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Le rappeur d'avant-garde Vince Staples vient asticoter Rock en Seine samedi
On dit de Vince Staples qu'il est le rappeur du futur. Confronté très jeune au quotidien brutal des gangs, ce mc californien en a trop vu pour se soumettre désormais à quoi que ce soit. A commencer par les dogmes du rap. Son second album "Big Fish Theory", paru en juin, ouvre de nouvelles perspectives en poussant toujours plus loin le rapprochement rap et électro. Il est samedi à Rock en Seine.
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Un Hitchcock du rap au lourd passé
Vince Staples n'est pas un rappeur ordinaire. Il est, disons, plus libre que la majorité d'entre eux. Libre d'écouter toutes sortes de musiques, du rock à la techno de Detroit et de Daft Punk à Joy Division. Libre de ne jamais boire d'alcool ni de ne toucher à aucune drogue. Libre de sampler les longues confidences de Amy Winehouse entre deux chansons de son nouvel album "Big Fish Theory". Libre enfin de faire de cet album paru en juin la bande son idéale d'une rave techno-rap futuriste.Vince Staples n'a que 23 ans mais déjà plusieurs vies derrière lui. Grandi à North Long Beach (Californie), une banlieue coriace de Los Angeles, il n'a pas échappé aux gangs. Enfant, il voulait faire tourner son revolver 38 chromé comme un ventilo et "tuer un homme" pour ressembler à son père et à ses amis, avouait-il sur le glaçant et autobiographique "Nate" en 2014.
Ce mc qui se voit comme un "Hitchcock moderne" ne rime pas pour rendre l’auditoire heureux. Il constate, il raconte ce qu’il voit autour de lui. Et il en a vu beaucoup. Ses morceaux fonctionnent, dit-il, comme des scènes de meurtre dans un film : ils sont là pour provoquer un choc, un trauma.
Mais ne lui dites surtout pas qu'il fait du gangsta rap. "I'm a gangsta Crip/Fuck gangsta rap", rappe-t-il sur "Norf, Norf", son plus gros hit à ce jour. Membre actif à l'adolescence du redoutable gang des Crips, comme son père, son oncle, son grand-père et à peu près toute sa famille avant lui, il a vu nombre d'amis et de proches tomber sous les balles ou condamnés à perpétuité. Il s'est sauvé avant que ne se referme sur lui ce piège mortel.
"Je voulais juste que les gars arrêtent de mourir"
Depuis, le rappeur juvénile au visage impassible a juré de ne jamais se laisser enfermer. Ni de se laisser définir par son passé. Ou par quoi que ce soit. Y compris le rap et le hip hop, à qui il doit son confort actuel ? Oui, il s’en moque."Les jeunes de mon quartier meurent et se prennent de la prison à vie à 15 ans, et les gens font de la musique une distraction", s'agace-t-il dans The Fader. "Je ne me sentais pas connecté au hip hop en grandissant. Je n'ai jamais voulu une chaîne en or ou un hôtel particulier. Je voulais juste que les gars arrêtent de mourir."
Le rap, il en a poussé la porte un peu par hasard, en traînant avec des membres du collectif de Los Angeles Odd Future, en particulier avec Earl Sweatshirt (il figurait notamment sur son premier album "Doris") et avec la productrice Syd Tha Kid.
Après s'être fait remarquer dans l'underground avec une série de mixtapes prometteuses, sa réputation frémit en 2014 avec son premier EP "Hell Can Wait". Le single menaçant "Hands Up" ("mains en l'air"), toutes sirènes et clignotants dehors, coincide avec le pic d'affaires de brutalités policières contre les Noirs américains et l'ascension du mouvement Black Lives Matter.
Jeunesse flinguée sous le soleil exactement
C'est en 2015, avec "Summertime 06", un double album dont la pochette ressemble à un hommage à "Unknown Pleasures" de Joy Division (Vince Staples est un admirateur de Ian Curtis) que sa notoriété est mise sur orbite. Il y raconte l'été d'une jeunesse flinguée sous le soleil californien. Le succès venu, il revient à l'été 2016 avec le EP "Prima Donna", produit en partie par l’Anglais James Blake, forgé cette fois sur l'enclume de son immersion toute fraîche dans le cirque de la célébrité. Avec le même regard lucide, distancé et férocement ironique qu'il adoptait pour décrire sa vie d'avant, il raconte les doutes, les envies de suicide, les rapports intéressés et l'argent, le trop plein d'argent, qui gangrène tout.Un an plus tard, "Big Fish Theory", son nouvel album sorti fin juin, reste dans la même veine. Il inspecte juste cette fois d'un peu plus près la nasse du rap, où se débattent lui et ses pairs, comme autant de poissons dans un de ces filets de pêche géants de navire-usine. La nouveauté vient davantage de la musique. Il était en featuring sur le dernier Gorillaz ("Ascension") et sur celui du nouveau prodige de l'électronique, l'Australien Flume ("Smoke & Retribution"). On retrouve donc logiquement Damon Albarn et Flume sur son album, aux côtés de Bon Iver, Sophie, Kendrick Lamar et Asap Rocky. Autant d'indices de son ouverture musicale.
De l'art ou du commerce ? Vince Staples a choisi son camp
Avec ce disque délibérément complexe aux climats toujours oppressants, Vince Staples s’affranchit du rap lambda et vagabonde du côté sombre de la dance, vers la techno de Detroit ("Homage") et l’électronique anglaise (le titre d’ouverture "Crabs in a bucket" pourrait être du 2Step british). Un travail d’avant-garde qui repousse les limites du genre, encore un peu plus loin que ne l’avait fait Kanye West sur "Yeezus".Comme ce dernier, Vince Staples revendique faire de l'art avant toute chose. "Tu peux faire de l'art ou tu peux faire du commerce", remarque-t-il dans Vulture. "Il y a une différence entre les artistes et les gens qui font de la musique à consommer. Des gens comme Kilo Kish (chanteuse américaine qui figure sur son nouvel album), comme Sophie (producteur de deux titres de "Big Fish Theory"), des gens comme Bon Iver (qui figure aussi sur ce disque). Ce sont de vrais artistes. Ils prennent des risques, ils font ce qu'ils veulent."
En Live, il essaye également de faire du neuf en trouvant des idées inédites, dit-il. "La façon la plus simple de fonctionner pour moi c'est d'essayer de créer quelque chose". Sans jamais chercher à plaire. Parce que l'art est pour lui "quelque chose d'égoïste".
Vince Staples est à Rock en Seine samedi de 20h10 à 21h00 sur la Scène de l'Industrie
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