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La face cachée de Kurt Cobain en 15 faits et gestes

Vingt ans après sa mort, survenue le 5 avril 1994, que reste-t-il de Kurt Cobain ? Une icône rock coulée dans le marbre à jamais, sous la surface de laquelle on ne gratte plus beaucoup. Quels étaient ses démons ? D'où venaient ses obsessions ? Eléments de réponse en 15 faits et gestes, que vous ignoriez peut-être ou aviez oublié, pour se souvenir de l'homme derrière le leader de Nirvana.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Kurt Cobain dans le clip de "Heart Shaped Box" (Director's Cut).
 (Anton Corbijn)
1. Il détestait jouer "Smells Like Teen Spirit"
Ce morceau était et reste le plus gros hit de Nirvana et l'étendard du rock-garage rebaptisé "grunge" des années 90. Celui que l'on entend encore régulièrement dans les soirées. Pourtant, peu après son explosion dans les charts, Kurt Cobain prit cette chanson en grippe . Son succès mainstream l'embarrassait. Elle lui tapait sur les nerfs. Au point qu'il refusait régulièrement de la jouer durant les concerts. Et quand il la jouait, il la massacrait avec application. Comme ici, au Tonight Show, où il en livre au micro une version aussi sépulcrale qu'hilarante.


2. Ado, une scène morbide le marqua profondément
Un matin, sur la route du collège (il était en 4e), alors qu'il se trouvait avec deux amis,  il coupa à travers bois et découvrit le cadavre d'un homme qui s'était pendu à un arbre la nuit précédente. "Kurt connaissait la victime, le frère d'un ami. Le corps formait un angle bizarre et ses membres tordus ajoutaient encore à l'horreur de la scène", écrit Charles R.Cross dans son excellent livre "Kurt Cobain, une vie à vif".

Kurt regarda le cadavre se balancer au vent durant près d'une heure, jusqu'à l'arrivée des premiers secours et même après, jusqu'à ce qu'un adulte eut enfin l'idée de le mettre à l'écart. Mais le mal était fait : Kurt devint obsédé par ce suicide. On en retrouve la trace partout dans ses œuvres.

Kurt Cobain adolescent (date inconnue), chez lui, à Aberdeen (Etat de Washington).
 (Uncredited / AP /Sipa)


3. Le dessin et la peinture étaient ses autres champs d'expression favoris
Kurt Cobain est connu universellement pour sa musique. Beaucoup moins pour sa peinture, ses collages, ses dessins et ses vidéos. Il furent pourtant toute sa vie, et ce dès l'enfance,  ses moyens d'expression favoris. Ado, il dessinait beaucoup de bandes dessinées dont la construction, avec ses personnages récurrents, influença plus tard son écriture de chansons. Il y avait notamment Mr Moustache, caricature féroce de son père.

Mr Moustache, une BD féroce de Kurt Cobain (il signait souvent Kurdt) réalisée à l'adolescence.
 (Journal de Kurt Cobain)


Dans les carnets qu'il noircit toute sa vie durant, on trouve beaucoup de cadavres démembrés, d'extraterrestres, et de pantins désarticulés. Il aimait aussi les graffitis dont il couvrait les murs de ses appartements et certaines rues d'Aberdeen (Etat de Washington, côte Ouest), la ville de son enfance. "Dieu est Gay" était l'un de ses slogans favoris. Ses œuvres, autant que sa collection d'objets et ses carnets de notes, faisaient écho aux thèmes de ses chansons. Tordues. Macabres. Rageuses et sombres. "Un artiste a un besoin constant de tragédie", écrivit-il dans son journal. La photo originale du dos de pochette de In Utero, pour laquelle il disposa avec minutie chaque élément, est représentative de son travail.
 

