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"Jouer à Rock en Seine, c'est croquer dans un truc auquel on n'a pas droit" : le groupe Bagarre se prépare au défi

Le jeune quintet Bagarre s'apprête à en découdre sur la scène des Quatre vents vendredi 23 août à Rock en Seine, et annonce un nouvel album dans la foulée. Rencontre avec un groupe sauvage mais pas si castagneur dans leur grotte-studio parisienne.  

Article rédigé par franceinfo Culture - Lucie de Perthuis et Jules Boudier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le groupe français Bagarre, à l'affiche du festival Rock en Seine, le 23 août. De gauche à droite : Emmaïdee, Mus, Majnoun, La Bête, Maître Clap.   (Pierre-Emmanuel Testard)

Pour rencontrer ce drôle de club des cinq, il faut emprunter de petits escaliers métalliques menant sous terre, traverser un parking, passer deux portes blindées et vous voilà dans l’antre impénétrable de Bagarre. Un petit studio cosy et désordonné, où l’air est saturé d’ondes positives. 

Bien qu'exténués par le bouclage d’un deuxième album (qui sortira mi-octobre, nous ont-ils annoncé en exclusivité) et des concerts qui s’enchaînent aux quatre coins de l'Hexagone, l’ambiance est à la déconne. Dans ce groupe, le stylo, le micro, et même les instruments changent de mains. Un groupe à l’horizontale, où il n’y a pas plus de place pour un leader que pour un chanteur, un batteur, ou un compositeur attitré. 

Mais ses cinq membres, Mus, Majnoun, Emmaïdee, La Bête et Maître Clap, sont loin de s’exprimer d’une seule voix. Les paroles se coupent et les voix se superposent, les vannes fusent, les avis divergent, parfois. C’est dans ce joyeux bordel - qui n’en est un qu’en apparence - que chacun semble avoir trouvé un espace de liberté où il peut s’épanouir individuellement, porté plus haut et plus loin par le collectif. 

Le groupe français Bagarre. De haut en bas : La Bête, Emmaïdee, Maître Clap, Mus et Majnoun.  (Pierre Emmanuel Testard)

Unis par l'amour de la fête

Rencontrés dans des soirées parisiennes, Mus, Majnoun, Emmaïdee, La Bête et Maître Clap viennent d'univers et de milieux différents. Mus, c'est un skateur/rocker, fier d'être originaire de Kabylifornie. Il quitte le lycée avant de passer le bac pour donner des concerts avec son groupe de rock de l'époque. De son côté, Emmaïdee, l'unique figure féminine du groupe, a fait une prépa littéraire avant d'être agent de musicien classique. Maître Clap était aux Beaux Arts "pour la bourse". "Heureusement que j'ai trouvé un autre truc à faire", plaisante-t-il en regardant ses partenaires. Majnoun a lui suivi des études d'histoire et d'arabe littéraire, et était d'abord attiré par la musique folk.  

Unis par l'amour de la fête et la volonté de faire vibrer les clubs, ils se lancent dans la grande aventure Bagarre en 2014, et sortent leur premier album en 2018, Club 12345. Depuis, leur son inclassable - un mélange aussi improbable que brillant de variété, de techno, de rap et de punk - fait suer les foules, de la Cigale aux Eurockéennes, et s'apprête à conquérir Rock en Seine vendredi 23 août. 

Des souvenirs marquants à Rock en Seine en tant que festivaliers ?

Majnoun : J'ai de beaux souvenirs d'Arcade Fire, de Franz Ferdinand, des Babyshambles, et de Robert Plant, quand j’étais gamin... C’est assez fou de se dire que maintenant c’est nous à leur place !

Mus : Moi j’ai plutôt des souvenirs de cuites ! (Rires)

Vous jouez en même temps que la grosse tête d'affiche de cette édition, The Cure... Cela vous inquiète ? 

Mus : Qui ? (rires) Non, c’est un festival, il y a tout le temps du monde. Je suis plus dégoûté de jouer en même temps qu’eux et de ne pas les voir.

Emmaïdee : Je pense que les publics plus jeunes n'ont pas beaucoup d'intérêt pour les Cure. Ils ne connaissent pas forcément.

"ll y a forcément quelque chose en plus avec le public parisien"

Quel rapport entretenez-vous avec le public parisien?

