Blind-test tranchant avec L'Epée, le super groupe de Emmanuelle Seigner, The Limiñanas et Anton Newcombe
Monté pour l'amour de la musique, ce supergroupe vient de sortir "Diabolique", un album de rock à la fois frais et abrasif qui s'avère l'un des plus excitants de la rentrée. Ce blind-test est l'occasion d'évoquer les goûts de ces quatre fines lames, des Stooges à Ennio Morricone en passant par Gainsbourg et le Velvet.
L'actrice et chanteuse Emmanuelle Seigner cherchait à enregistrer un nouvel album lorsqu'elle est tombée sur la musique des Limiñanas. Ce groupe constitué de Lionel et Marie, mariés dans la vie, est le duo garage de Perpignan que les Américains nous envient - leur musique a eu les honneurs de la série Gossip Girl, Jack White les a repérés depuis longtemps et aux dernières nouvelles, le couple était en Floride pour "faire quelque chose" avec Iggy Pop ! Et c'est ainsi qu'Emmanuelle Seigner a atterri sur le morceau titre du dernier album des Limiñanas, Shadow People. Un disque très réussi enregistré à Berlin, dans les studios de l'Américain Anton Newcombe, le leader du Brian Jonstown Massacre, qui faisait office de producteur.
Ça c'était en 2017. Car depuis, le quatuor est devenu inséparable. Au point d'avoir monté L'Epée, un groupe, ou plutôt un supergroupe, sur la base de leurs goûts communs pour le rock garage, le psychédlisme, les sixties et les musiques de films. Le résultat est un mélange de fraicheur yéyé, d'orages fuzz, de mystère et de climats cinégéniques, formidablement agencé par le sorcier du son Anton Newcombe. Il s'appelle Diabolique et c'est un des albums phares de cette rentrée 2019. Bonne nouvelle : on pourra bientôt applaudir le quatuor en tournée, augmenté de quatre autres musiciens - l'ensemble envoie du lourd côté guitares ! En attendant, nous avons soumis le groupe à un blind-test. La timide Marie était présente mais elle n'a pas parlé, juste souri. Avec ses yeux aussi.
7 heures du matin de Jacqueline Taïeb (1967)
Lionel Limiñana : C'est 5 h du matin par Jacqueline Taïeb ! J'adore cette chanson.
France info Culture : Il y a un côté un peu yéyé sur certains morceaux de L’Epée, dans Dreams en particulier. C'est une période que vous aimez ?
Lionel Limiñana : Personnellement, je n'aime pas le terme de yéyé parce que c'est associé dans mon imaginaire à des choses de cette période-là que je n'aime pas forcément. Par contre, j'adore toute la contre culture française de cette époque. Et Jacqueline Taïeb c'est vraiment ça.
Emmanuelle Seigner : Dutronc, Françoise Hardy. Il y avait du très bon dans cette période.
Lionel : Contrairement aux frustrations qu'ont les français par rapport au rock, je trouve qu'on devrait plutôt être fiers de ce savoir faire sur la pop en français. Ca va de choses plus primitives, tout ce qu'on va trouver sur les compilations Pop à Paris et les compilations Wizzz psychorama de Born Bad, jusqu’à des choses plus produites et plus classiques, comme le Melody Nelson de Gainsbourg ou les disques de Jacques Dutronc. Moi et Marie (son épouse et batteuse des Limiñanas ndlr) on a grandi là dedans et je ne m'en lasse pas. J'adore l'écriture, ce sont des morceaux simples mais hyper excitants.
Franceinfo Culture : Emmanuelle, qui sont vos chanteuses préférées ?
Emmanuelle : Debbie Harry de Blondie, Nico, Françoise Hardy. J'aime beaucoup aussi Vanessa Paradis même si c'est de la pop.
You’re Gonna Miss Me des 13th Floor Elevator (1966)
Lionel Limiñana : C'est You’re Gonna Miss Me des 13th Floor Elevator, un de mes morceaux préférés au monde depuis que je suis gamin. Le garage et le garage psychédélique des sixties, c'est vraiment le style de musique que je préfère. C’est la musique qu’on écoutait avec Marie quand on s’est rencontrés, vers 16 ans. A ce moment là j’étais surtout complètement fou d’Otis Redding et de l’album Otis Blue. A cause de ce disque j’avais un côté très fleur bleue alors que Marie écoutait des trucs punks énervés. La première fois que j’ai ouvert la porte de sa chambre, les murs étaient couverts d’affiches des Sex Pistols et d’Exploited et je me suis pris un gros flip (rires). Mais je suis resté quand même. Et puis ensemble on a commencé à acheter des disques des Seeds (groupe psychédélique américain des sixties ndlr) et le premier album, qu’on avait en cassette, on l’a écouté jusqu’à la couenne. On l’écoute encore.