Le dos de la pochette de "In Utero" de Nirvana est basée sur une photo réalisée par Kurt Cobain.
 (DR)


4Son premier groupe s'appelait Fecal Matter (Matière Fécale)
En découvrant à l'adolescence le mouvement punk américain, Kurt Cobain y avait trouvé quelque chose en résonance avec son statut d'exclu et son sentiment d'être différent des autres, opposé à la mentalité dominante. Musicalement, il vomissait le mainstream. Or, pour choquer le bourgeois, quel meilleur repoussoir que le nom "Matière Fécale" ? Plus percutant en tout cas que Organized Confusion, le premier nom qu'il pensait donner à son groupe lorsqu'il n'en avait pas encore et jouait lui-même de tous les instruments. Avec Fecal Matter, il était entouré du batteur des Melvins Dale Crover à la basse et se son voisin Greg Hokanson à la batterie. Ils enregistrèrent une démo qui permis à Kurt de rencontrer Krist Novoselic, qui avait deux ans de plus et travaillait au Burger King local. La cassette tomba en effet entre ses mains et il fut conquis par la chanson "Spank Thru", une ode à la masturbation.
 


5. Il souffrait de sèvères douleurs à l'estomac
Les cinq dernières années de sa vie, Kurt Cobain vomissait souvent de la bile et souffrait de "douleurs nauséeuses et brûlantes" à l'estomac. Ses troubles étaient imprévisibles et il ne trouva jamais de remède – c'était une maladie peu courante, pas un ulcère. Il vivait sous la menace permanente d'une crise qui pouvait survenir n'importe quand. "Je ne sais jamais quand ça va arriver", écrivait-il dans son journal. "Je peux être à la maison dans l'atmosphère la plus détendue qui soit, sirotant de l'eau de source, pas de stress, pas d'agitation, et soudain : Wham ! Comme un coup de fusil : le glas de l'estomac a sonné." Selon lui, les laitages et le fromage avaient le don d'apaiser ses douleurs. Puis ce fut l'héroïne. Ses douleurs devinrent ensuite l'éternel alibi pour justifier son addiction.

6. Kurt Cobain était fasciné par l'anatomie
Peut-être en raison de ses problèmes d'estomac, le corps humain - et en particulier son système d'évacuation et son système reproductif – fascinaient l'artiste Kurt Cobain. Il collectionnait les modèles anatomiques en plastique destinés au corps médical. Intestins, anus, estomac, vagins et foetus étaient hyper présents dans les thèmes de ses chansons et dans ses œuvres. Au dos de la pochette de Nevermind, on trouve un de ses collages avec photos de viande et de vulves, qui fut longtemps collée sur le réfrigérateur de son appartement misérable d'Olympia (Etat de Washington).
 


7. Il se déguisait pour passer incognito dans les festivals
Comme le photographe Steve Gullick le raconte dans son beau livre de photos sur Nirvana, Kurt Cobain décida à l'été 1992 de changer de look et de se grimer pour passer inaperçu dans les festivals où il se produisait. L'idée était de se balader au lieu de rester en coulisses et de pouvoir assister aux concerts des autres sans être assailli. "J'étais assis par terre en train d'admirer le paysage, quand un gamin à lunettes maigrichon s'est approché de moi pour me saluer", se souvient Steve Gullick. "Il m'a fallu quelques secondes pour reconnaître Kurt Cobain. Kurt s'était fait couper les cheveux. Il s'était "déguisé" pour pouvoir flâner à Reading sans être dérangé". On peut parier qu'il le fit maintes fois et dans d'autres lieux, durant les deux dernières années de sa vie.
 

A cette époque, Kurt Cobain décide de changer de look pour se balader incognito dans les festivals dont il est la tête d'affiche.
 (Steve Gullick)


8. Kurt écrivait des lettres d'amour enflammées à Courtney Love
"Je te suis à jamais redevable", lui écrivait-il pour la séduire en 1991. "Je ne mérite pas d'être en ta présence. Et je marcherai dix pas derrière toi tête baissée, rongé par la culpabilité d'avoir le privilège d'avoir rencontré ton regard et de bénéficier de ton réconfort et de ta sagesse." Une fois marié (avec elle), et avant de vouloir, dit-on, en divorcer, il lui écrivit, pour la remercier de l'avoir poussé à exprimer sa virilité, lui qui n'hésitait pas à se déguiser en femme et à porter du vernis à ongle et de l'eye-liner : "Je parade autour de toi comme l'anneau à mon doigt".
 

