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Pourquoi on pardonne Kanye West après son concert du Zénith

Qu’il fait bon lyncher ceux que l’on a tant aimés lorsqu’ils dérapent ! Qu’il fait bon défendre bec et ongles son héros quand il est attaqué ! Le public se divise clairement en deux camps après la prestation bancale de Kanye West au Zénith de Paris le 25 février : les gros déçus et les ravis. Pourquoi un tel clivage ? Tout est question de point de vue. Mais surtout d’attente.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Kanye West le 25 février 2013 au Zénith de Paris.
 (Laure Narlian)

Pour notre part, on n'en attendait pas le concert du siècle. Et malgré tout le mal qu'on en a pensé on fait plutôt partie du camp indulgent. Voici pourquoi.

Seul sur la banquise en camisole de force
21h35. La scène, légèrement avancée et penchée sur la fosse est immaculée. Des images majestueuses de glaciers sur la mer occupent les trois écrans. Trois « musiciens » (claviers, guitare, basse) vêtus d’une combinaison blanche qui couvre aussi le visage, façon personnel de centrale nucléaire, prennent place discrètement de part et d’autre de la scène. Ils resteront dans l’ombre tout du long, tels des fantômes.

Sur les premières notes de « Cold », Kanye fait son entrée. Bel effet. Tout de blanc vêtu lui aussi. Mais en mode camisole de force, avec une blouse garnie de boucles dans le dos, un truc qui pourrait bien faire fureur sur les prochains défilés. Voilà donc Kanye West seul, ou quasi, face aux éléments bientôt déchaînés (mer houleuse) et à la foule de fans.
 
« Mercy », « Can’t Tell Me Nothing », « Power »,  « Jesus Walks », le démarrage est plutôt bon, Kanye semble bien disposé, la scénographie est impressionnante et la foule motivée, y compris sur les gradins, tous debout. Kanye quitte alors brièvement la scène et revient affublé d’un masque de plumes blanches, très « Black swan », pour un nouvel enchaînement, sur fond de tempête de neige (y compris sur les premiers rangs) de « Say You Will », « Heartless », « Homecoming », « All of the Lights »…

 
Les cris d'une bête blessée ça donne quoi passé au vocoder ?
Des regards s’échangent entre fans. Quelque chose cloche. Le ridicule du masque ? Pas seulement. Passé l’enthousiasme des premiers titres, il faut bien se rendre à l’evidence : le son laisse à désirer et Kanye bâcle ses titres. Surtout, sa voix au vocoder commence à devenir insupportable. Les projections sublimes, de nuages roses, ciel d'orage, mer démontée et autres vols d'oiseaux compensent péniblement.

Lorsqu’il se met à crier comme une bête blessée, l’effet au vocoder est plus burlesque que poignant et le fou rire gagne dans les rangs. Quelle mouche à piqué Kanye ? Il semble perdre le contrôle. Ce spectacle, il l’a pourtant déjà joué à quelques différences près dès la fin 2012, notamment à Atlantic City (USA). Et la veille encore à Londres où il s’en est pris à Justin Timberlake ("I got nothing but love for Hov, but I ain't ...with that "Suit & Tie", a-t-il dit, regardez la vidéo ici), qui a sans doute eu l’outrecuidance de lui avoir piqué Jay-Z, son meilleur partenaire de jeu, pour une prochaine tournée commune cet été.
 
Surréaliste, il proclame "Je suis Picasso et Walt Disney"
Sur « Clique » justement, Kanye se lance dans une interminable plainte, critiquant les médias, les hypocrites, les mal intentionnés et tous ceux qui vous mettent la pression. Il s’affirme au passage « real nigga in Paris » (il va bientôt le regretter) et s’auto-proclame génie : «Je suis Picasso, Michel Ange, Basquiat, Walt Disney, Steve Jobs ». Pas moins. La tension est forte et on sent qu’il pourrait cracher son venin, comme la veille à Londres, mais il n’en fait rien.

Après avoir dégainé un nouveau masque signé Martin Magiela tout en cristaux, approchant une surenchère quasi Lady Gaguesque, et avoir lâché une poignée de chansons (dont « Stronger » et une esquisse de « Run This Town »), vient « Runaway » qu’il étire encore en une interminable plainte ponctuée d’étranges sanglots synthétiques contre tous les haters. Une véritable catharsis.
Kanye West et son masque de plumes blanches, le 25 février 2013 au Zénith de Paris.
 (Laure Narlian)
 
La Haine, sors de ce corps !
La haine va-t-elle enfin sortir de ce corps ? Ou va-t-il finir seul sur cette foutue banquise comme un bébé phoque ? On ne sait plus à ce stade s’il faut rire ou pleurer. Car Kanye, qu’on le veuille ou non, a toujours quelque chose de touchant. Ce gosse odieusement crâneur a l’air si esseulé tout à coup. Ce demi-Dieu du rap, ultra égo-centrique, est si nu derrière son paravent scénique, cette métaphore de la folie et de la pureté (a-t-il voulu exprimer la folie pure ?).
 
23h05. Il quitte la scène sur « Lost in the World », issu de son dernier album « Dark twisted Fantasy »,  et revient au rappel avec un de ses vieux classiques « Gold Digger » (issu de son second album « Late Registration »).  La foule, dont une bonne part avait assisté aux  concerts d’anthologie de Kanye et Jay-Z cet été pour Watch The Throne,  scande « Niggas in Paris », « Niggas in Paris », la chanson emblématique du tandem. Kanye, qui vient à nouveau de s’épancher en expliquant que les awards c’est de la daube et que le monde est rempli d'enfoirés, a l’air tout à fait décontenancé.

Aussi lisible qu'un livre ouvert
Et vous savez quoi ? C’est pour ça qu’on l’aime. Pour cet ultime instant que 90% du public a détesté parce qu’il ne comblait pas son vœu (lisez à ce sujet l'excellente lettre ouverte d'un fan déçu). On l’a aimé parce qu’on pouvait lire ses pensées comme dans un livre ouvert. Or, il faut une sacrée dose d’innocence pour se retrouver ainsi pris de court,  pour être si lisible. « Non, je voulais vous dire, je travaille sur mon nouveau truc en ce moment », a-t-il réussi à bredouiller. La sueur et la stupeur sur son visage. Il a pensé : qu’est ce qu’il se passe ? Qu’est-ce que je peux dire ou faire d’intelligent ? Et il n’a pas su, pas pu. Il a préféré jeter l’éponge. Il a esquissé un pauvre sourire et a quitté la scène définitivement à l'issue d'un rappel de 3 minutes, sourd aux cris de la foule furibarde.

Manifestement, jamais il n’avait envisagé qu’on puisse payer 70 à 120 euros (il faut bien régler les factures du train de vie parisien où il enregistre actuellement) pour venir voir et entendre autre chose que lui. Seul. Alors lui demander Watch the Throne quand Jay-Z vient de le tromper avec Justin ! Ce géant du rap n’est au fond qu’un nain, un enfant. Insupportable, certes, mais un enfant. Pathétiquement humain. C’est aussi pour ça qu’on l’aime et vous avez parfaitement le droit de ne pas être d’accord.  

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