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PNL se met à nu sur "Deux frères" mais reste inconsolable

Après avoir battu tous les records avec son dernier single "Au DD" sorti le 22 mars, le duo PNL a enfin publié vendredi son troisième album, "Deux frères". Un 16 titres dominé plus que jamais par un spleen monstrueux que rien ne semble pouvoir soigner. Même au top du game, N.O.S et Ademo, hantés par leur passé et accablés par la misère à soulager, restent incapables de profiter de leur succès.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les frères N.O.S. et Ademo de PNL sur le visuel de l'album "Deux frères".

PNL met dans le mille à chaque fois comme Mbappé. En totale indépendance (sans major du disque) et avec une science marketing de la rareté (zéro interview) formidablement maîtrisée. Depuis sa sortie le 22 mars, le clip "Au DD" filmé en haut de la Tour Eiffel a été vu plus de 40 millions de fois. Le morceau a battu le record  du titre le plus streamé en 24h sur Deezer. La chanson s'est aussi classée 33e du top mondial sur Spotify. Et triomphe absolu, elle a intégré cette semaine le Top 10 des artistes internationaux dans le classement du Billboard américain, à un jet de pierre de pointures comme Ariana Grande ou BTS.

Hantés par leur passé

Auteur du hold-up du siècle sur le rap français, PNL devrait donc être en mode lévitation sans avoir besoin du moindre bédo. L'album "Deux frères" dit pourtant tout le contraire. Comme l'annonçaient les singles "A l'Ammoniaque" puis "Au DD", N.O.S. et Ademo sont décidément hantés par leur passé - l'enfance, la cité, le deal de drogue.

"Maintenant j'remplis des salles mais tu sais ma vie me manque (…) Ma miff me manque et le vide me hante", chante N.O.S. sur "Cœur". Il rappe aussi "J'continuerai en bas, à compter les zéros/ Parce que j'suis contaminé, j'ai que ça pour exister".

On craignait que PNL ait déjà tout dit, alors que les deux frangins des Tarterêts (Corbeil-Essonne) se livrent sur cet album comme jamais. On redoutait que les anciens princes du deal se laissent gagner par une euphorie bling, par la vacuité du star system, on avait tort. Inconsolables, les deux PNL ne bandent déjà plus pour les 5 étoiles. Ils veulent rentrer au bercail. 

"J'ai envie de rentrer à la maison/ Le chemin n'est plus le même maintenant qu'on a le monde", se désole Ademo sur "Autre monde". "Dans l'œilleton d'la porte j'aimerais passer, pour juste une fois ressentir le passé/ Revenir là où tout a commencé car on était aussi heureux, je le sais (...) Peur de changer de vie, peur de désillusion/ J'aimerais revenir dans le passé toquer à la maison", avoue N.O.S. sur le poignant "Chang". 

Rongés par la culpabilité du survivant

Sur leur premier Ep "Que La Famille", Ademo se lamentait du fond de sa cité : "Donne moi des ailes pour que j'm'envole/ J'regarde le ciel cloué au sol". Aujourd'hui qu'ils ont des ailes d'envergure, pour quelle raison les deux PNL ont-ils tant de mal à décoller du bitume ?

N.O.S. et Ademo semblent atteints du syndrome du survivant (d'un accident, d'un attentat) : pourquoi m'en suis-je sorti et pas eux ? Cette culpabilité manifestement les ronge et leur interdit de savourer leur succès en paix. Une responsabilité écrasante pèse sur leurs épaules, celle de soulager la misère de leurs semblables restés à tenir les murs des halls d'immeubles.

"Faut qu'j'apprenne à kiffer ma vie/ Des fois oublier la sère-mi/ Mais bon tu sais, pas si facile/ Quand j'pense à c'que mes frères, sœurs vivent/ Le matin, sûr, tu m'croiseras pas/ J'aurais passé la nuit à combattre le noir" (N.O.S. sur "Capuche", l'un des deux titres proposés en bonus de l'album).

Deux frères fusionnels que rien ne séparera

Partis de rien, les deux frères sont revenus de tout. Sauf de leur lien indéfectible. "On s'en sort ou on crève à deux" (Celsius). "Rien ne nous séparera, même pas nos bitchs/ Tout c'que j'prends, j'te le donne, un peu comme ma vie/ Ya qu'toi qui sait c'que j'vis, que moi qui sais c'que tu vis/ On s'est dit c'est l'heure d'les baiser si on fusionnait, chi'" (Deux Frères).

Si les frangins "de sang corse mélangé bougnoule" sont inséparables et fusionnels, c'est grâce à leur père, le braqueur corse René Andrieu qui les a élevés seul, et auquel Nabil et Tarik (leurs vrais prénoms) rendent régulièrement hommage dans leurs paroles. "Papa nous a cogné tête contre tête, nous a dit : "J'veux un amour en fer/  J'veux personne entre vous, même pas moi, même pas les anges de l'Enfer", se souvient N.O.S., le cadet, dans "Deux Frères".

Mais c'est sur "Zoulou Tchaing" qu'Ademo se met à poil avec une lettre d'amour peu commune adressée à son père : "Baba, pour ton sourire, j'donnerais ma vie/ Et p't-être même ma place au paradis (…) Ce monde serait moche sans toi/ Et j'refuse le paradis si t'y es pas.(…) Tu t'rappelles, on était tit-pe (petits)/ Toi t'avais l'tard-pé/ Tu nous disais "papa reviens d'ici peu"/ J'taime, J'taime, J'taime/ J'rêves d'effacer tes cicatrices."

Un album un peu trop léthargique

Musicalement, ce 16 titres est dominé par la lenteur cotonneuse et envapée du "cloud rap". Cela peut paraître monotone, voire mou, de prime abord. Mais le diable est dans les détails de la production et il y en a beaucoup, sous la houlette de l'ingénieur du son Nk.F.

Les frangins expérimentent pas mal du côté des flows, toujours autotunés mais avec des nuances - notamment sur les refrains de "Blanka", de "Shenmue" et de l'indéchiffrable "Kuta Ubud", mais aussi sur les voix (allant du minotaure sur "Déconnecté" à presque nue sur "La misère est si belle"). On croise aussi de la trap, de la trompette, des guitares latinas, de l'electro et des mélopées orientales à petite dose sur cet album. Et même du funk sur l'inusable single "91's" qui a tourné tout l'été sur les playlists.

C'est d'ailleurs un regret : si la mise à nu de leur intimité et cette plongée sans filtre dans la dépression du succès sont souvent touchantes, on aimerait qu'ils ponctuent ce spleen écrasant de trouées de lumière, qu'ils sortent un peu plus souvent de leur zone de léthargie, comme sur ce très réussi "91's" ou sur l'entraînant "Hasta la Vista". Peut-être sur le prochain album ? 

"Encore un ou deux bums-al, allez un peu d'air", promet Ademo sur "Hasta La Vista". Et de préciser sur "Autre Monde", "J'ai envie d'arrêter tout mais la hess (la galère) m'a traumatisé/ Les gens qui m'ont suivi, j'peux pas les abandonner/ Alors j'crois qu'suis condamné". Condamné à revenir. Et à faire  toujours mieux.

"Deux Frères" de PNL est sorti le 5 avril 2019 L'album comporte 16 titres et un bonus différent selon que l'on opte pour la version noire ou blanche. Nous, on vote des deux mains pour la version blanche (avec "Capuche" en bonus).

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