Kurt Cobain et Courtney Love collectionnaient tous les deux les boîtes en forme de coeur. Celle-ci, sur une feuille d'aluminum et entourée de fleurs, fut prise en photo par Kurt pour la pochette de "Heart Shaped Box".
 (DR)


9. C'était un collectionneur passionné, notamment de singes musiciens
Kurt Cobain était un collectionneur frénétique de toutes sortes de choses. De boîtes de médicaments, de boîtes en forme de cœur, d'organes d'anatomie médicaux et de foetus en plastique, de vieilles poupées de porcelaine et de jouets. Il possédait en particulier une collection de dizaines de singes musiciens, dans tous les styles, du petit singe en métal au plus sophistiqué cousu main. Il avait son préféré qu'il avait baptisé Chim-Chim, du nom d'un personnage de dessin animé obsédé par les bonbons. On retrouve Chim-Chim au dos de la pochette de Nevermind, au milieu d'un collage de photos de viande et de vulves. De façon plus poétique, la figure de l'hippocampe le fascinait également, parce qu'il s'agit d'un des seuls animaux dont le mâle porte les œufs dans sa poche ventrale…
 

Le singe Chim-Chim de Kurt Cobain, au dos de la pochette de "Nevermind" de Nirvana.
 (DR)


10. "Raw Power" d' Iggy & The Stooges était son album préféré
Sur cette question, aucun doute possible : "Raw Power", album sauvage des pionniers du punk-rock co-produit par Bowie et sorti en 1973 se retrouve en haut de sa liste de disques favoris dans 100% des cas. Les Pixies, les Wipers, Sonic Youth, les Beatles, R.E.M. et Daniel Johnston, figuraient aussi en bonne place dans son panthéon musical.
 


11. Kurt Cobain était complexé par sa maigreur
Kurt avait toujours été chétif mais avec ses soucis d'estomac, le phénomène s'aggrava, et il ne parvenait pas à prendre du poids. Il se trouvait maigrichon et pensait donner la change en empilant les couches de vêtements pour paraître plus imposant. Une habitude qu'il garda toute sa vie. Il portait souvent, même par temps doux, deux jean's l'un sur l'autre et deux ou trois chemises ou T-shirts superposés, parfois sous un pull et une veste, ainsi que des Converse noires. Censées faire illusion, ses tenues lancèrent une mode. Il relança par ailleurs à lui seul la vente alors déclinante de Converse. Par dérision, il écrivit "Publicité" (Endorsement) sur la pointe de ses baskets.
 


12. L'héroïne c'est atroce, écrivait-il dans son journal
Après avoir consulté maints docteurs et suivi différents traitements, en vain, "j'ai décidé de soulager ma douleur au moyen de petites doses d'héroïne et pendant trois semaines entières ça a colmaté un peu, mais ensuite la douleur est revenue alors j'ai arrêté", écrivait-il dans son journal en 1992. "C'était une connerie et je ne le referai jamais et je plains vraiment quiconque croit pouvoir utiliser l'héroïne comme médicament, parce que, hum, eh ben, ça ne marche pas. L'état de manque ressemble en tout point à ce que vous avez entendu dire, on vomit, on sue, on chie au lit exactement comme dans le film "Moi, Christiane F". C'est atroce, laissez tomber." Dommage qu'il ait omis de suivre ses propres conseils.
 