Anton Newcombe : You're Gonna Miss Me est une des meilleures chansons américaines de garage. C'est de l'art conceptuel. Le leader du 13th Floor Elevator, Rocky Erickson, avait toute cette philosophie sur le LSD au début des sixties alors qu’il vivait au Texas, un état ultra conservateur. C’était à peu près comme d'essayer de monter un groupe de rock au Vatican! Rocky a été en hôpital psychiatrique pour 0,1 gramme de marijuana. On lui avait donné le choix entre la prison pour dix ans ou bien les électrochocs en hôpital psychiatrique. Alors bien sûr il a dit, oui je suis dingue !
France info Culture : A quel moment un groupe décide de s’appeler l’Epée, un nom aussi saugrenu que le 13e étage?
Emmanuelle Sienger : En fait, Anton a fait un rêve. On cherchait un nom de groupe, et un jour à 5h du matin il m'a envoyé un message en me disant : j'ai rêvé d'une épée et j'ai regardé ce que ça donnait en français, c'est super joli. Au début on était un peu surpris, et finalement on a aimé le côté étrange.
Pourquoi avoir baptisé l’album Diabolique ? Est-il plus noir qu’on ne l’imagine ?
Emmanuelle Seigner : C'est une musique un peu diabolique parce qu'elle coule comme de la lave. Elle coule et elle vous attrape d'une manière sournoise, tentaculaire, c'est ça qui est diabolique.
Lionel : C'est aussi un clin d'oeil à Danger : Diabolik!, un film franco-italien culte sorti en 1968.
Rock’n’roll du Velvet Underground (album Loaded, 1970)
Lionel Limiñana : C'est le Velvet Underground, on aime tous le Velvet et j'adore ce disque.
Anton Newcombe: Cette chanson est très importante quand tu sais de quoi elle parle. Lou Reed évoque l’état d'aliénation, de solitude, lorsque tu attends qu'il se passe quelque chose dans ta vie, que rien ne se passe et que soudain tu découvres la musique en écoutant la radio. Tout à coup tu ne te sens plus seul au monde. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Enfant, j'avais l'impression d'être différent, je ne voulais pas ressembler à ma famille ou à mes amis, puis quand j'ai trouvé de l'art qui me parlait, je me suis dit, ok je ne suis plus seul, je n'ai pas à leur ressembler, je peux être moi. Quand je fais le DJ, je joue ce titre à chaque fois, ainsi que You're Gonna Miss Me. Les gens sont toujours réceptifs. Ces chansons sont intemporelles et classiques. Elles rendent les gens heureux.
Thème du film Le Clan des Siciliens de Ennio Morricone (film de Henri Verneuil, 1969)
Lionel Limiñana : Ennio Morricone ! Je l'écoutais encore il y a trois jours sur vinyl. Déjà le film est mortel, mais la musique est vraiment incroyable.
Emmanuelle Seigner : Ennio Morricone a fait la musique de mon premier film, Frantic (de son époux, le réalisateur Roman Polanski ndlr). J'ai même été à Rome en studio assister à l’enregistrement de la bande originale.
Anton Newcombe : Morricone est incroyable. A Berlin où je vis, j'ai été assister à un concert d’un orchestre symphonique de 40 musiciens et 25 choristes qui jouaient une sélection de ses compositions. Mais hélas ce n'était pas lui qui dirigeait. Regarder ces musiciens tenter de comprendre sa vision, c'était éprouvant. Je ne pense pas qu'ils comprenaient. J'ai carrément quitté la salle.
France info Culture : Quel autre compositeur de BO aimez vous ?
Emmanuelle : J'aime beaucoup Vangelis
Lionel : John Carpenter (Anton approuve). Et je suis fou de François de Roubaix.
Anton : La musique peut faire beaucoup pour un film mais les réalisateurs actuels n’ont pas l’air de le réaliser. Quand sont sortis Singing In The Rain ou Un homme et une femme, les gens sortaient du cinéma en fredonnant les chansons du film. Des chansons avec un vrai pouvoir.
