Assaut sonore, humour et lasers : Aphex Twin a conclu Rock en Seine avec un show épique et sans pitié
Le gourou de la musique électronique Aphex Twin a refermé dimanche les trois jours de musique de Rock en Seine avec un show épique de musique expérimentale, construit comme une performance d'art contemporain visuelle et sonore à vivre.
On ne vient pas voir et vivre un de rares shows d'Aphex Twin par hasard. On ne vient pas écouter cette légende de la musique électronique pour s’éclater sur des tubes. On vient voir le sorcier du son britannique pour être stimulé et surpris. Pour vivre une expérience. Même à Rock en Seine, mieux vaut être prévenu et prévoir les boules Quies : Aphex Twin c'est du brutal !
Le show n’est pas encore commencé que l’on distingue déjà du mouvement dans le poste de pilotage en hauteur situé au centre de la scène, dans un nid d’aigle caché des regards dont Richard D. James, alias Aphex Twin, ne va jamais sortir durant les 90 mn de show. On ne verra pas son visage et on n’entendra pas le son de sa voix. On apercevra en revanche une mystérieuse jeune femme au travail tout du long à ses côtés.
"Ses albums sont difficiles mais là j’espère terminer avec lui sur quelque chose de planant", nous confie Olivier, venu de Haute Savoie, placé au tout premier rang. "J’espère qu’il ne va pas faire que de l’arythmie, qu’il va réussir à nous emmener". On a perdu de vue Olivier mais il n’a pas dû être déçu du voyage.
Un show très construit, hypnotique mais éprouvant
La scène est totalement plongée dans le noir lorsque le show débute, à 22h, par des blips martiens ponctués d’une voix féminine parlant dans un idiome inconnu. Un souffle hanté entre film d’horreur et vents cosmiques, la musique du silence intersidéral et du néant galactique, installe un climat propre au voyage et au dérèglement des sens qui sent le calme avant la tempête.
Très architecturé, maniaquement agencé, le live monte doucement en rythme, les beats devenant de plus en plus profonds et les infrabasses commençant à chatouiller le plexus façon attaque des frelons géants. Jamais, durant ces 90 minutes de chaos diaboliquement orchestré, on ne saura comment on est arrivé d’un point A à un point C sans être jamais passé par le point B. C’est là l’un des nombreux tours de passe-passe du magicien Richard D. James. Magicien mais aussi briseur de coeurs : on a vu un jeune couple se déchirer en direct sous nos yeux parce que la fille, au bord de la crise de nerfs, ne pouvait plus supporter les sévices de cette attaque sonore une seconde de plus.
A l’issue d’une trentaine de minutes plutôt éprouvantes de musique expérimentale, et une fois débarrassé des festivaliers les moins endurants, Aphex Twin démarre enfin un set plus techno, plus dansant et franchement hypnotique, qui évoluera vers la drum’n’bass, la drill and bass et les climats brûlants et ouatés des débuts de la jungle, avant de se refermer sur des sons de robots manchots et de jeux d’arcade détraqués.
Il y aura encore des pics de beats totalitaires à la limite du tolérable mais nous resterons tout du long sans forcer à bord de ce Titanic en perdition, accrochés au bastingage, hypnotisés, tétanisés par ce miroir déformant du réel.
Hyper inventive, la scénographie est une autre claque
Car le show doit aussi beaucoup à la scénographie extraordinaire, signée Weirdcore : elle donne à ce concert la dimension d’une performance d’art contemporain épique, d’une double claque en direct, aussi visuelle que sonore. Elle en souligne aussi l’aspect politique. On ne parle pas de la pluie de lasers, quoiqu’elle puisse suggérer de futures batailles spatiales ou technologiques, mais plutôt des images monstrueuses projetées en mapping sur l’ensemble de la scène, comme un défilé des vices, de la veulerie et de la connerie humaine, où l’on perçoit aussi une critique (ou tout du moins un constat) des clignotements de plus en plus intenables de la civilisation occidentale.
Les profils flingués de personnalités, de PNL à Edwy Plenel
Les visuels soulignent aussi l’humour du gourou de l’électronique. Il y a d’abord les images réjouissantes de festivaliers, déformées et diffractées en temps réel et projetées sur une constellation d'écrans verticaux. Mais on se souviendra surtout de la longue séquence jubilatoire, dans la seconde partie du show, spécialement dédiée au public français. Le profil déglingué au burin d’une vingtaine de personnalités, de Coluche à PPDA en passant par PNL, Booba, JUL, Louis de Funès, Mbappé, Jean-Luc Mélenchon, Serge Gainsbourg et Jane Birkin, Jean-Paul Sartre, Elise Lucet, Mireille Mathieu, Edwy Plenel ou Cloclo, palpitent à un rythme infernal, comme un quizz ludique à déchiffrer.
On n’avait pas vu Aphex Twin en concert en France depuis sa prestation à La Villette en 2011 pour le festival Pitchfork. On l’a vu désormais à Rock en Seine et on s’en souviendra longtemps. Maintenant, si vous êtes capables de nous livrer la setlist, vous vous appelez forcément Richard D. James.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.