Emmaïdee : C’est là qu’on a commencé. Nos 25 premiers concerts étaient à Paris, avant de s’exporter. Il y a forcément quelque chose en plus avec le public parisien.

La Bête : Mais jusqu'ici, c'était plutôt des publics de niche, des gens qui nous ressemblent musicalement. Rock en Seine c’est vraiment le public parisien au sens large. 

Vous appréhendez à l'idée d'y jouer ? 

Majnoun : C’est toujours un challenge, depuis les Eurocks en 2016 - notre premier gros festival - on s’est dit : ça y est, on est en Ligue 1. On est petits mais on est en Ligue 1. A Rock en Seine on va devoir aller chercher le public et c'est un beau challenge. C’est un autre défi, un double défi : faire bouger les gens mais aussi envoyer la musique au bon endroit. Le public est exigeant, plus que dans des festivals comme Solidays, vraiment jeunes, où les festivaliers viennent pour faire la fête.

Et alors, ça fait quoi d'être en Ligue 1? 

La Bête : On a plongé dans le grand bain à notre manière, avec un rapport au succès très sain. Rock en Seine, c’est un peu l’idée de croquer dans un truc auquel on n'a pas droit. Tous les festivals sont importants, mais il y en a certains que tu as envie de te faire plus que d’autres. C'est le cas de Rock en Seine. 

A force de tourner, vous ne vous lassez jamais de la scène ?

Emmaidee : C’est fatigant, mais sur scène tu es là pour montrer ta musique. Les festivals d’été, il y a plein de gens qui ne te connaissent pas, donc ce sont des défis assez cool. Il faut tout donner, montrer qui on est pour que les gens aient envie de nous suivre après. Donc c’est fatigant, parfois on s’ennuie mais sur scène jamais ! La scène c’est l'heure que l'on attend sur plus de 24 heures de route et de travail

La Bête : Tous les métiers ont leurs défauts, nous on a choisi nos problèmes. On a eu la chance de faire de notre passion notre métier. Après il y a des inconvénients que les gens ne voient pas ! Parfois on est claqué - comme aujourd’hui - mais il n'y a rien de plus jouissif que ça : faire quelque chose que tu as choisi, qui te ressemble et qui te permet d’exister. C’est toujours plus beau que moche !

Majnoun : C’est le prix de notre liberté ! (rires)

Comment vous-êtes vous rencontrés ?

La Bête : En club, en faisant la fête.

Master Clap : D’une certaine façon, chacun s’ennuyait dans ce qu’il faisait. Ce qui était excitant arrivait le week-end : sortir et faire la fête. C’est de cet ennui et de cette envie de faire la fête et même plus, de la fabriquer, qu’est né Bagarre. C’est ce sur quoi on s’est rassemblés. 

Majnoun : A l’époque où on sortait en club, il y avait un truc très scindé entre musique chantée et musique dansante. Nous, on avait envie de faire les deux, c’était ça la musique qui nous inspirait. Celle sur laquelle tu peux danser comme un fou, et en même temps celle sur laquelle tu peux te poser et écouter les paroles. 

Scènes queers et culture non-binaire

La Bête : En même temps, c'était aussi le moment où Soundcloud explosait, ce qui a produit un nouveau mouvement de métissage musical. Les frontières entre les genres ont sauté. Tout cela s'est accompagné des mouvements relatifs aux questions de genres, de sexualité qui évoluent. On a été proches des scènes queers, des milieux de la culture non-binaire. Par exemple il y avait des drag queens pendant nos concerts, des stands Sidaction etc...

C’est important pour vous de porter un message politique ?

La Bête : On porte tous un message politique, qu’on le veuille ou non. Parfois il est partisan, parfois pas. Nous, on est plus attachés à aborder des problématiques sociétales ou associatives que de politique partisane. On a tous un message à porter, donc autant l’assumer. Être hétéro c’est un message politique, être homo, ça en est un autre.

Quel est le processus de composition chez Bagarre ?

Majnoun : On arrive tous avec quelque chose, et après on en parle, on développe. Il n'y a pas de règle, c'est la seule règle. On peut bosser à deux sur un texte, puis avec quelqu'un d'autres sur la mélodie, c'est très changeant. C’est une division du travail à l’instinct ! (rires)

Ce n’est pas la bagarre ?

Emmaîdee : Disons que ça débat !

