Paris-Londres Music Migrations : 5 choses vues à l'exposition du Musée de l'histoire de l'immigration
Cette vaste exposition proposée au Palais de la Porte Dorée montre que la musique, moyen d'expression privilégié pour véhiculer des idées, a accompagné les mobilisations des immigrés dans ces deux capitales d'empires coloniaux dans les années 70 et 80. Elle tisse des liens et fait dialoguer les cultures musicales issues de l'immigration des deux pays, jamaïcaine et nord-africaines notamment, mais aussi les mouvements musicaux porteurs de revendications d'égalité et de justice, punks notamment.
Riche de centaines de documents, de films et d'objets, "Music Migrations" a été construite de façon chronologique par le commissaire général Stéphane Malfettes, aidé de l'historienne de l'immigration Angéline Escafré-Dublet et du professeur et spécialiste anglais de l'histoire coloniale et postcoloniale Martin Evans. Les allers retours entre les différents mouvements et courants musicaux de part et d'autre de la Manche en font un parcours dense et polyphonique qui part un peu dans tous les sens. Voici les 5 points forts du parcours qui nous ont marqués, en toute subjectivité.
Des chanteuses issues de l'immigration marquent aussi la musique française des années 60, notamment la Marocaine Allegria Banon alias Malika, dont on peut écouter le "Ya Ya Twist" de 1963 en version arabe à l'exposition (et ici), ou bien la Tunisienne Jacqueline Taïeb et son impérissable "Sept heures du matin" enregistré à Londres, à écouter absolument ci-dessous.
Ce modèle, qui proposait 50 petits films 16 mm, était très en vogue dans les cafés arabes parisiens, lieux de convivialité privilégiés pour les ouvriers maghrébins. Ce qui explique qu'on y trouve aussi bien les chanteurs de l'exil ("Idir" de Azwan, "Allo Beyrouth" de Saba ou "Noura Noura" de Farid El Atrache) que la variété de l'époque ("Alexandrie Alexandra" de Claude François ou "Juanita Banana" de Henri Salvador), et même des sketches de Fernand Reynaud. Les chanteurs de l'exil, rappelle le commissaire Stéphane Malfettes, "chantaient soit le mal du pays, soit une version beaucoup plus pop de leur existence parisienne, vantant les mérites de la liberté et les rencontres avec les femmes, une liberté de ton qui peut parfois surprendre aujourd'hui".
Seul regret, ce modèle n'est pas en fonction à l'exposition, seule une petite sélection de scopitones y tourne en boucle.
L'exposition a également reconstitué l'ambiance des cabarets orientaux parisiens du quartier latin comme le El Djazaïr, situé rue de la Huchette, avec ses danseuses du ventre. Des lieux fréquentés par les intellectuels, les jeunes premiers et les hommes politiques de l'époque qui venaient s'y enivrer de liqueurs exotiques et de mélopées orientales.
Londonien fils d'immigrés jamaicains, Don Letts est dj au Roxy à partir de 1976. Dans ce club fréquenté par les membres du mouvement punk naissant, de John Lydon (Sex Pistols et PIL) à Mick Jones de Clash en passant par les Slits, il passe beaucoup de heavy-dub reggae. "Les habitués me demandaient toujours du reggae. Ils aimaient cette vibe anti-establishment. Ça leur parlait", se souvient-il. La chanson "Punky Reggae Party" de Bob Marley, que Don Letts avait fini par convaincre de l'intêret du mouvement punk, a été écrite en hommage a ces fameuses soirées du Roxy. Plus tard, Don Letts a fait partie du groupe Big Audio Dynamite de Mick Jones, ancien de The Clash.
Auteur de centaines de clips vidéos et de documentaires, Don Letts a documenté "par hasard", en s'emparant de sa première caméra, la naissance du punk et ses croisements avec le reggae. A l'exposition, ne loupez pas le petit film de quelques minutes qui en témoigne situé à côté de la vitrine qui lui est consacrée.