Bonnie & Clyde de Serge Gainsbourg (1968)
Emmanuelle Seigner : J’adore !
Anton Newcombe : Great ! Serge Gainsbourg, les Français aiment avant tout son attitude. D'ailleurs ils ont tendance en général à sacrifier la mélodie au profit de l'attitude et du message. Mais Gainsbourg était incroyable musicalement. C’était un excellent parolier et chef d’orchestre, et en plus il savait à qui emprunter. Il avait un côté agressif et provocateur et en même temps un côté très humble, je trouve ça intéressant. Il disait qu’il rêvait d’être peintre parce que la musique n’est pas un grand art. Mais c’est faux. C’était un grand artiste et la musique est d'une infinie complexité.
Emmanuelle, est-ce que la façon de chanter de Bardot vous inspire ?
Emmanuelle : Cela dépend plutôt des morceaux, se sont les chansons qui m’inspirent. Par exemple je chante Last Picture Show d’une manière plus agressive et Springfield d'une façon plus enfantine. C’est comme un rôle en tant qu’actrice, un personnage différent à chaque fois.
Loose de The Stooges d’Iggy Pop (album Fun House 1970)
Lionel Limiñana : Fun House, le second album des Stooges, est mon album préféré de tous les temps.
Franceinfo Culture : Sur scène, Iggy Pop donne tout depuis 50 ans. Et vous ?
Lionel : Ca fait moins longtemps (rires).
Emmanuelle Seigner : On essaye de tout donner. Mais je ne vais pas me mettre torse nu en tout cas. (rires)
Anton Newcombe : Iggy est super. En concert, il ne traine pas avec les gens. (Anton se lève et mime la scène ndlr). La voiture arrive. La portière arrière s’ouvre, il sort, il monte sur scène, il chante, il enlève sa chemise, et quand c’est terminé il se ré-engouffre dans la voiture et il rentre direct à l’hôtel. Moi, j’assiste à ça sur le côté de la scène et je me dis : merde, il a 70 ans, c’est presque triste qu’il ait à faire tout ce cirque, à sauter comme un gorille. Est-ce qu’il le fait parce qu’il a besoin d’argent ? Et puis j’ai réalisé qu’en fait il fait ça parce que c’est ce qu’il est et qu’il aime ça. Il ne se force pas.
Paint it Black des Rolling Stones (1966)
Emmanuelle, vous avez souvent dit que vous auriez aimé être Mick Jagger, pourquoi ?
Emmanuelle Seigner : C’était une blague. Mais c’est un personnage qui me fascine. C’est un peu un fantasme quoi.
Anton, je sais que vous aimez particulièrement les Stones des débuts, ceux avec Brian Jones.
Anton Newcombe : Brian Jones est très important pour moi. Pour sa façon d’aborder le groupe. Il jouait du violon, du sitar, de l’harmonica. En fait, il formait un groupe à lui tout seul avec ses instruments. Il faut savoir que dans les sixties, le producteur ne pouvait ni toucher les instruments ni toucher à l’équipement : les techniciens en blouse blanche, tenus par les syndicats, faisaient tout. George Martin et Phil Spector n’ont jamais touché une machine, ils donnaient des instructions aux techniciens. Du coup, Brian Jones jouait de tout en studio pour faire ses chansons : mini-moog, mellotron, synthétiseur, maracas, marimbas, clavecin, piano. Je trouve que c’était très cool comme approche. Moi-même je joue de tout et j’aime la liberté du studio. J’ai voulu utiliser l’ensemble du studio comme un instrument. Mon rôle c’est surtout de créer des atmosphères, des climats. J’avais cet ingénieur du son français qui avait fait le conservatoire et essayait de faire en sorte que tout sonne bien. Ce n’est pas la bonne façon de procéder selon moi. Je lui disais: Fume un joint, ferme les yeux et essaye d’imaginer un groupe qui joue dans un petit bar. Il faut créer un climat. Et j’ai besoin d’un groupe, c’est très important pour moi cet effort collectif. Dans L'Epée, j’aime vraiment la voix d’Emmanuelle. J’aime jouer avec Marie et j’aime la personne qu’elle est. Et j’ai un grand respect pour la compréhension profonde de Lionel, son esthétique et sa créativité mélodique.
L'album Diabolique de L'Epée (A recordings/Because Music) est sorti en septembre
L'Epée est en tournée en France, Suisse et Belgique en novembre et décembre avec une date à la Cigale le 14 décembre 2019 (toutes les dates ici)
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