La Bête : On vient d’univers très différents, on n'a pas tous les mêmes facultés. Certains sont plus musiciens, d’autres chanteurs, d’autres plus à l'aise sur l'écriture… Mais on s'en fout, on a décidé de tous chanter. Il faut que l'on puisse exister ensemble. Pour cela le modèle basique ne nous convenait pas. C’était condamner tout le monde. De l’extérieur, notre format peut paraître bordélique mais en fait il ne l'est pas tant que ça, il est surtout très personnel.

"Il a fallu inventer un système libre, mouvant, adapté à chacun"

Emmaïdee : Chacun de nous évolue musicalement, donc notre manière de fonctionner évolue aussi. Je pense qu’il faut être à l’écoute de nous-mêmes, savoir ce que l'on veut faire. Mais il faut aussi être à l’écoute les uns des autres. C’est comme ça qu’on avance. Après il y a des capacités liées à des spécialités : Mus est batteur, La Bête travaille les productions depuis le début... Mais cela ne nous empêche pas d'être chacun libre d'aller vers autre chose. Par exemple, Maître Clap s'est mis à la prod. Chacun est le petit Padawan d'un autre ! (Rires)

Majnoun : Oui, et on apprend sur le tas surtout.

Sur un morceau biographique et très personnel comme Kabylifornie par exemple, comment avez-vous fonctionné ?

Mus : Je pensais au thème depuis un moment, et ce que je trouve très cool dans notre fonctionnement, c’est qu’on se pousse vraiment à s’accomplir. A cinq, on s’aide et on s’éclaircit les idées. Cela nous permet de développer des thèmes, et de se donner le courage et la force de les défendre, ce que l'on ne ferait pas tout seul.

C'est une volonté nouvelle de mettre en avant la personnalité d'un membre du groupe ? 

Emmaïdee : Oui et non car quand je parle de masturbation féminine (sur le titre Diamant, NDLR), ça ne les concerne pas. Mais ils m’ont aidé à l’écrire de la même manière qu’on a aidé Mus à écrire Kabylifornie.

Master clap : L’idée ce n’est pas de dire que Bagarre c’est un groupe et qu’il n’y a qu’une parole, mais plutôt cinq individualités qui parlent chacune de leur voix. C’est leur juxtaposition qui font la parole de Bagarre. Ce n'est pas un consensus de ce qu’on a dans la tête. D'une chanson à l'autre, d'un texte à l'autre, on peut trouver des choses contradictoires. 

Vous venez de terminer l'enregistrement de votre deuxième album. Quels étaient les écueils à éviter par rapport au premier ?

Emmaïdee : Je pense qu'il fallait aller plus dans un sens ou dans l’autre. Ne pas vouloir tout mettre dans un seul morceau. On est des jeunes auteurs-compositeurs, on n'a pas tant de compositions que ça. A titre personnel, j'en ai très peu. Donc quand je travaille sur une composition, j'ai envie de tout mettre dedans, que ce soit dans le texte ou dans la musique. En d'autres termes : être plus radicaux dans nos choix.

Pensez-vous avoir beaucoup évolué depuis vos débuts ?

Majnoun : On a vachement évolué, au niveau de nos envies, de notre façon de travailler. C’est encore beaucoup plus collectif qu’avant, et ça c’est un travail qui s’est fait à tâtons, de façon horizontale toujours, mais ça a bougé. 

La Bête : Et on a des rêves de toujours qui restent inassouvis. Comme tout gamin qui rêve de faire de la musique, tu as des buts à atteindre. Par exemple au début quand on écoutait des prods, on rêvait que des producteurs américains l’écoutent et se disent “hum… That’s good”.

Majnoun : En parlant de rêves de gosse à atteindre, il y a quand même l’Olympia ! Pour un groupe indé comme nous, qui a toujours fait exactement ce qu'il voulait, qui n'a fait aucune concession sur la musique, qui a inventé un fonctionnement qui lui est propre dans une industrie super agressive et normative... C'est génial de faire un Olympia (ils y seront le 29 novembre NDLR) à nos conditions !

Un mot pour décrire ce nouvel album ? 

Bagarre : Émeute spatiale 

Bagarre est vendredi 23 août à Rock en Seine, à 22h30 sur la scène des Quatre Vents. 
Le concert de Bagarre à Rock en Seine est à suivre en direct sur france.tvculturebox

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