Cependant, c'est un autre homme, le journaliste Jean-François Bizot, disparu en 2007, qui nous apparait comme le passeur majeur de notre côté du channel. Agitateur d'idées, il a d'abord fondé le magazine Actuel en 1970. Mieux qu'aucune autre publication, ce journal innovant a su saisir l'esprit culturel de l'époque post-1968. Puis, à partir de la fin des années 70, le magazine a défendu le multi-culturalisme, attisant chez ses lecteurs un insatiable appétit de métissage. Alors que Paris devenait dans les années 80 la capitale de la world musique, le goût de Jean-François Bizot pour les musiques d'ailleurs, en particulier africaines, le poussait à monter en 1981 radio Nova, la radio elle aussi du métissage et de ce qu'on appelait alors "la sono mondiale". L'ouverture bienveillante et curieuse de Bizot y a ensuite permis au rap et à l'électronique françaises de s'épanouir, tout comme le talent de Jamel Debbouze, d'Edouard Baer et de tant d'autres.
La vitrine consacrée à Jean-François Bizot vaut le détour, avec son charivari joyeux et coloré montrant unes du magazine Actuel, disques et affiches (le Kous Kous Klan avec Yvette Horner!), mais aussi les fameuses chemises que Bizot ramenait de ses voyages en Afrique.
Pourtant, ce ne sont pas ses déclarations mais celles d'Eric Clapton qui ont vraiment provoqué la naissance de la campagne Rock Against Racism. Le guitar héros, qui doit tout aux bluesmen et venait de triompher internationalement avec sa reprise de "I Shot The Sheriff" de Bob Marley, déclare le 5 août 1976 sur scène à Birmingham que la Grande-Bretagne est menacée de devenir "une colonie noire". Ivre, il invite le public à voter pour Enoch Powell, un homme politique conservateur connu pour ses positions anti-immigration.
Indigné par ces propos, le photographe Red Saunders, soutenu par d'autres signataires, publie dans les principaux journaux musicaux britanniques (NME, Melody Maker et Sounds), une lettre ouverte à Clapton appelant au rassemblement entre Noirs et Blancs pour faire barrage "au poison du racisme", à la violence haineuse et au parti National Front. Cette missive signe l'acte de naissance du mouvement Rock Against Racism, pour lequel se produiront en 1978 et 1979 des dizaines de groupes, notamment The Clash, Steel Pulse, The Specials et Elvis Costello, contribuant à contenir la montée électorale du parti d'extrême droite.
En France, la campagne Rock Against Police reprendra l'idée en 1980 avec un concert gratuit à Paris "organisé par des jeunes immigrés et prolétaires" unis contre les violences policières et les crimes racistes. Il ouvrira la voie à la Marche pour la liberté et contre le racisme, surnommée "la marche des beurs" de 1983. Et à l'avènement concomitant de la scène alternative punk française dont les Bérurier Noir furent le fer de lance, et auquel un corner est consacré à l'exposition.
LES CONCERTS ET SPECTACLES PREVUS EN MARGE DE L'EXPOSITION - Un spectacle autour des chansons de Claude Nougaro le mercredi 27 mars à 20h (gratuit). - Un concert de Asian Dub Foundation suivi de la projection du film "La Bataille d'Alger" de Gillo Pontecorvo le vendredi 5 avril à 20h (25 euros). - Un set de Dj Kasbah, un solo de danse du chorégraphe tunisien Rochdi Belgasmi et des projections d'images de Rock Against Police le vendredi 19 avril à 20h (gratuit). - Une rencontre hommage à Carte de Séjour, le groupe de Rachid Taha, est prévue le mercredi 22 mai en nocturne (gratuit) - un concert du tandem explosif Tshegue composé d'une chanteuse et d'un percussionniste qui fusionne rock, transe, musiques afro et cubaine le vendredi 14 mai à 20h (12 euros) |
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