations de rappeurs avant eux. Ils préfèrent jouer les globetrotters. Le clip de Le Monde ou rienavec ses ralentis et ses travellings léchés, les révèle au grand public en juin 2015. Une partie de la vidéo est tournée à Scampia, un fief de la mafia napolitaine devenu célèbre grâce au bestseller Gomorra. Le clip cartonne sur YouTube et cumule, aujourd'hui, plus de 66 millions de vues. Pour l'anecdote, l'instrumentale de ce titre, composée par le producteur américain MKSB, aurait été acheté par PNL pour seulement 39,99 dollars, selon le webzine NinkiMag.

Les rappeurs voyagent au Mexique, au Japon, et se prennent pour Yann Arthus-Bertrand en filmant des girafes au galop en NamibieTourné en Islande, le clip ultra-contemplatif de Oh Lala donne lieu à de nombreuses parodies. Même le clip de campagne de Marine Le Pen est détourné à la sauce PNL.

Ajoutez une bonne dose d'indépendance

Ces productions, dignes de documentaires animaliers, sont d'autant plus étonnantes qu'elles sont réalisées par deux réalisateurs corbeil-essonnois : Kamerameha et Mess. Ce dernier, interrogé par les Inrocks, explique que tous les acteurs de leurs clips font partie de leur entourage, "notamment des amis ou des membres de nos familles qui habitent toujours à Corbeil-Essonnes".

Les frangins sont résolument indépendants. Plutôt que de rejoindre une grosse maison de disques reconnue, le duo pioche parmi les nombreuses instrumentales qui leurs sont envoyées par des "beatmakers", des musiciens amateurs. Les deux frères les bidouillent et enregistrent leurs voix autotunées avec leur ingénieur du son. Ils sortent ensuite leurs sons via leur propre label, puis les distribuent en format physique et numérique à travers la société Musicast, qui s'occupe d'autres rappeurs indépendants. Une philosophie qu'on retrouve dans le mot d'ordre du groupe : QLF pour "que la famille".

Dernier coup de génie du duo des Tarterêts : une campagne d'affichage sauvage. Pour annoncer la sortie de son dernier clip, PNL a placardé une série d'appels à témoins dans les rues de Paris. Le but : retrouver un personnage de sa mini-série de clips qui (ALERTE SPOILER !) poignarde l'un des héros. Lorsqu'il appelle le numéro indiqué, le curieux tombe en réalité sur un extrait sonore du titre Bené.

Le tout sans une once d'interviews dans les médias 

L'engouement suscité par PNL s'explique avant tout par le mystère savamment entretenu par les deux frères. Ademo et N.O.S refusent systématiquement les interviews. "Fuck vos interviews, j'aurais pu passer dans vos reportages de chiens", rappe l'aîné dans Tu sais pas, un titre issu de leur dernier album.

Logiquement, ce mépris pour les médias attire l'attention. Des milliers d'articles sont écrits sur le duo qui révolutionne la scène rap. Et ce, jusqu'au Etats-Unis. Le seul journaliste qui parvient à les rencontrer travaille pour la célèbre revue musicale américaine The Fader (en anglais), dont ils font la une. Il n'obtient pourtant pas d'interview, ni la moindre information concrète sur leur identité. Seulement un tour du propriétaire aux Tarterêts. Du coup, les théories les plus folles émergent. Dans les maisons de disques, on les soupçonne d'être "des gars du business" ou une "vaste opération marketing", raconte Le Monde.

Coup de com' ou simple volonté de ne pas s'exposer ? Lorsqu'ils sont invités à "Planète Rap", une émission de Skyrock très prisée par les rappeurs en promo, les deux frères posent un lapin. Ou plutôt un singe, dans un studio redécoré par leur équipe.

Les réseaux sociaux s'emballent et Fred Musa, l'animateur de l'émission, finit par faire une mise au point. "Bien sûr que je les ai vus avant pour préparer cette semaine, explique-t-il. PNL, c'est un groupe qui, dès le début, a dit : 'on ne fait pas d'interviews'. Nous, quand on les a rencontrés pour leur demander s'ils voulaient quand même faire un 'Planète Rap', ils nous ont dit : 'Oui, bien sûr, c'est une belle exposition, on va pas chier sur cette émission.' En revanche, ils ont dit qu'ils ne viendraient pas. C'est leur politique." 

Une politique qui leur permet surtout de maîtriser complètement leur image. Pour en savoir plus sur le duo, les fans n'ont pas d'autre choix que passer au peigne fin leurs textes et leurs clips à la recherche de quelques informations. Le Mouv les compare à Mylène Farmer, connue pour avoir toujours snobé les plateaux télé. "Conséquence : l’attente autour de chacune de ses apparitions musicales est décuplée, et toute l’attention est portée sur ses clips et ses chansons", écrit la radio.

Servez avec un zeste de performances live

Pas très prompts à monter sur scène à leurs débuts, les rappeurs font leur premier show en live à l'automne 2015, au Yoyo Club. Un choix pour le moins étonnant : cette salle, située sous le Palais de Tokyo, est un haut lieu de la hype parisienne, à des années-lumières de l'univers des deux rappeurs. Les nombreux journalistes présents dans la salle s'attendent à une performance médiocre : "J'suis pas rappeur sans vocodeur, j'suis claqué", prévenait PNL dans la chanson MowgliMais à l'issue d'une prestation de 40 minutes, le public est séduit. Les Inrocks parlent d'un "moment fondateur, annonciateur".

Depuis, Ademo et N.O.S refusent les grandes salles. Ils n'apparaissent que lors de courts showcases dans des clubs, dont les cachets sont plus importants. "J'prends mon oseille, je chante, j'me casse de la te-boi", expliquent-ils dans J'suis QLF. 

Mais la PNL mania est parfois excessive : en décembre dernier, à Tunis, un fan a escaladé une tour pour demander au groupe de venir se produire dans le pays. Face à ce geste fou, l'ambassadeur français en Tunisie finit par s'engager à faire venir le duo.

En janvier 2017, PNL crée la surprise quand la presse découvre qu'ils sont programmés à Coachella, le célèbre festival californien, aux côtés de mastodontes comme Beyoncé ou Kendrick Lamar. Une consécration pour les deux frères ? Pour tout commentaire, eux se contentent d'un tweet : "Coachella ou rien".

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