Kurt Cobain était fasciné par la construction des genres. Ici en robe, en une du magazine "Request" en 1993.
 (DR)


13. Ce punk ne niait pas faire de la pop
Pour Kurt Cobain, le punk, qui lui servait musicalement d'exutoire, était synonyme de liberté et définissait tout ce qui échappait à la culture dominante. Il fut en ce sens un authentique punk toute sa vie. A ce titre, il refusa d'être rangé dans quelque case que ce fut, même celle du punk. Ainsi, à mesure que Nevermind de Nirvana grimpait dans les charts, certains rock critiques se mirent à parler de l'album comme d'un disque plus pop que punk. Et contre toute attente, Kurt Cobain abonda dans leur sens. "Le milieu underground a renié la pop ces dernières années", déclara-t-il à New Route. "Je ne le comprends pas du tout, parce que les Ramones étaient pop. Les Sex Pistols étaient pop. Les Clash, pareil, et plein d'autres groupes. Ces putains de Black Flag sont pop d'une certaine manière". "Je voulais faire à la fois du Led Zeppelin, du punk-rock totalement extrême, et en même temps de la pop totalement naïve", résumait-il.
 

Cette peinture de Kurt Cobain (signée Kurdt) ornait la pochette d' "Incecticide", l'album de B-Sides de Nirvana sorti en décembre 1992. 
 (DR)


14. En 1992, il menaça de tout lâcher pour se consacrer à la peinture
Après le cirque médiatique et la tournée de Nevermind, et après son mariage avec Courtney Love à Honolulu (Hawaï) en février 1992, Kurt décida de mettre Nirvana entre parenthèses et refusa de gros chèques pour repartir en tournée. Il loua avec Courtney, alors enceinte, un trois-pièces à Los Angeles. Là, durant plusieurs mois, il écrivit des chansons (l'essentiel de In Utero fut écrit à ce moment là, disait-il) mais il se consacra surtout à ses pinceaux. "Il peignait en utilisant de la peinture acrylique et de la peinture à l'huile qu'il mélangeait parfois avec son sang, son sperme, de la cendre de cigarette et des matières fécales", écrit Charles R.Cross dans '"Une vie à vif". On y trouvait aussi des cheveux, de la terre, des coupures de journaux. Un de ses amis d'enfance, Jesse Reed, vint leur rendre visite à l'été 1992. Six chevalets, tous occupés par une peinture, trônaient dans la pièce, qui ressemblait à un atelier d'artiste. "Il m'a dit qu'il arrêtait la musique et qu'il se consacrait à la peinture", rapporta-t-il. Kurt lui dit également qu'il comptait ouvrir sa propre galerie.
 

Kurt Cobain dans la fameuse séance photos sous l'eau en 1991.
 (Weddle/SIPA)

15. Kurt avait de l'humour
Faut-il encore le souligner à ce stade ? Derrière son côté tordu, Kurt Cobain avait aussi un sacré humour. Acide, narquois, macabre, mais un sacré humour quand même.
"Après toute la hype et l'attention poussée dont nous avons fait l'objet depuis un an, je suis parvenu à ces deux conclusions", écrivait-il dans son journal après la folle année 1991 de Nevermind.
"1) Nous avons fait un disque commercialement meilleur que Poison.
2) Il y a quatre fois plus de mauvais journalistes rock que de mauvais groupes rock.
Ah oui, et pour ceux que mon état physique et mental actuel intéresserait : je ne suis pas gay, même si j'aimerais bien, juste pour faire chier les homophobes".
Le 30 août 1992, au festival de Reading dont Nirvana était la tête d'affiche, Kurt entra sur scène en fauteuil roulant, en forme de pied de nez à tous ceux qui l'avaient dit mort ou trop junkie pour pouvoir jouer. Un concert resté dans les annales comme un des meilleurs de Nirvana.
 



"Tout ce que Nirvana a toujours désiré faire, c'est briser le mythe du rock'n'roll et montrer que les rock stars n'étaient que des êtres humains", résumait-il six mois avant sa mort, le 5 avril 1994.

Bibliographie :
"Kurt Cobain, Une vie à vif" de Charles R.Cross (éditions White Star, 2008)
"Kurt Cobain, Journal" traduction Laurence Romance (éditions 10/18)
"Nirvana" photos de Steve Gullick (éditions Premium)
 

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