Beatles ou Rolling Stones ? "The Beatles Are Back!" et "Only rock & roll", deux livres délicieux à offrir ou à s'offrir
Stones ou Beatles ? Les deux, en ce qui nous concerne. Deux ouvrages parus en cette fin d’année autour de ces mythes anglais nous ont particulièrement réjoui. Deux délices écrits par des érudits rock, à déguster d’urgence tant ils sont, chacun à leur façon, drôles, tendres et enlevés. Le petit plaisir supplémentaire étant les points d’intersection des deux récits, Stones et Beatles étant comme les deux faces indissociables (et artificiellement opposées) du même jeu de rôle rock’n’roll. Boomers assumés, les auteurs Arnaud Hudelot et Michel Crépu prouvent au passage que les amoureux sincères de rock’n’roll jouissent d’une jeunesse éternelle tant la leur est constamment ravivée à l’écoute des artistes qui les ont percutés à l'aube de leur vie et accompagnés depuis. Comme le résume quelque part Michel Crépu : "Tant que les Stones sont là, je ne suis pas vieux."
"The Beatles Are Back!" d'Arnaud Hudelot
Dans cette uchronie rondement menée, Arnaud Hudelot imagine l’avènement de ce que des millions de fans ont espéré tout au long des années 70 : une reformation des Beatles, séparés prématurément en 1970 après le fameux concert sur le toit de leur label londonien. La formidable série documentaire Get Back de Peter Jackson, véritable machine à remonter le temps, ayant réactivé l’an dernier la mémoire et l’intérêt pour cette période de la fin des Beatles, révélant au passage qu’elle fut bien moins acrimonieuse que prévu, ce fantasme tombe à pic. Arnaud Hudelot, ingénieur du son et réalisateur dont c’est le premier roman, s'est visiblement amusé : il rêve avec beaucoup d’humour et un luxe de détails (jusqu’à la setlist évolutive du premier concert) ce retour des Fab Four. Mais d’abord, comment convaincre Paul, John, George et Ringo de réactiver la machine ? D’autant que John est une hydre à deux têtes surnommée JohnandYoko, et que George traîne sacrément les pieds depuis qu’il a prouvé ses indéniables talents de songwriter avec son premier album All Things Must Pass (1970) au succès retentissant. Un mariage stonien dans le sud de la France va rallumer la mèche… Chantage, guerre d’egos, réconciliation : "la route est longue et sinueuse" pour aboutir. S’appuyant sur un socle solide d’événements réels doublé d'un faisceau de menus faits et d’analyses de caractères dont il pousse gentiment les curseurs, l’auteur invente une suite alternative parfaitement crédible. Bourrée de clins d’œil, cette histoire de reformation est si vraisemblable qu’on se laisse gagner, contaminer, par cette fiction pleine de surprises jubilatoires. On se prend si bien au jeu que l’excitation monte et le pouls s’accélère à notre insu au fil de l’emballement des événements. Un réjouissant voyage de retour vers le futur dont le Tome 2 est déjà dans les tuyaux.
"The Beatles Are Back!" d’Arnaud Hudelot (Le Mot et le Reste, 276 pages, 23 euros)
Extrait (page 169) : "Les Beatles étaient restés dans l’imaginaire collectif comme le plus grand groupe du monde, mais dans la réalité, c’étaient des amateurs au niveau scénique. Paul avait appelé Mick Jagger et Keith Richards pour glaner quelques conseils. Mick ne lui avait parlé que des hôtels (…) Et Keith s’était focalisé sur la dope et le buffet des loges : "Fais gaffe à ne pas bouffer des cochonneries juste avant le concert, sinon tu chies sur scène… et pour la dope, trouve le bon dosage pour jouer comme un dieu sans te retrouver totalement défoncé, pas comme Santana à Woodstock, il avait totalement merdé, il voyait un serpent à la place du manche de sa guitare." Ni l’un ni l’autre n’avaient été d’une aide très précieuse."
"Only rock & roll" de Michel Crépu
Avec Michel Crépu, écrivain rédacteur en chef de la Nouvelle Revue française, on tient là un autre régal, différent sur la forme puisqu’il s’agit d’un essai autobiographique où les inusables Rolling Stones tiennent le haut du pavé. Ce lettré, connu pour ses goûts littéraires classiques – attendez-vous à croiser brièvement ici Chateaubriand, Shakespeare, Morand, Keats, Dickens ou Melville -, nourrit une "sympathie" dévorante depuis la préadolescence pour les Pierres qui roulent. Fan, d’accord, mais pas le genre qui aurait "le goût des obsessions qui relèvent du carnet d’espionnage". Plutôt le genre d’admirateur dont le verbe élégant est une fête à chaque ligne, sautant d’analyses pertinentes en souvenirs intimes sans jamais se départir d’un humour délicieux. "Je me disais qu’il y avait du chic à relever le défi d’un essai sur le rock and roll aux antipodes de mes passions littéraires. Cela m’amusait sérieusement de montrer que Racine pouvait aller avec l’album Aftermath", écrit-il. Que Michel Crépu ré-éxamine avec gourmandise les pochettes – celle de Beggars Banquet revient souvent -, qu’il ré-écoute les morceaux – "la lente montée du Stray Cat Blues comme une cariole s’enfonçant dans un déluge de feu"-, ou se souvienne des concerts du premier au dernier et surtout de la mélancolie profonde du retour, on boit ses paroles, le sourire étirant nos yeux comme des fentes. Sautant du coq à l’âne, il contredit chemin faisant "la mythologie du rock qui veut que les Stones soient du camp des ténèbres", et met le doigt sur quelques clés de leur endurance : "la question de l’ego, qui eût pu détruire le groupe via les drogues, n’a pas trouvé la prise qui aurait ouvert grandes les portes au chaos, à la séparation." Il y aussi ce "souvenir singulier", raconté avec tant de justesse et de dignité, "d’avoir pris l’ascenseur à Paris, au Plaza, avec Charlie Watts, qui remontait du petit déjeûner." Une scène insignifiante qui nous offre, par procuration, à nous aussi, "un absurde sentiment de joie".
"Only rock & roll" de Michel Crépu (Arléa, 152 pages, 16 euros)
Extrait (page 39) : "Tout va, dès le départ, à la musique. C’est une période où la répartition des rôles n’est pas encore faite, où le pouvoir est encore entre les mains de Brian Jones, l’inventeur des Stones. J’aime les Stones à cause de cette couleur adolescente, des costumes rayés, de l’indifférence sidérale de Charlie Watts, du silence modeste de Bill Wyman. Le diable de la célébrité n’a jamais véritablement mordu à cette jeune chair qui s’offrait aux cris des filles. Les photos des premières pochettes reflètent une absence totale de double jeu narcissique. L’idée d’une carrière, d’un destin, d’une marque inoubliable n’est absolument pas à l’ordre du jour. Elle ne le sera jamais, en réalité."
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